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L’équipe de France d’athlétisme est-elle condamnée à sombrer ?

Après des championnats du monde ratés dans les grandes largeurs à Budapest, avec seulement une médaille d’argent pour le 4x400m masculin, la France de l’athlé est en souffrance. A onze mois seulement de Paris 2024, le sport olympique numéro un suscite plus de moqueries et de scepticisme que d’enthousiasme. En tant que pays organisateur, un nouveau bilan proche du néant serait catastrophique pour l’image. L’état-major de la Fédération Française d’Athlétisme est convoqué au Ministère des Sports ce mardi 30 août pour rendre des comptes. Mais la trajectoire en forme de crash attendu peut-elle s’inverser? 

Deux médailles à Doha en 2019, une seule à Eugene 2022 comme à Budapest 2023. Finalement, l’équipe de France ne peut que rebondir. Mais les Bleus se sont pris une belle toise hongroise. "Ce n’est pas bon, on ne va pas se voiler la face. C’est une déception", concède Romain Barras, le directeur de la haute-performance. "Je ne m’y attendais pas mais je ne suis pas surpris. Ce qui m’étonne en revanche, c’est que personne ou presque ne se soit transcender avec le maillot de l’équipe de France."

"On a un niveau de hold up"

Il est vrai qu’à part le très joli relais 4x400m masculin avec la médaille d’argent au bout, Thibault Collet à la perche ou Yanis Méziane sur 800m, personne n’a battu son record absolu et même rarement celui de la saison. "Avec ce stade, ce public, la qualité de la piste, c’est dommage. La principale explication, c’est qu’on a quelques athlètes du top 8 mondial, puis une quinzaine dans le top 12. Mais des top 3, donc des vraies chances de médailles, Kevin Mayer mis à part (abandon sur blessure), il n’y en a pas !" 

Responsable du sprint long et entraîneur de Wilfried Happio, Olivier Valleys va dans le même sens que le patron des Bleus: "Les athlètes ont le niveau pour entrer en finale, rarement pour la médaille. On a un niveau de hold up en fait." Après la génération dorée des Christophe Lemaitre, Renaud Lavillenie ou Mahieddine Mekhissi des années 2010, la gueule de bois est sévère et d’autant plus frustrante. Mais comment en est-on arrivé là?

Quatre DTN différents depuis 2016… 

Certains pointent du doigt les choix du président de la Fédération Française d’Athlétisme André Giraud, qui a changé quatre fois de Directeur Technique National (Patrice Gergès, Anne Barrois, Florian Rousseau puis Patrick Ranvier), dont les deux derniers ne venaient pas du sérail de l’athlétisme. Romain Barras, sorte de sélectionneur dépendant du DTN (André Giraud voulant prendre exemple sur le football), avoue entre les lignes que le manque de continuité a été fatal: "On avait beaucoup de retard sur l’optimisation de la performance, même dans le médical. Tout ce qu’on met en place fera effet boule de neige mais d’ici 2028 plutôt."

Il faudra convaincre en tant cas la ministre des Sports Amélie Oudéà-Castera, qui a convoqué le président de la FFA, le DTN et Romain Barras. "C’est une invitation plutôt, mais disons que c’est difficile de refuser une invitation du ministère. Je ne sais pas si c’est un coup de pression mais la ministre a raison. Elle est dans son rôle et plus on est pour trouver des solutions, mieux ce sera."

La "paranoïa" de la Fédération et celle des coachs 

La FFA mettra en avant ses idées, expliquées par Olivier Vallaeys: "Aujourd’hui, les athlètes sont trop éclatés géographiquement. L’idée est de les regrouper dans un lieu par discipline, pour que les meilleurs français se challengent les uns et les autres au quotidien. Mais c’est difficile de bouger les vieilles habitudes." Car la plupart des athlètes préfèrent rester près de leurs proches, et d’autres ne veulent tout simplement pas travailler ensemble.  

Sans que ce soit la guerre, les entourages par exemple des hurdlers ne verraient pas d’un bon œil une cohabitation au quotidien. Teddy Tamgho et Ladji Doucouré, entraîneurs de Wilhem Belocian et de Sasha Zhoya, ont pu avoir quelques tensions dans le passé. Quand on rajoute dans l’équation le responsable fédéral et coach de Just Kwaou-Mathey, Fabien Lambolez ou Benjamin Crouzet entraîneur de Pascal Martinot-Lagarde, il est difficile de passer outre "une paranoïa fédérale d’un côté et une paranoïa des coachs de l’autre, chacun voulant conserver son pré carré" selon un proche de la Fédération.

"Arrêter de saupoudrer et centraliser l’argent"

Sur la piste d’échauffement de Budapest, juste avant les demi-finales du 110m haies, même si les athlètes s’entendent très bien, Zhoya et Kwaou-Mathey restaient avec leur propre coach et Belocian devait se préparer seul, car Teddy Tamgho était au stade pour entraîner le triple sauteur burkinabé Hughes-Fabrice Zango. Pour forcer malgré tout au maximum les athlètes de se rassembler, la FFA aimerait réserver les aides fédérales à ceux qui feront partie des centres nationaux et en priver les autres.

Un cadre estime qu’il faut "arrêter de saupoudrer et centraliser l’argent pour flécher les trajectoires des athlètes". Une idée battue d’un revers de main par quelques par un proche des athlètes tricolores. "Ça s’appelle l’INSEP de centraliser les athlètes et ça existe depuis quarante ans. C’est un modèle à l’ancienne." 

"Si on se plante, j’assumerai de dire qu’on a été nul"

Dans ce contexte, Romain Barras essaie de mettre en place ses idées depuis un an et demi, et assumera: "Je serai jugé sur le nombre de médailles à Paris, je le sais très bien. Et je ne me défausse pas. La construction d’un projet prend du temps mais je ne vais certainement pas baisser les bras." Reste désormais à travailler avec le ministère des Sports et l’Agence Nationale du Sport, qui sera également au rendez-vous de mardi matin.

"On va se pencher sur les axes d’amélioration pour 2024 et Los Angeles 2028 pour maximiser les chances de médaille", nous fait savoir le ministère. Malgré tout, le directeur de la haute performance Romain Barras ne veut faire rêver personne: "J’ai entendu des gens qui voulaient qu’on vise 6-8 médailles… moi je ne les vois pas, désolé. Il ne faut pas vendre de la médaille pour vendre de la médaille. Il faut amener des conditions pour amener les exploits, mais encore une fois ce sont des exploits." Certains, comme Kevin Mayer, veulent rester optimiste malgré l’encéphalogramme plat actuel: "Il y a un creux mais je les sens bien les jeunes pour l’année prochaine. Et assumez vos paroles, vous les médias. Si l’année prochaine à Paris, on fait beaucoup de médailles, il faudra s’excuser. Et si on se plante, j’assumerai de dire qu’on a été nuls."

Aurélien Tiercin