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Basket: un plan anti-Wembanyama ? Comment les coachs de Betclic Elite préparent les matchs contre le prodige français

Meilleur marqueur, rebondeur et contreur de Betclic Elite, Victor Wembanyama (19 ans, 2,21m) éclabousse le championnat de France de tout son talent cette saison avant de partir à la conquête de l’Amérique. Comment les équipes se préparent-elles à affronter la nouvelle coqueluche de la planète basket, très probable N°1 de la prochaine draft NBA ? Quelle est la meilleure stratégie pour limiter son impact ? Les techniciens qui ont affronté l’intérieur de Boulogne-Levallois et de l’équipe de France ces derniers mois livrent leur analyse à RMC Sport.

Dans quelques mois, quand les staffs de la plus grande ligue de basket au monde souhaiteront museler Victor Wembanyama, Rémy Valin va peut-être recevoir quelques coups de fil. "Ça m'étonnerait que les coachs NBA aient le numéro de téléphone de Rémy Valin", se marre le principal intéressé, actuel coach de Fos-sur-Mer (Betclic Elite). Ils auraient pourtant tort de se priver.

Malgré un exercice difficile et une place de lanterne rouge du championnat de France, l’entraîneur des Byers et ses hommes ont été parmi les seuls à limiter l’impact de Victor Wembanyama (19 ans, 2,21m) depuis l’arrivée du nouveau phénomène du basket français à Boulogne-Levallois l’été dernier. Avec 11 points et 7 rebonds, le très probable futur N°1 de la draft NBA a rendu sa pire copie de la saison en championnat si l’on se fie à l’évaluation (9). De quoi donner l’impression que le staff de la formation des Bouches-du-Rhône a trouvé le secret pour limiter l’impact d’un joueur habitué à planer sur la Betclic Elite depuis plusieurs mois.

"On a dit à nos intérieurs qu’il fallait le bourriner"

"Je ne sais pas s’il y a une recette miracle, tempère Rémy Valin. A l’aller, on avait essayé de faire un plan Wembanyama en le trappant (prise à deux ou plus), en essayant, quand il avait la balle en haut, de l’orienter vers un côté. Finalement, il nous avait fait un match incroyable (32 points, 10 rebonds, 4 contres, 36 d’évaluation) malgré tout ça. Sur le deuxième match, on s’est moins posé la question. Comme on a deux intérieurs puissants que sont Johan Passave-Ducteil et Shevon Thompson, on l’a laissé dans les un contre un avec la consigne de vraiment l’impacter physiquement, de rentrer dans le duel en le poussant. Il était entré dans le duel physique et j’ai trouvé que ça ne lui avait pas réussi. (...) On a dit à nos intérieurs qu’il fallait le bourriner, l’attaquer dans les jambes, dans le ventre, sur toutes ses prises de position: il faut l’impacter physiquement, le faire souffrir là-dessus."

Conscient que Wembanyama était peut-être aussi simplement dans un mauvais jour - "Il est tellement monstrueux que, si on fait le même match avec les mêmes consignes, est-ce qu’il va encore passer au travers ?" -, Rémy Valin ne prétend pas avoir trouvé le plan parfait pour stopper l’intérieur tricolore. Il faut dire que la mission est de taille: quand Wembanyama débarque avec son physique hors-norme dans toutes les salles de France, où le public se presse pour voir de ses propres yeux la nouvelle coqueluche du basket mondial, les coachs se préparent à affronter le meilleur marqueur (21,0 points), meilleur rebondeur (9,7), meilleur contreur (3,2) et meilleur joueur à l’évaluation (25,2) du championnat. Le tout condensé dans un seul et même homme.

Lorsque l’on sonde les techniciens actuellement à la tête d’une équipe de Betclic Elite, la volonté de jouer physique, citée par Rémy Valin, revient avec insistance. "Son point faible ? Physiquement, il a du mal à encaisser les gros babars, les gros costauds, indique Jean-Denys Choulet, coach de la Chorale de Roanne, contre qui Wembanyama a fait sa quatrième moins bonne performance de la saison à l’évaluation (17, le 6 décembre dernier lors d’une lourde défaite des Metropolitans 102-77). Chez nous, j’ai Silvio De Sousa qui est vraiment une bestiole. Quand Wembanyama va au contact, il explose."

Une vision partagée par Kestutis Kemzura, sélectionneur de la Lituanie. En novembre puis en février, dans le cadre des qualifications à la Coupe du monde, il a subi la loi des Bleus et de Victor Wembanyama à deux reprises. "Lors du deuxième match, on a défendu avec nos postes 5. C’était peut-être un peu mieux mais toujours pas assez pour changer le résultat de la rencontre. Il faut être physique, bas, garder le contact avec lui parce qu'il n'est pas encore suffisamment costaud, explique le technicien lituanien. Il faut l'empêcher de dunker facilement, toujours garder le contact et surtout le forcer à jouer en dehors de la peinture."

Le "pari Kahudi" de T.J Parker

Le 9 janvier, lors du choc de Betclic Elite entre l’ASVEL et les Metropolitans, T.J Parker a pris le pari d’envoyer Charles Kahudi, qui rend une grosse vingtaine de centimètres à Wembanyama, en mission défensive sur celui qui est de 17 ans son cadet. Même si l’intérieur de Boulogne-Levallois a donné la victoire aux siens sur une claquette dans les ultimes secondes (84-83), la dureté et la mobilité de Kahudi ont donné du fil à retordre au futur joueur NBA.

"C’était un bon choix de T.J car il a encore ce manque physique, salue Laurent Legname, coach de Gravelines-Dunkerque. Il travaille la muscu mais il est encore assez fluet. Mettre Charles, qui est plus petit mais costaud, solide au sol, ça marche. Ce sont des profils qui vont l’embêter plutôt que des 4 normaux qui font 2m ou 2,05m et qu’il va balader. On peut limiter son impact en envoyant des joueurs comme ça. Nous, on les joue fin avril. Après, le plus compliqué c’est d’avoir des Charles Kahudi dans son équipe (sourire). On fait avec nos moyens. Dans l'idée, on va envoyer des joueurs du même profil." Le fait que l’une des clefs pour freiner Wembanyama repose sur les épaules d’un joueur qui n’a que très peu d’équivalent en France montre l’ampleur du casse-tête. "Envoyer un joueur comme Kahudi ? C’est l’une des possibilités. Mais moi, aujourd’hui, je n’ai pas Charles Kahudi. On n’a pas ça en stock", s’amuse Freddy Fauthoux, coach de Bourg-en-Bresse.

Charles Kahudi (au premier plan) face à Victor Wembanyama le 09/01/2023
Charles Kahudi (au premier plan) face à Victor Wembanyama le 09/01/2023 © Icon
"Un peu comme au judo, il utilise la force de l’adversaire pour rebondir sur sa défense et enchaîner quelque chose derrière."

Selon d’autres techniciens qui ont croisé la route de Wembanyama cette saison, résumer les faiblesses du joueur formé à Nanterre par un manque de dureté physique serait inexact. "Je le trouve assez courageux dans le jeu sans ballon. Il est toujours dans le mouvement et pas facile à trapper, estime Sylvain Lautié (Nancy). Ce n’est pas facile de mettre un joueur physique sur Victor car il est toujours en mouvement, toujours dans l’évitement. C’est dur de l’impacter physiquement et de lui imposer un défi physique. Un peu comme au judo, il utilise la force de l’adversaire pour rebondir sur sa défense et enchaîner quelque chose derrière. Il est intelligent dans le jeu, il fait preuve d’une grande maturité." Le 10 mars dernier, les hommes de Sylvain Lautié ont réussi à limiter Wembanyama à 16 d’évaluation, sa troisième pire performance de la saison. "Il faut tout relativiser. C’est peut-être une de ses pires évaluations mais beaucoup de joueurs se contenteraient d’avoir 16 d’évaluation à chaque match", glisse le coach du SLUC.

L’éloigner du cercle

Pour essayer de ne pas subir la loi de Wembanyama, la plupart des techniciens tentent d’éloigner le joueur et ses 2,21m du cercle. Le calcul est simple: si le joueur des Metropolitans doit scorer, il doit le faire en prenant des shoots extérieurs, là où les pourcentages de réussite sont forcément plus incertains d’un match à l’autre. "Il faut l'empêcher de dunker facilement, toujours garder le contact et surtout le forcer à jouer en dehors de la peinture", résume Kestutis Kemzura. "Nous, on s’est surtout concentré sur le fait de ne lui laisser aucun panier facile que lui donne sa taille. Les claquettes, les dunks, les alley-oops... Tout ça, ce sont des paniers à 100% de réussite, donc on a essayé de les supprimer, renchérit Sylvain Lautié. À un moment donné, ça devient plus difficile de faire un match seulement avec des tirs extérieurs. Au fil de la saison, je trouve qu’il s’écarte de plus en plus."

De l’autre côté du terrain, où Wembanyama est également capable de changer le cours d’un match par ses contres et sa dissuasion, l’objectif est également de le sortir de la peinture. "Son premier impact est en défense", assure même Kestutis Kemzura, dont la sélection lituanienne a été cantonnée à 63 et 65 points lors de la double confrontation contre Wembanyama et les Bleus. On l'avait vu à la vidéo, mais je n'attendais pas à autant d'impact sur le match. Sa mobilité et sa taille lui permettent d'être plus agressif, il peut contrer, changer la direction du shoot."

Le poison Waters, un frein à tout plan anti-Wembanyama ?

Au cours de nos discussions avec les différents coachs de Betclic Elite, un nom est revenu à plusieurs reprises dans les échanges: celui de Tremont Waters. Dans l’ombre imposante de Wembanyama, le meneur de poche américain (1,80m, 25 ans) réalise lui aussi une saison époustouflante. Cinquième meilleur marqueur du championnat (18,2 points), le joueur drafté en 51e position en 2019 par les Boston Celtics est un poison de tous les instants. Ce qui rend forcément la tâche encore plus difficile au moment d’élaborer un plan anti-Wembanyama.

"L’erreur serait de se focaliser sur lui et d’oublier les autres, notamment celui qui est pour moi l’un des meilleurs joueurs du championnat, Tremont Waters", clame Jean-Denys Choulet. "On dit souvent que l’axe 1-5 est essentiel dans le basket. Tremont Waters est certainement l’un des trois meilleurs meneurs du championnat. Waters est bon grâce à Victor et Victor est bon grâce à Waters. Les deux se facilitent le travail", complète Sylvain Lautié.

Selon L'Equipe, Waters ne devrait toutefois plus reporter le maillot de Boulogne-Levallois après une altercation dans le vestiaire avec Steeve Ho You Fat.

"Choisir son poison": pour certains coachs, l’une des solutions lorsqu’on affronte un phénomène comme Wembanyama est de se focaliser sur ses coéquipiers pour tenter de limiter leur impact. Une stratégie qui a sacrément du plomb dans l’aile lorsque l'un des joueurs les plus dominants du championnat évolue dans la même équipe.

Victor Wembanyama et Tremont Waters (N°51) le 09/01/2023 contre l'ASVEL
Victor Wembanyama et Tremont Waters (N°51) le 09/01/2023 contre l'ASVEL © Icon

Un adversaire hors norme

Certains techniciens pointent tout de même l’inexpérience de Wembanyama, sa propension à "se frustrer" lorsque les choses ne vont pas dans son sens ou des choix de tirs "pas toujours judicieux". Il n’empêche: tous sont d’accord pour dire qu’ils n’ont jamais vu un tel phénomène au cours de leur carrière. "Honnêtement, je n’ai jamais affronté un tel joueur. Pourtant, je suis le plus vieux coach de Betclic Elite, je suis le doyen, lâche Jean-Denys Choulet. Au niveau du rapport mobilité-taille-dextérité-shoot... J’ai affronté de très bons joueurs, peut-être meilleurs que lui. J’ai aussi coaché des joueurs plus talentueux que lui. Mais avec tous ces attributs, non. Il est très bon car c’est un joueur de grande taille extrêmement mobile et, en plus, capable de tirer longue distance. Il a toutes les flèches dans le carquois dont, à partir de là, c’est compliqué de le limiter. S’il est dans un jour où il est adroit de loin, il est presque injouable. Il est grand, il saute haut, il va vite, il bouge comme quelqu’un d’1,80m… alors qu’il fait 2,21m."

"On est en train de parler d’un joueur qui peut changer la manière de voir le basket aujourd’hui. C’est un joueur qui peut carrément changer le jeu, clame de son côté Freddy Fauthoux. Il y a eu des monstres du basket. Mais lui, de par son envergure, sa mobilité, son adresse, sa dextérité, est incontournable." Le coach de Bourg-en-Bresse prend notamment l’exemple de Gheorghe Muresan, géant de 2,31m avec qui il a évolué sous le maillot de Pau-Orthez dans les années 1990. "J’ai déjà joué avec un joueur qui mesurait 2,30m. Il avait des mains en or mais se déplaçait comme un joueur de 2,30m, quelqu’un de très lent. Victor fait 2,20 mais se déplace avec une aisance incroyable."

Autre comparaison, plus contemporaine celle-ci: Kristaps Porzingis. Drafté en 4e position par les New York Knicks en 2015, le Letton est le premier joueur à avoir reçu l’étiquette de "Licorne" à son arrivée en NBA. Dès ses débuts, il avait été surnommé ainsi par un certain Kevin Durant: "Il peut tirer, faire les bonnes actions, défendre, il fait 2m20 et peut aisément tirer de la ligne des trois points. C'est rare. Il peut contrer aussi, il est comme une licorne dans cette Ligue", s’était alors extasiée la superstar NBA. Un surnom et une description qui collent désormais à la peau de Wembanyama.

"Il me rappelle un peu Porzingis mais il a ses propres spécificités. Je ne sais pas qui est son modèle mais il ressemble à Porzingis ou Durant, confie Luca Banchi, coach de Strasbourg et sélectionneur de la Lettonie, où il a Porzingis sous ses ordres. Il peut s'en inspirer mais il a son propre style. Je lui souhaite de rester en bonne santé, d'avoir de la chance parce que je pense qu'il va changer le jeu. Il est un de ces gars qui peut changer le basket dans les prochaines décennies." Les coachs NBA sont prévenus. Et, si jamais, ils peuvent toujours envoyer un petit SMS à Rémy Valin.

Par Félix Gabory (avec Cyril Camacho et Maria Azé)