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NBA: Max Lefèvre, le Français qui murmure à l'oreille des coachs américains

Max Lefèvre (à droite) avec Chris Beard à Texas Tech

Max Lefèvre (à droite) avec Chris Beard à Texas Tech - DR/Max Lefèvre

Parti aux Etats-Unis à dix-huit ans pour tenter sa chance dans le basket universitaire, Max Lefèvre a vite dévié de trajectoire, pour emprunter la voie du coaching. Après des débuts auprès de jeunes dans le Kansas, puis six saisons en NCAA, qui l’ont conduit au mythique Final Four, le technicien de trente-deux ans a intégré à l’été 2019 le staff des Minnesota Timberwolves, en NBA. Il nous raconte son parcours.

Il est un peu plus de 21h en France, et donc un peu moins de 15h à Oklahoma City, en plein cœur des Etats-Unis. A l’autre bout du fil, Max finit de décortiquer depuis sa chambre d’hôtel les systèmes du Thunder de Chris Paul, Steven Adams et Dennis Schröder. Le match du jour approche, la tension monte, forcément, mais le coordinateur vidéo des Minnesota Timberwolves, également en charge du développement individuel des joueurs, s’accorde une pause pour raconter son parcours et son quotidien.

Il parle de "shootaround", enchaîne les acronymes en tout genre, et prononce le mot "basket" avec le même accent ricain que George Eddy. Pourtant, Max s’appelle Maxime Lefèvre, il a grandi du côté de Longwy, en Meurthe-et-Moselle, et demeure bel et bien français. Ce qui fait toute sa spécificité. Alors que la colonie de joueurs tricolores en NBA n’a cessé de se développer depuis la fin des années 90 et Tariq Abdul-Wahad, alors que Tony Parker, Boris Diaw, Rudy Gobert et les autres ont chauffé durant des saisons, et chauffent toujours, les parquets du plus prestigieux des championnats, Max Lefèvre est un pionnier dans le milieu très fermé du coaching à l’américaine, avec Bateko Francisco, qui a rejoint le staff du Utah Jazz en août 2018.

A trente-deux ans, Max a intégré l’équipe technique de Ryan Saunders, l’entraîneur en chef des Wolves, actuels onzièmes de la conférence Ouest. Entré en NBA sur la pointe des pieds, le Lorrain compte bien s’y faire une place. Et un nom?

Lorraine-Texas, aller simple

L’histoire de "coach Lefèvre", c’est d’abord celle d’un ado passionné de basket et qui rêve d’Amérique. Ailier de formation, passé par Longwy, l’ESPE Châlons en cadets France ou encore Joeuf, Max décide à dix-huit ans de traverser l’Atlantique pour aller tenter sa chance en universitaire. "Je suis parti en prep school en Alabama, ensuite j’ai joué en NCAA II (la deuxième division, ndlr) et en NAIA, raconte-t-il. Mais je me suis un peu blessé pendant ma troisième et ma dernière année. J’ai eu quelques problèmes de dos. J’aurais sans doute pu rentrer en France et jouer à un niveau moyen, en N1 ou N2 je pense." Ce qui ne l’excite pas plus que ça… Alors pour continuer dans l’univers du basket, Max s’engage sur l’autre voie: le coaching.

Max Lefèvre (en costume)
Max Lefèvre (en costume) © DR/Twitter

Sans aucune expérience, si ce n’est celle de joueur, le Français commence par entraîner des enfants dans le Kansas pendant quelques mois. Il y prend goût mais est vite rattrapé par la réalité. "Pour pouvoir rester aux Etats-Unis, soit quelqu’un te sponsorise pour avoir un visa de travail, ce qui est très dur à obtenir, soit tu dois faire ton master, explique-t-il. La façon la plus facile pour poursuivre dans le coaching, c’était pour moi de suivre un programme de 'graduate assistant' dans une fac. En gros, ils te payent ton master, et toi tu travailles comme assistant avec eux, sans être vraiment un employé. C’est du donnant-donnant."

Au détour d’une conversation sur un joueur tricolore que Max avait aidé, le Frenchie se voit justement proposer un poste de "graduate assistant" à Angelo State (Texas), auprès d’un certain Chris Beard. Maxime Lefèvre a vingt-quatre ans et vient, sans le savoir, de rencontrer son mentor.

Avril 2019, la folie du Final Four

Dans le monde du coaching universitaire, Chris Beard est aujourd’hui l’un des techniciens les plus cotés d’Amérique du Nord, élu coach de l’année par Associated Press et CBS en 2019. Mais quand Max le rejoint, en 2013, Beard vient seulement de prendre en main une formation de deuxième division. Pendant deux saisons, le duo fait connaissance. Max se forme au métier et obtient peu à peu la confiance de l’entraîneur principal, en même temps que son diplôme. En 2015, Beard et Lefèvre migrent à Little Rock, en NCAA I cette fois. "Entre-temps je me suis marié avec une Américaine, donc ça a facilité ma situation administrative, c’est comme ça que j’ai eu ma Green Card", s’amuse Max. Salué pour son travail dans l’Arkansas, Beard est appelé en 2016 par la très grosse (et très riche) université de Texas Tech. Une fois de plus, il glisse le Français dans ses bagages.

Chez les Red Raiders, Max découvre déjà un autre monde. "La première année est moyenne, la deuxième année, on franchit un cap et on va au Elite Eight (le top huit du tournoi national, ndlr), et puis la saison dernière on va jusqu’au Final Four", raconte-t-il. Pour contextualiser, le Final Four NCAA n’est autre que le deuxième événement sportif le plus populaire aux Etats-Unis, seulement dépassé par le Super Bowl de la NFL. "C’est inexplicable tellement c’est démesuré, confirme Max. Les gens me disaient: 'Si tu vas au Final Four tu vas vivre un truc énorme'. Moi j’étais là à me dire plutôt: 'Ouais, c’est un match de basket quoi', mais une fois que t’es dedans, wow…"

Max Lefèvre (en noir) avec Chris Beard lors du Final Four NCAA 2019
Max Lefèvre (en noir) avec Chris Beard lors du Final Four NCAA 2019 © DR/Max Lefèvre

Encore plus quand Texas Tech atteint la grande finale contre Virginia. "La médiatisation, les entraînements ouverts au public devant 20.000 personnes, c’est insensé, poursuit Max. Au match il y avait 72.000 spectateurs, ça se jouait dans un stade de NFL. Quand t’es en plein milieu, ça fait bizarre. Ils ne parlent que de ça à la télé pendant une semaine, c’est une expérience énorme." Et utile: si Texas Tech s’incline dans le match pour le titre (85-77, le 8 avril 2019), Max, qui avait déjà commencé à tisser un petit réseau en NBA, voit une nouvelle porte s’ouvrir…

On lui disait la NBA "inaccessible", et pourtant…

"A Texas Tech, j’étais 'director of player development', précise Max. C’est-à-dire que je travaillais sur tout ce qui était développement individuel des joueurs, et beaucoup sur l’attaque aussi. Le coach me faisait confiance, ça faisait six ans qu’on était ensemble, donc il me confiait beaucoup de responsabilités, j’étais un peu son bras droit. L’étape suivante aurait dû être de passer littéralement assistant, mais en NCAA, le principal travail d’un assistant est le recrutement. Tu n’es jugé que là-dessus, et moi ça ne m’intéressait pas vraiment, j’étais plus branché basket. Aller dire à des gamins de seize ans qu’ils sont les meilleurs du monde parce que tout le monde le fait, ce n’est pas ma came. On m’a expliqué: 'Le seul endroit où tu peux vraiment te concentrer sur le basket, c’est chez les pros, en NBA'."

Sauf que la frontière entre le monde universitaire et le monde professionnel est très, très délimitée. "Je n’y pensais pas trop, à la base c’était inaccessible pour moi. Plusieurs personnes m’ont dit: 'Ça n’arrivera jamais, c’est un autre monde'. Ce qu’il faut savoir, c’est que la NBA et la NCAA sont deux choses très différentes. Il y a très peu de coachs qui passent de l’un à l’autre. Certains head coachs ont commencé par l’universitaire, comme Brad Stevens (Boston) avec succès, mais la plupart se sont plantés. Pareil en termes d’assistants. Si en plus tu n’es pas un ancien joueur de NBA, c’est difficile de rentrer dans un staff…"

Max Lefèvre (à droite) lors de son passage à Texas Tech
Max Lefèvre (à droite) lors de son passage à Texas Tech © DR/Max Lefèvre

Cela n’a pourtant pas empêché Lefèvre d’être approché par le Utah Jazz à l’été 2018, puis les Dallas Mavericks et les Philadelphie 76ers en 2019. Jusqu’à un coup de fil de Ryan Saunders, fraîchement nommé sur le banc des Minnesota Timberwolves avant l’été. "Il m’a appelé pour participer à un stage estival où ils font venir plein de joueurs aux portes de la NBA pour les tester, se souvient Max. Dans ces cas-là, ils invitent aussi souvent d’autres coachs externes, et mêmes des étrangers pour les aider durant l’événement et pour faire un peu connaissance. Ça s’est bien passé, j’ai parlé dix-quinze minutes avec le coach Saunders, et voilà. C’était cool, c’était une bonne expérience, mais je pensais passer à autre chose. Et dans la foulée, il m’a rappelé pour me proposer le poste. Deux jours plus tard, j’étais là-bas. Pour un gars comme moi, un Européen qui n’a pas joué à haut niveau, c’était une opportunité incroyable, je n’ai pas réfléchi à deux fois."

"Je me retrouve à côté de Steph Curry et de Steve Kerr"

Pour voir le monde pro, il a pourtant fallu faire quelques concessions. En termes de qualité de vie, les hivers à Minneapolis étant légèrement plus rudes que ceux dans le Texas (c’est un euphémisme), mais aussi d’un point de vue financier. Car la NBA ne rime pas avec jackpot pour tout le monde. "Financièrement, ça aurait été plus intéressant de rester en NCAA, j’aurais pu gagner bien plus avec ce qu’ils me proposaient à Texas Tech que ce que je touche aujourd’hui, assure Max. L’universitaire, ça dépend d’où tu te trouves, mais Texas Tech, c’est le Big 12, il y a beaucoup d’argent."

De l’argent, mais peut-être pas la même magie. "C’est difficile de réaliser, parce que tout s’enchaîne très vite, observe le Français. Mais des fois, avant les matchs, je suis au bord du terrain, et je vois James Harden ou des gars comme ça s’échauffer, et je suis à cinq mètres quoi… Pareil quand tu sors de l’hôtel, tu ne vois que des Rolls-Royce et des Ferrari devant, la NBA c’est un autre univers. Je me souviens aussi d’un moment en présaison, lorsqu’on a joué Golden State à San Francisco. Ça devait être mon premier déplacement. Ils avaient "shootaround" (séance de tirs, ndlr) avant nous, et ils étaient encore sur le terrain quand on est arrivé à la salle. Je rentre sur le parquet, je me retrouve à côté de Steph Curry, Draymond Green, D’Angelo Russell, le coach Steve Kerr. C’était un de nos premiers matchs de présaison. Je me suis dit: 'Maintenant il va falloir se mettre au travail'."

Du basket le matin, du basket le midi, du basket le soir

Le travail, parlons-en. Max Lefèvre étant avant tout coordinateur vidéo pour les Timberwolves, son job se résume en bonne partie… à la vidéo. "J’avais un peu plus de responsabilités en NCAA, convient-il. Là il faut un peu recommencer, gagner la confiance du coach. C’est beaucoup de vidéo, effectivement, et un peu de développement individuel avec les joueurs."

Et l’ancien ailier fort de décrire sa journée-type: "Une journée sans match, vu que le coach est bien matinal, on arrive à 7h à la salle. En général, on doit terminer de coder (préparer les séquences vidéo), de découper les matchs de la nuit d’avant. On voit ce dont les assistants ont besoin pour leur briefing. A 9h-9h30, on a un meeting avec les coachs, on met tout en place pour l’entraînement. Vient donc ensuite l’entrainement vers 11h, parfois c’est rapide, parfois non. Après le meeting avec le coach, il y a environ quarante minutes où les joueurs sont divisés sur chaque panier. Tu dois les aider. A la fin de l’entraînement, il y a également des joueurs qui aiment bien rester pour travailler leur shoot, là-aussi tu dois être là pour eux. Et vers 14h, les joueurs partent."

Ryan Saunders (à droite), le coach principal des Minnesota Timberwolves qui a recruté Max Lefèvre
Ryan Saunders (à droite), le coach principal des Minnesota Timberwolves qui a recruté Max Lefèvre © AFP

C’est à ce moment de la journée que le staff, actif depuis le petit matin, a un peu de temps libre. "Tu peux faire de la muscu, ou aller courir si tu veux, détaille Max. Ce qui est bien, c’est qu’en termes de nourriture, tu peux prendre tous tes repas à la salle, avec un chef perso qui prépare tout. Le matin, le midi, il y a toujours à manger. Tu ne perds pas de temps, tout est optimisé pour le travail." Qui reprend en fin d’après-midi, forcément… "Le soir il faut coder un ou deux matchs, ça dépend du calendrier qui arrive. Mais généralement, c’est beaucoup de vidéo." Avec une manière bien à lui d’éviter l’overdose. "La vidéo est parfois un peu lassante, mais en même temps le basket universitaire et la NBA sont assez différents, donc ça me permet d’apprendre la NBA, les systèmes, les actions, les tendances des joueurs, leurs points forts et leurs points faibles, les habitudes des coachs. Quand c’est un peu lassant, j’essaye de remettre les choses en perspective: je me dis que j’en ai besoin."

Et rebelote les jours de matchs, avec du codage avant la rencontre, pour peaufiner les derniers réglages, mais aussi après, à la fois pour débriefer et préparer l’affrontement suivant, généralement moins de quarante-huit heures plus tard.

"Des fois, tu te réveilles, tu ne sais même pas dans quelle ville tu es"

Vous l’aurez compris, le rythme est particulièrement soutenu. "Honnêtement, la plupart du temps, je ne sais même pas si on est lundi, jeudi ou dimanche, confesse Max. Ma vie est juste rythmée par les matchs, ce qui m’importe est de savoir si on est jour de match ou pas. Quand on a deux ou trois jours entre deux rencontres, ce qui n’arrive vraiment pas souvent, en général le coach nous donne un jour off. Mais même là, tu vas au bureau, parce qu’il y a toujours un peu de vidéo à faire ou un joueur qui veut bosser son shoot. Il y a aussi le système de 'blackout day', où cette fois le coach t’interdit tout simplement de venir. Combien on en a eu depuis le début de la saison? Un seul. (Rires.)"

Petit détail au tableau: Max vient tout juste d’avoir… un enfant. Son premier. Mais le jeune papa, heureux de sa nouvelle vie, se veut philosophe. "Pour tout vous dire, le rythme était encore plus soutenu à Texas Tech, s’amuse-t-il. Le coach Beard, lui, était un vrai fou de travail. Je crois que j’ai un peu plus de temps libre aujourd’hui." Quand il ne voyage pas, du moins. Et c’est là que le bât blesse. Une saison de NBA, pour chaque équipe, chaque joueur, et donc chaque membre du staff, se compose de quatre-vingt-deux matchs. Dont quarante-et-un à l’extérieur, parfois à l’autre bout des Etats-Unis, à cinq heures de vol. "Là, on est sur un road trip, c’est-à-dire qu’on est parti mardi de Minneapolis, on est arrivé à Dallas, où on a joué mercredi, puis directement après le match on est allé à Oklahoma City…" 

Suivront une étape à Los Angeles, chez les Lakers, puis une dernière à Phoenix, chez les Suns, avant de rentrer enfin dans le Minnesota. "Avant de prendre le poste, les gens me disaient que la plus grosse différence avec la NCAA, c’était les voyages. Ça ne s’arrête jamais, lance Max. Des fois, tu te réveilles, tu ne sais même pas dans quelle ville tu es, parce que tu es arrivé à deux heures du matin à l’aéroport et qu’on t’a emmené direct à l’hôtel. Alors tu ouvres la fenêtre: si tu vois des montagnes tu es probablement à Salt Lake City ou Denver, s’il fait vraiment beau c’est Phoenix ou Los Angeles. Je ne dirais pas que c’est dur parce que bon, tu profites d’avions privés, tu es dans des hôtels cinq étoiles, mais c’est usant pour l’organisme. En plus, après les matchs, tu as toujours plein de travail à faire. Mais ça va, je supporte bien."

Gravir les échelons

L’avantage de la vie dans les transports, c’est que ça créé des liens. Entre coachs, et avec les joueurs. Stars de la NBA, grands noms du basket mondial, Karl-Anthony Towns ou Andrew Wiggins sont avant tout des collaborateurs pour Max, des compagnons de voyage.

"Ce sont des gars comme tout le monde, rassure le Français. En dehors du terrain, ils n’ont d’ailleurs pas trop envie de parler basket en général, ils préfèrent parler musique, actu et tout. Ils n’ont pas envie d’évoquer leur jeu perso. On échange pas mal dans le bus, dans l’avion. Une fois que tu travailles avec eux, il n’y a plus de stars NBA, ce sont des mecs que tu dois aider au travail, que tu dois aider à progresser. En général, ils sont à l’écoute, ils sont cool, n’ont pas la grosse tête. Ils ne te font pas comprendre que toi tu n’étais pas un joueur NBA ou quoi que ce soit. T’es un gars de l’équipe pour eux, ça c’est bien."

Karl-Anthony Towns (premier plan) et Andrew Wiggins
Karl-Anthony Towns (premier plan) et Andrew Wiggins © AFP

Quant à son "head coach", Ryan Saunders, Max le décrit comme un entraîneur "ouvert". "Il y a dix personnes dans le staff, mais les échanges avec lui sont quotidiens", dit-il. Reste désormais au technicien français à faire ses preuves, à gagner la confiance du milieu, pour, peut-être, gravir les échelons… "Mon objectif serait de retrouver un peu plus de responsabilités, reconnait Max. Faire moins de vidéo et plus de travail sur le terrain, un peu comme à Texas Tech. Mais je savais qu’en passant de NCAA en NBA, il fallait redescendre d’un cran. Maintenant, à moi de remonter."

Et l’assistant de finir sur une note patriote: "Pour le moment, je pense que je resterai ici, mais je ne ferme aucune porte. Je reste français, quand je peux je mate un match de Pro A ou d’EuroLeague, j’aime beaucoup le basket européen. Alors je ne dis pas qu’un jour, si j’ai une opportunité, je dirai non. Je suis toujours ouvert à de nouvelles aventures."

Clément CHAILLOU