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Cyclisme: des drones pour filmer le Tour de France, "rien n’est acté mais on y pense"

Utilisés mardi dernier à Auxerre pour la première fois dans une course World Tour lors du chrono par équipes de Paris-Nice, les drones et leurs images spectaculaires de coureurs lancés à parfois plus de 90 km/h ont semblé faire l’unanimité. Reste à voir comment utiliser ces engins volants en toute sécurité dans le contexte de courses très populaires comme le Tour de France ou Paris-Roubaix. Des discussions auront lieu à ce sujet dans les prochains jours entre les principaux acteurs du dossier.

L’image vaut parfois mieux que le son. Et devant nos télés mardi dernier, il ne fallait pas être de grands experts en lecture labiale pour comprendre que bouche grande ouverte dans l’aire d’arrivée du contre-la-montre par équipes de Paris-Nice, l’Espagnol Marc Soler, heureux d’avoir remporté l’étape avec UAE Team Emirates venait de lâcher un énorme "Ouah!" à la vision d’une séquence filmée au drone. En l’occurrence un plan impressionnant montrant vu de dessus le passage de sa formation sur une route des bords de l’Yonne.

"Des retours qu’on en a eus, ils ont tous surkiffé", confirme Anthony Forestier, le réalisateur des grandes courses cyclistes françaises dont Paris-Nice. "Certaines équipes nous ont même sollicités pour qu’on leur fasse passer les images". Confirmation chez Décathlon-AG2R La Mondiale qui n'a pas encore pu se procurer les vidéos mais qui compte bien pouvoir le faire. "Le vélo a besoin de ces images novatrices s'emballe Julien Jurdie, le directeur sportif emblématique de la formation française. "Moi j'adore, ça se fait dans le ski notamment et c'est génial. Il faut profiter de cette technologie, c'est indispensable".

Un drone de 750 grammes à la vitesse de pointe de 150 km/h

S’il y allait au départ à tâtons, Anthony Forestier ne peut que constater quelques jours plus tard l’engouement général sur le sujet. Utilisés pour la première fois lors d’une épreuve de cyclisme sur route en World Tour, les drones l’avaient déjà été l’an passé lors des coupes du monde de cyclo-cross, puis de VTT. Après les retours très positifs sur ces épreuves-là, le réalisateur a tenu à discuter avec l’Union Cycliste Internationale (UCI) et Amaury Sport Organisation (ASO) pour voir dans quelle mesure ces drones pourraient être testés lors d’une course sur route.

Car si cela peut paraître assez simple, les contraintes sont en réalité très nombreuses. Sécurité oblige, impossible par exemple en l’état actuel des lois de faire voler le drone en agglomération en France. Il fallait du coup choisir lors du chrono par équipes un endroit dans la campagne alentour d’Auxerre avec peu voire pas du tout de public. Fut donc élu un faux plat descendant où la réalisation se doutait d’expérience qu’il n’y aurait pas grand monde au bord de la route. Autre contrainte, l’impossibilité réglementaire de s’approcher à moins de 5 mètres des coureurs.

Finalement lancé à la poursuite des équipes en file indienne, le drone utilisé, 750 grammes tout mouillé et capable d’aller à 150 km/h a ainsi permis de produire des plans de 30 à 40 secondes et mis en lumière les vitesses très élevées atteintes par les coureurs, en l’occurrence au maximum sur le chrono par équipes, 93 km/h. Sensations garanties, et éprouvées derrière nos écrans de télé. "On a presque l’impression que c’est un jeu vidéo" s’émerveillait en direct Philippe Gilbert, champion du monde 2012 reconverti consultant sur Eurosport.

Et maintenant des drones sur le Tour de France?

"On est vraiment avec les coureurs", abonde Anthony Forestier. "L’idée c’est de montrer que ce sont des super pros avec un brin de folie. On veut faire comprendre à tous les gens devant leur télé que ce sont des gladiateurs. On veut dire à ceux qui n’y connaissent rien: "vas-y, prends ton vélo, mets-toi à 40 km/h et tu vas voir déjà comment ça souffle. Là ils sont à 93km/h. Prends ta voiture et vois ce que c’est 93 km/h'. Mais les coureurs eux sont sur des boyaux minuscules."

Le rendu, bien que très perfectible notamment en termes de qualité d’images, a semble-t-il séduit les téléspectateurs et l'organisateur ASO, en quête d’attirer un public toujours plus large et conscient du potentiel très attractif de ce genre de plans en caméra quasi embarquée. "On est obligés de toujours innover si on veut coller à la façon dont les publics les plus jeunes consomment le sport à la télé", explique-t-on du côté de la direction de course, forcément emballée à l'idée de voir des drones filmer le Tour de France cet été. Une innovation potentielle de plus: l'an passé déjà sur la Grande Boucle, ASO et France Télévisions avaient permis aux téléspectateurs comme lors des Grand Prix de F1 d'entendre pendant la course certaines conversations radio entre les directeurs sportifs et leurs coureurs.

Fort de ce constat, Anthony Forestier en profite pour voir plus grand et s’imagine pouvoir utiliser des drones dès le Tro Bro Leon ou Paris-Roubaix. Et sur le Tour? "On y pense. Rien n’est acté mais on y pense. Il y a deux chronos sur le Tour cette année, et puis l’étape autour de Troyes avec les chemins blancs qui va être spectaculaire. On va très vite se mettre autour d’une table avec l’UCI, ASO, les équipes, et se demander si ça vaut le coup. Ça semble être le cas, donc on va réfléchir à la façon de pouvoir faire ça en toute sécurité."

"Le drone est là pour nous mettre dans la peau des coureurs"

Autre détail à gérer, dans l’hypothèse d’une utilisation du drone lors du prochain Tour de France, la question de la logistique pure. Sur le chrono par équipes de Paris-Nice, il y avait seulement vingt-deux passages à filmer, avec un écart de 4 minutes environ entre chaque équipe. Or, dans la perspective de chronos individuels sur le Tour de France, il faudrait potentiellement envisager de filmer 176 coureurs avec un intervalle d’une minute trente entre chacun d’entre eux. Pas tout à fait la même chose quand on sait que le pilote du drone assisté par une autre personne pour éviter tout obstacle ne peut faire voler plus de 20 minutes d’affilé l’aéronef à cause de la faible autonomie des batteries. Il devrait par ailleurs sans cesse opérer des aller-retours avec l’appareil sur plusieurs centaines de mètres. Sans compter qu’à la moindre rafale de vent, le drone ne peut plus décoller, au risque sinon de s’écraser en vol.

"On doit réfléchir à la meilleure façon de mettre ça en place", poursuit Anthony Forestier. "Mais quoi qu’il en soit, le drone reste un excellent moyen complémentaire pour rendre le plus beau produit possible". Complémentaire de la caméra moto qu'il n'a pas vocation à remplacer dans l'immédiat. Complémentaire aussi de l’hélicoptère dont les caméras hyper stabilisées ne pourront pour le coup jamais être concurrencées. "Mais l’hélicoptère ne raconte pas la même histoire. Il est là pour montrer les paysages, les monuments, ou pour mettre l’accent sur des cassures entre différents groupes en train de se scinder. Le drone lui, c’est pas du tout la même chose. Il est là pour nous mettre dans la peau des coureurs".

Du côté des équipes, on salive d'avance à la perspective de pouvoir récupérer régulièrement de nouveaux types d'images, comme autant de feedback supplémentaires pour progresser. "Chez Décatlhlon-AG2R, on travaille beaucoup avec la vidéo", explique Julien Jurdie, le directeur sportif. "Tous les jours, je fais un débrief des images avec notre spécialiste de la vidéo. Récupérer des images d'un drone ça pourrait vraiment être intéressant pour analyser le positionnement des coureurs dans le peloton pendant la course. Tu peux avoir des supers jambes, si tu es mal positionné, tu ne peux pas être devant. Donc il y a une grosse bagarre sur le positionnement, et le drone pourrait nous faire progresser en la matière, sur des sprints ou pendant des classiques."

Arnaud Souque