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A Saint-Étienne, toute une ville retient son souffle avant le barrage retour contre Auxerre

À quelques heures de son barrage retour à suspense où le maintien dans l’élite de l’ASSE ne tient qu’à un fil après le match nul (1-1) décroché jeudi à Auxerre, lors de la manche aller, toute une ville se ronge les ongles dans l’angoisse d’une descente en Ligue 2. À Saint-Étienne, quand l’ASSE va, tout va. Alors, à l’inverse… Reportage au cœur d’une cité qui oscille entre angoisses et espoirs.

Long. Interminable. Inclassable. Tout est long, interminable et finalement inclassable pour ceux qui aiment les Verts, dans cette 69e saison dans l’élite du football français depuis sa naissance en 1933. Que ce soit les mois, les semaines, les matches, les scénarii, les (rares) victoires sans lendemain, les désillusions, les temps additionnels, les promesses de nouveaux propriétaires, les tergiversations des actuels dirigeants, les dérives de quelques "fans" et tous les autres ingrédients indigestes de cette saison 2021-2022 étouffante à souhait.

Et on ne parle pas de la chaleur qui enveloppe, en cette fin mai, la place de la mairie où Gael Perdriau, le premier magistrat, l’avoue depuis son large bureau au 1er étage : "Ce dimanche, on voudrait, dès le lever du soleil être déjà à la fin de la journée, et connaître le résultat de ce match retour face à Auxerre. Oui, toute la ville retient son souffle."

Une tension palpable

Long, interminable et donc inclassable, c'est aussi le cas de ce long week-end de l’Ascension, où les Stéphanois aimeraient faire leur pont à eux, celui qui relierait l’exercice pathétique 2021-2022 (18e rang avec 32 petits points au compteur pour 7 succès, 20 défaites et surtout 77 buts encaissés) au suivant, en 2022-2023, qu’ils souhaitent moins chaotique. "Je serai tendu, comme malheureusement c’est le cas depuis le début de la saison, pressent Julien Jurdie, manager de l’équipe cycliste AG2R Citroën, fan absolu du club, avec le blason de sa ville de naissance sur la peau. Il y aura de la crispation, de l’appréhension, de la tension. Quand on est Stéphanois, on est supporter des Verts à vie. Quand on sent un tel précipice, cela crispe une ville et même un département."

Et même loin du Forez, Cyril Dessel, porteur du maillot jaune du Tour de France en 2006 pendant trois jours, né à Rives de Gier entre Lyon et Saint-Étienne, va vivre un dimanche, long, interminable et inclassable. Et pas seulement parce qu’il dirigera ses cyclistes en lice sur les Boucles de la Mayenne : "Dimanche, c’est en mode 'directeur sportif' le matin, et puis cela va monter crescendo dans la journée. Et sur la route, je vais être au volant avec la radio, comme guide pour suivre cela en revenant vers ma maison des faubourgs de Saint-Étienne."

Ancien coureur cycliste professionnel mais toujours dans le milieu, il sait ce qu’il doit à son lieu de naissance. "À chaque fois que je suis quelque part, on sait d’où je viens et on me parle des Verts, c’est comme ça, souffle-t-il. Mais bon, cette année, on ne me chambre pas beaucoup car on est tellement au fond du trou..." Un peu de compassion parait-il. Et pour lui, un peu d’apaisement dans cette saison qu’il pensait même terminée samedi dernier au moment du coup d’envoi de la 38e et dernière journée de Ligue 1 à Nantes.

"C’est un sentiment partagé car il y a à la fois de l’angoisse et de l’espoir, d’autant qu’on n’imaginait pas en être là à la mi-saison avec ces douze points à Noël. À ce moment-là, j’étais pessimiste quant à nos capacités de revenir dans le jeu. Du coup, ce qu’il se passe, c’est inespéré. De revenir de loin, cela porte un peu. Et puis, je pensais qu’on allait perdre à Nantes, en termes de jeu, je ne voyais pas d’autres issues. Ce but d’Hamouma qui nous permet d’accrocher ce barrage in-extremis, c’est un peu de notre destin."

Un monument en péril

Revenus du diable Vauvert, les cyclistes-supporters veulent croire justement en cette égalisation: "Elle a donné de l’énergie à tout le monde, ressent Julien Jurdie, revenu entre deux courses dans sa maison proche du Chaudron. Tout le monde s’est vu en Ligue 2 la semaine dernière. Nous avons vécu une saison très, très mauvaise. Je suis de tout cœur avec le staff avec ce patrimoine du foot français." Le patrimoine, le mot est lâché. Celui du foot français, selon leurs avis, forcément un poil subjectifs : "Le peuple stéphanois mérite cela et la Ligue 1 aussi, car sans les Verts, cela n’a pas le même goût. La Ligue 1 serait triste sans nous. C’est un bonheur pour les joueurs et les supporters de venir à Geoffroy-Guichard où il y a une ambiance extraordinaire", avoue Julien Jurdie.

Quand Cyril Dessel, lui, prend l’histoire du ballon rond en France à témoin : "Saint-Étienne est une ville populaire, attachée à son club aux dix titres de champion de France. Le PSG vient, seulement d’avoir aussi ce nombre là, et bien, l’ASSE l’a depuis longtemps. Le PSG n’a fait qu’égaliser les Verts, pas mal, non. C’est écrit, c’est factuel." Mais c’était avant, un palmarès et une armoire à trophées remplie au siècle dernier dans les années 1970, que seule une Coupe de la Ligue en 2013 a dépoussiérée.

Mais avec deux allers et retours (1984, 1996 et 2001 pour la version "descente", 1986, 1999 et 2004 en version "remontée") entre les deux étages du football professionnel tricolore : "Le foot fait partie de la ville, c’est son cœur, son poumon et sa tête, détaille Gael Perdriau, le maire de Saint-Étienne. Quand l’ASSE va, le moral va. Cela créé un climat de bonne humeur. Même s’il faut relativiser car il y a beaucoup d’autres sujets importants dans l’actualité. Cela créée une activité importante dans l’année, notamment les soirs de grandes affiches."

"L’ASSE a un impact incroyable"

À peine né au moment des batailles homériques en noir et blanc des Verts de Saint-Étienne, gagnées à Kiev ou Hambourg et perdues, à Glasgow face à Munich, Julien Jurdie témoigne de cet attachement, même quand il vit à cause de son travail sur les routes des grands tours cyclistes, très souvent loin de "son" Geoffroy-Guichard: "Stéphanois depuis 49 ans, je peux vous assurer que l’ASSE a un impact incroyable au niveau social, économique et en terme d’amour et de passion. Quand je reviens sur la ville et qu’il y a une victoire, on sent une atmosphère plus cool, les gens avec le sourire. Et l’inverse est vrai quand l’ASSE accumule les déboires. Il y a beaucoup de tristesse au quotidien."

Le foot est devenu une entité privée en 2022, loin du lien indéfectible entre mairie et club, où le nom du président élu à l’époque par un conseil d’administration de barons locaux était plus souvent qu’à son tour choisi dans le bureau du maire. La ville ne dépend plus uniquement des rebonds capricieux sur les poteaux carrés d'hier, et ronds aujourd’hui. "Depuis les grandes années, Saint-Étienne s’est reconstruit sur d’autres piliers avec ses 28.000 étudiants, l’émergence des start up, un taux de chômage assez bas. Le foot est une passion, notre histoire et notre identité, mais il y a autre choses." Mais le foot reste quand même un bon baromètre : "Les Verts, c’est le cœur, les poumons et la tête de la ville", résume l’édile.

Saint-Étienne–ASSE, Gael Perdriau y voit un autre lien, la résilience de la ville: "La résilience, on connait à Saint-Étienne. Nous avons toujours su nous redresser. La ville se fait appeler la ville à 1000 brevets, cela veut dire qu’elle sait s’adapter. Et dans le sport, c’est pareil. Nous n’imaginons pas Saint-Étienne en Ligue 2 même si la place du moment s’explique. La ville est derrière l’équipe pour la sauver."

Un derby à préserver

Au volant de sa voiture, de retour dans le Forez, Cyril Dessel sait qu’il devra aussi compter sur quelques forces venues d’ailleurs : "Je sais par contre qu’il va falloir des petits coups de pouce du destin car notre niveau sportif est très, très faible. Notre place n’est pas due au hasard. Si on s’en sort, on reviendrait de très, très, très loin." Et l’ex-maillot jaune du Tour voit déjà un pont plus loin : "Si on s’en sort, le travail ne sera pas terminé car derrière, il faudra faire des choses pour reconstruire un réel projet pour montrer un autre visage. Il faut que cette saison serve d’électrochoc pour la suite."

En parlant de patrimoine, il y a le derby. On veut parler du "vrai derby, l’unique, le vrai" (Julien Jurdie), OL-ASSE: "Je suis allé au match face à Clermont. Sur le papier, c’est un derby car les deux villes sont séparées de 150 kilomètres, mais ce n’est pas pareil." N’allez donc pas lui parler d’un autre derby, face à Grenoble ou Annecy, autres pensionnaires de Ligue 2 de Rhône-Alpes. "Je suis un anti-lyonnais au niveau foot, même si au niveau de la ville, j’adore Lyon, détaille le manageur d’AGR2 Citroen. Mais je serai triste si l'ASSE descendait car il n’y aurait plus 'LE' derby. Donc, rien que pour cela, ces affrontements deux fois l’an, tout cet engouement entre les deux villes le temps des matchs, je souhaite que les Verts restent en Ligue 1 pour qu’en 2023, nous ayons ces matchs là."

Et face à Annecy ou Grenoble, deux villes régionales qui évoluent à l’étage du dessous ? "Non, mais cela n’a pas la même saveur. Le derby, c’est Lyon." Histoire que le dernier derby en date, 124e du nom, disputé un soir de janvier 2022 en mode "jauge réduite" au cœur de la pandémie de Covid 19 n’attende pas des lustres, le suivant !

Edward Jay, à Saint-Étienne