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Faut-il presser plus pour gagner plus?

RMC Sport vous propose une série d'explorations statistiques. Après la possession et les corners, place au pressing, phase de jeu complexe que les analystes tentent de quantifier.

"Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui peut être compté ne compte pas forcément." Recours paresseux, l'aphorisme d'Albert Einstein éclaire opportunément l'état de la data dans le football. La révolution des données a autant libéralisé les mesures quantitatives simples de tirs, de passes ou de dribbles que dévoilé l'ampleur de ce qui échappe encore aux algorithmes.

Le pressing, avec sa complexité, sa subjectivité, sa dimension spatiale relative, son interdépendance collective, est l'un des défis majeurs à relever pour les fournisseurs de données. Quand peut-on considérer qu'il y a pressing? Comment prendre en compte le contexte de jeu dicté par l'adversaire? Comment combiner les facteurs déterminant son efficacité? Comment soupeser la contribution individuelle de chaque joueur impliqué?

À ce jour, deux indicateurs abordent le pressing sous un angle différent. Le PPDA (Passes adverses par action défensive dans le camp adverse, disponible sur understat.com) confronte passes de l'adversaire dans son camp et interventions défensives (tacles, interceptions, duels et fautes). Plus l'indicateur est bas, plus une équipe est active et intense défensivement dans le camp adverse. Cette mesure indirecte du pressing à partir de données quantitatives brutes comporte un biais territorial: une formation installée chez son adversaire avec une grosse possession y interviendra plus facilement une fois le ballon perdu, de même que les possibilités différeront si une équipe relance court depuis l'arrière ou allonge loin devant, quelles que soient les intentions initiales de presser ou non.

Face à la difficulté de saisir le pressing dans sa richesse collective et spatiale – ce que l'avènement prochain des données de tracking pourrait résoudre –, StatsBomb l'individualise avec les "Pressures" (pressions, disponible sur fbref.com), définies comme "l'application d'une pression à un joueur adverse qui reçoit, porte ou libère le ballon". Les "Successful pressures" sont celles qui permettent à l'équipe de "récupérer la possession dans les cinq secondes suivant la pression", prenant en compte le fait qu'un pressing peut déstabiliser l'adversaire sans provoquer de récupération immédiate. Deux mesures qui, comme toutes les autres, ne se suffisent pas à elles-mêmes mais se complètent et renseignent sur certaines inclinaisons stratégiques.

Quelles équipes sont les plus intenses défensivement?

La Bundesliga et la Premier League ont la réputation d'être les championnats les plus intenses, ce que confirment les pressions par match (sur tout le terrain), tandis que la Liga ferme la marche. Les PPDA, qui s'appliquent dans le camp adverse, inversent toutefois la hiérarchie: seule la Liga a une moyenne inférieure à 10, signe d'une activité défensive relativement plus importante plus haut sur le terrain.

Chez les clubs du top 5 européen, le classement des pressions par match est dominé par les Allemands, avec quatre représentants parmi les cinq premiers. Angers est la première équipe française. La plupart des moins bien classés ont tendance à avoir une possession moyenne élevée, ce qui confirme l'un des biais: moins une équipe a le ballon, plus elle peut exercer de pressions sur son adversaire. 

Le classement des PPDA dans le camp adverse, dominé par le PSG, rectifie dans l'extrême inverse, pour la question de domination territoriale précitée, tout en mettant en valeur l'ambition de Getafe et Bologne. Les cinq dernières équipes qui laissent le plus l'adversaire jouer dans son propre camp sont Metz, Düsseldorf, Augsburg, Angers et Newcastle, préférant généralement opérer depuis une position plus reculée.

Quelles équipes vont le plus presser haut?

Si l'on restreint l'étude aux trente mètres adverses, la Premier League est le championnat où le plus de pressions sont effectuées par match, devant la Serie A et la Bundesliga. Une fois encore, la Liga est dernière: 31% des pressions du championnat espagnol s'effectuent dans les trente mètres adverses, contre 34% en Premier League et en Serie A. La Ligue 1 est dans une position intermédiaire.

Sans surprise, Liverpool mène le classement des pressions dans les trente mètres adverses par match, à égalité avec le Bayern. À Southampton, Ralph Hasenhüttl en a également fait l'un des piliers de son approche. Parmi les moins prolifiques, il n'est pas surprenant de retrouver l'Atlético de Diego Simeone, avant-dernier. 

Le LOSC de Christophe Galtier est la première équipe de Ligue 1 en volume mais est devancé par le PSG en proportion, où les équipes à forte possession moyenne trustent les premières places. Le ratio du Liverpool de Jürgen Klopp a d'ailleurs augmenté depuis 2017 en même temps que la domination des Reds dans le jeu (de 60,7% à 63% de possession, de 25% à 31% de pressions réalisées dans les trente mètres adverses). À l'autre bout du classement, on retrouve des équipes qui cèdent volontiers le ballon et préfèrent lancer leur action défensive plus bas sur le terrain: Dijon, Valladolid, Wolverhampton, Metz et Newcastle.

Quelles équipes ont le pressing le plus efficace?

Les "Successful pressures" de StatsBomb comptabilisent les pressions qui permettent à l'équipe de "récupérer la possession dans les cinq secondes suivant la pression". Elles représentent 29,3% de l'ensemble des pressions (sur tout le terrain) en Bundesliga, fidèle à sa réputation de championnat où l'on presserait le mieux, devant les 28,7% de la Ligue 1. En valeur absolue (pressions par match), les Allemands sont encore en tête devant la Premier League et la L1.

Pas surprenant, alors, de retrouver encore une majorité de clubs allemands (sept sur les dix premiers) en haut du classement des "Successful pressures" par match, dominé par le RB Leipzig de Julian Nagelsmann et Wolfsburg. Southampton fait une nouvelle fois bonne figure, tandis que les Espagnols Valence, Real Sociedad, Betis et Levante peuplent le bas de tableau.

Presser beaucoup est une chose, presser bien en est une autre. Mais en ratio de pressions réussies, les clubs allemands dominent encore l'Europe, avec un podium Bayern-Bayer Leverkusen-Leipzig, devant Liverpool et l'Atalanta. L'approche individuelle, agressive et ambitieuse du club italien sur cette phase de jeu l'a d'ailleurs conduit jusqu'en quarts de finale de la Ligue des champions. À l'inverse, Burnley, Newcastle, Lecce, Augsburg et Brescia sont les cinq équipes aux pressions les moins efficaces. 

Y a-t-il un lien entre pressing et résultats ?

En même temps que Jürgen Klopp lançait, à Dortmund puis Liverpool, la révolution de l'intensité qui a emporté le football (le nombre de courses à haute intensité a augmenté de 30% sur la dernière décennie), le pressing est devenu une option stratégique répandue. Mais les équipes qui pressent haut ont-elles vraiment de meilleurs résultats?

Premier constat: les meilleures formations tendent à avoir un PPDA bas, de même qu'elles ont généralement une possession plus élevé, ce qui peut d'ailleurs s'auto-alimenter. Les chiffres valident, en revanche, un lien positif affirmé entre pourcentage de pressions effectuées dans les trente mètres adverses et points par match. À noter néanmoins que la prise de risques d'Eibar est peu récompensée, tandis que la Lazio presse moins que les autres équipes de haut de tableau en Europe. De même, parmi les vingt-cinq clubs dépassant 1,6 point par match de moyenne, seule l'Inter est en-dessous des 28% de "Successful pressures". Un pressing efficace favoriserait donc bien un résultat positif. 

Y a-t-il un lien entre pressing et solidité défensive?

À son arrivée à Manchester City, pour convaincre ses joueurs de presser, Pep Guardiola leur a lancé une question rhétorique: "Vous préférez courir cinq mètres vers l'avant ou cinquante vers l'arrière?" Présenté comme ça, le choix du joueur, surtout des attaquants, est vite fait. Est-ce pour autant la garantie d'une imperméabilité défensive supérieure?

Les données présentent une certaine corrélation entre PPDA bas et solidité défensive, incarnée ici par les "Expected goals" contre (qualité des situations de frappe de l'adversaire). Parmi les équipes concédant moins d'1 xG par match, seuls Reims et Wolverhampton dépassent les 10 PPDA. Néanmoins, malgré son PPDA élevé (16,4), Angers parvient à être relativement solide, avec à peine plus d'1 xG par match concédé, bien plus en tout cas que Newcastle et Augsburg. 

De manière globale, les clubs effectuant une plus grande proportion de leurs pressions dans les trente mètres adverses concèdent également le moins défensivement. Là encore, Wolverhampton fait figure de contre-modèle, l'équipe de Nuno Espirito Santo adoptant généralement un bloc médian visant à récupérer dans l'entrejeu pour exploiter les espaces à la récupération. Enfin, réussir une plus grande proportion de ses pressions serait un gage de solidité défensive: toutes les équipes en réussissant moins de 30% concèdent plus d'1,6 xG par match.

Quels joueurs pressent le plus?

Pour écarter les incongruités statistiques, les joueurs sont filtrés à partir d'un temps de jeu d'au moins 900 minutes cette saison. Là encore, le contexte a son importance: moins son équipe a le ballon, plus un joueur peut réaliser de pressions. Néanmoins, les chiffres révèlent une machine: Konrad Laimer de Leipzig, qui domine la catégorie comme Lionel Messi surclasse habituellement la concurrence dans les données offensives.

L'avant-centre de Bournemouth Dominic Solanke présente, lui, un volume de pressions intéressant à défaut de marquer des buts (aucun en trente-quatre matches de Premier League depuis son arrivée chez les Cherries), comme le Français Florian Ayé, champion d'Europe U19 2016, à Brescia. Des milieux travailleurs (Vidal, Deaux, Schlager, Otávio...), pour certains peu connus (Trybull de Norwich, Boëtius de Mayence) sont également mis en valeur.

Ceux qui pressent le moins en quantité présentent généralement les meilleurs taux de réussite, même si les rares pressions de Cristiano Ronaldo, Romelu Lukaku, Andrea Petagna et Mario Balotelli (en bas à gauche du graphique du pourcentage de "Successful pressures") sont également peu productives. Très bien placé dans le ratio volume/pourcentage de réussite, Thomas Müller affirme son importance dans le pressing du Bayern.

En valeur absolue, sans nuancer par la variable de temps de jeu, Jordan Ayew (Crystal Palace) est le joueur ayant effectué le plus de pressions cette saison, devant le milieu messin Habib Maïga et Joao Moutinho (Wolverhampton).

Ayew est d'ailleurs le troisième joueur dont la contribution au pressing pèse le plus au sein de son équipe (9,1% des pressions/90 minutes de Crystal Palace), derrière Solanke et Jay Rodriguez (Burnley), lequel domine en contributions aux "Successful pressures" dans son équipe (10,2% de celles des Clarets). Adrien Rabiot est également bien placé à la Juve.

Julien MOMONT (@JulienMomont)