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Plusieurs supporters ont été interdits de stade après le craquage de nombreux fumigènes lors du PSG-Nantes pour l'anniversaire du virage Auteuil

Plusieurs supporters ont été interdits de stade après le craquage de nombreux fumigènes lors du PSG-Nantes pour l'anniversaire du virage Auteuil - ICON Sport

Ligue 1: pointages, recommandés et situations ubuesques… Dans la peau d’un interdit de stade

Utilisée comme arme pour lutter contre les débordements en marge des matchs, l’interdiction de stade contraint les supporters visés à vivre à l’écart de leurs équipes et parfois à se rendre dans un commissariat ou une gendarmerie. Deux d’entre eux témoignent pour RMC Sport sur ces dispositifs répressifs, dont deux sont très largement critiqués et décrits comme abusifs.

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Dimanche, Hugo* ne se déplacera pas à Metz pour encourager Nantes (15h, 26e journée de Ligue 1). Il ne sera pas à La Beaujoire non plus, une semaine plus tard face à Montpellier. A la place, il se rendra dans un commissariat de la ville pour signer une feuille d’émargement, puis repartir. Hugo, supporter du FCN depuis une dizaine d’années, est interdit de stade pendant un an assorti d’une obligation de pointage pour craquage de fumigènes, notamment. Son rituel d’avant-match prend donc une autre tournure depuis plusieurs semaines.

"C’est très simple, témoigne-t-il. On pointe au commissariat du lieu de notre résidence à la mi-temps de chaque match du club en question. On peut avoir plusieurs pointages: un pour l’équipe qu’on supporte et un pour l’équipe de France. On a un créneau horaire sur lequel on doit absolument se présenter, peu importe que ce soit le samedi, le dimanche ou le lundi à 21h. Il faut qu’on se débrouille pour se libérer de manière personnelle. On présente notre pièce d’identité, ils ont un classeur dédié avec les feuilles de pointage de chaque interdit. On pointe sur la feuille du match en question."

Selon le décompte de la Direction nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) du 16 décembre dernier, la France du foot comptait 104 individus interdits de stade. A cela s’ajoute un outil à disposition des clubs depuis la loi Larrivé adoptée en 2016: les interdictions commerciales. Elles se traduisent par l’impossibilité pour un supporter visé d’acheter une place pour assister aux matchs de son équipe. Celles-ci se sont multipliées cette saison (331 en décembre dernier) après les nombreux débordements en tribunes.

"Dès qu'on reçoit un recommandé, ça pue pour les autres"

Leur mode d’application crispe le monde des tribunes, déjà remonté par les abus de l’arsenal répressif à disposition des autorités. Trois dispositifs existent: les interdictions judiciaires de stade (IDS), les interdictions administratives de stade (IAS) et les interdictions commerciales de stade (ICS), donc. Le premier (IDS) est le moins contesté puisqu’il s’inscrit dans un cadre judiciaire avec procès devant un juge, défense et décision. "L’interdiction judiciaire de stade, je la trouve très bien, confie Pierre Barthélémy, avocat de plusieurs dizaines de supporters et de l’Association Nationale des Supporters. C’est normal qu’une personne qui a commis un délit dans un stade et qui est dangereux pour les prochains matchs soit interdit de stade et qu’on s‘assure qu’il ne vienne pas au stade."

Les IAS provoquent en revanche crispation et incompréhension. Elles sont décidées par les préfets et permettent "de prévenir ou sanctionner la violence dans les stades", expliquent les autorités. Elles tombent souvent sans prévenir après des remontées d’informations de services de police sur le terrain (renseignements généraux, police dans les stades…). Hugo, par exemple, n’avait "absolument pas" été mis au courant de ce qu’il encourait avant de découvrir un courrier recommandé un beau matin. "On reçoit ce courrier du jour au lendemain dans la boite aux lettres sans qu’on s’y attende, explique-t-il. Ça devient un peu la blague. Dès qu’un supporter reçoit un recommandé dans sa boîte aux lettres, on sait que ça pue pour les autres. On n’est pas obligé d’être interpellé ou pris sur le fait pour avoir une interdiction administrative."

Les supporters visés ont alors un délai d’une quinzaine de jours pour se rendre à la Préfecture et s’expliquer sur les faits reprochés. Une audition bien loin d’un procès en bonne et due forme.

"Le problème de l’administratif, c’est qu’ils peuvent mettre ça à n’importe qui, témoigne Hugo. J’avais été accusé d’avoir craqué des fumigènes et j’avais prouvé que je n’étais pas à ce match. Mais c’était juste un rendez-vous de procédure. On a beau apporter des preuves, ils ne les prennent pas du tout en compte, et après on reçoit notre IAS. C’est complètement tronqué. C’est là où les dérives sont majoritaires. Ce rendez-vous sert juste à respecter un cadre légal pour eux."

Clément*, qui "vit, mange et dort PSG", a aussi reçu le fameux courrier. Mais lui s’y attendait davantage après avoir été arrêté dans les tribunes du Parc des Princes pour avoir craqué un fumigène au milieu de centaines d’autres, lors de l’anniversaire du virage Auteuil en novembre dernier avant PSG-Nantes. "J’ai ressenti l’injustice, surtout qu’on voit 550 torches craquées dans le stade et que vous vous faites attraper", explique l’inconditionnel du PSG. Il a peu ruminé au début avant de connaître sa sanction: interdiction administrative de stade pendant trois mois pour les matchs à domicile, extérieur, ceux du PSG Handball et de l’équipe féminine. Mais sans obligation de pointage. Le PSG lui a infligé, en plus, une ICS jusqu’à la fin de la saison.

Trois IAS sur quatre annulées par le juge administratif

S’il a vite relativisé la sanction, il s’émeut davantage des répercussions de cette sanction. "Ça va être inscrit sur le casier judiciaire", regrette-t-il. Son nom figurera aussi dans le fichier des interdits de stade. Le club et la Ligue l’effaceront à la fin de la sanction, pas la police, ni la justice qui peuvent conserver les données pendant cinq ans en cas récidive. Dans ce cas, la sanction gonfle. Idem si un supporter ne respecte pas son obligation de pointage. "Ça peut parfois se transformer en révocation d’un contrôle judiciaire, explique Hervé Banbanaste, avocat des Bad Gones, groupe de supporters de Lyon. En cas de violation des interdictions, le procureur de la République peut aussi poursuivre. Tout ça peut toujours se finir derrière les barreaux. Quand l’autorité préfectorale constate des violations, elle transmet ça au procureur de la République et ça redevient judiciaire."

"On est répertoriés avec la police du stade, les RG, regrette encore Clément. Ils ont nos têtes en photos, les empreintes. Ils seront peut-être plus vigilants que d’habitude mais ce n’est pas dissuasif." C’est l’une des critiques (parmi beaucoup d’autres) de cette sanction. Qualifiée d’exception à ses débuts, elle s’est multipliée depuis… sans impacter la passion des supporters. En raison notamment de son caractère abusif.

"Il y en a moins qu’avant parce que la plupart étaient illégales et ont été annulées par les juges, rapporte Pierre Barthélémy. Ça a un peu calmé les préfectures. Sur les IAS, c’est monté jusqu’à 600 ou 800 par an mais comme le juge administratif a commencé à en annuler trois sur quatre en moyenne, ça a un peu calmé les préfectures qui se sont rendues compte qu’elles prenaient des mesures illégales."

Mais quand ils contestent une IAS, les supporters se heurtent, eux, au temps très long de la justice. "Il y a trois ans de délai de jugement devant un tribunal administratif et ce n’est pas suspensif, poursuit Maître Barthélémy. Quand on obtient l’annulation trois ans après, le supporter a subi son interdiction de stade en entier."

Avec les supporters, la justice, déjà au bord de l’étouffement, ne se montre pas toujours arrangeante. Notamment quand il s’agit d’obtenir une dérogation pour reprogrammer un pointage un jour de match pour raison professionnelle pu personnelle. "Il y a des cas où il suffit de passer un coup de fil et ils reçoivent un courrier qui les dispense officiellement, qui les autorise à pointer à un autre endroit à la place ou d’appeler d’une ligne fixe géolocalisable à un moment précis, illustre Maitre Barthélémy. A l’inverse, certains considèrent que le but du pointage, c’est d’ennuyer la personne et lui nuire le plus possible, et qui refusent tout." Il ne manque pas d’exemples de situations ubuesque.

Pointage la veille de match, vacances refusées, supporter de Lens interdit des matchs de toutes les équipes de la région…

"J’ai déjà eu le cas d’un supporter qui avait écrit à la préfecture en mars pour savoir s’il pouvait réserver des billets pour juillet. La préfecture avait répondu: 'tant que vous ne m’avez pas envoyé vos billets d’avion, je n’accéderai pas à votre demande'. Il avait alors réservé ses billets d’avion et son hôtel avant de tout envoyer à la préfecture qui lui avait répondu: 'je refuse d’aménager votre pointage parce que vous vous êtes permis d’acheter vos billets avant que je vous donne l’accord. Vous avez préjugé de la décision que j’allais prendre, c’est inacceptable.' Il a fallu aller en conseil d’Etat, en référé. Le Préfet l’avait retirée."

Il y a aussi ce cas d’une gendarmerie, fermée le dimanche, qui fixe des rendez-vous de pointage le samedi… la veille du match. Il y a Saint-Etienne et ses deux commissariats, dont l’un situé aux abords de Geoffroy-Guichard. Les supporters interdits de se rendre aux abords du stade augmentent ainsi l’affluence de l’autre établissement les jours de matchs. Il y a encore ce supporter lensois, interdit d’assister aux matchs de toutes les équipes de la région. "Il allait pointer le vendredi, le samedi, le midi, le soir puis le lendemain", souffle Kilian Valentin, porte-parole de l’association nationale des supporters (ANS), qui sensibilise sur les abus et accompagne certains supporters dans les démarches juridiques. La Préfecture du Nord avait d'ailleurs annulé de nombreuses IAS jugées abusives.

Les moments de pointages (avant, à la mi-temps ou après le match, c'est selon) donnent parfois lieu à quelques échanges complices avec les forces de l’ordre dans les commissariats ou gendarmerie. "Certains chambrent, d’autres font la morale, raconte Hugo, le supporter nantais. On n’écoute pas, on ne répond pas et on part. D’autres sont sympas et vont vanner sur le match en question. Il y a parfois des scènes cocasses avec les flics." Parfois moins. "Certains n’hésitent pas à ajouter une petite couche, remarque Clément. J’ai l’impression que c’est grave d’être supporter du PSG, on a des petites réflexions."

Les supporters pâtissent de cette image et pestent souvent de servir de "rats de laboratoire". "La justice dans les stades n’est pas tout à fait la même que la justice dans la rue, reconnaît Maître Banbanaste. Il y a des données juridiques très particulières qu’il faut maîtriser. A Lyon, on a un parquet avec un procureur spécialisé dans les questions de droit des supporters. Ce n’est pas le cas dans tous les parquets de France. Il (le procureur spécialisé) est plus en prise avec la réalité, de ce qui se passe dans les stades. Il est beaucoup plus réactif à tous les niveaux. Il est plus l’écoute des clubs, des associations de supporters et des riverains. Il peut apporter une réponse juridique beaucoup plus efficace."

Dix fois plus d'interdictions de stade en Allemagne ou en Angleterre

La réponse judiciaire (IDS) est d’ailleurs la moins contestée puisqu’elle est celle qui offre un vrai cadre pour se défendre, contrairement à l’IAS, mais surtout l’ICS. Le nombre d'interdiction judiciaire varie entre 80 et 150 par an. "C’est très faible, sachant qu’on est sur dix fois plus à l’étranger en Allemagne ou en Angleterre, notamment parce que contrairement aux légendes urbaines, il y a beaucoup plus de violences qu’en France", assure Me Barthélémy.

De l’avis des principaux concernés, la généralisation des sanctions semble provoquer un effet contre-productif puisqu’elle n’affecte en rien l’attachement des supporters pour leurs clubs.

"On sait, quand on va au stade qu’on peut choper une IAS au moindre pet de travers, admet Hugo. Si on prend une IAS et qu’on en reprend une autre, les durées évoluent en récidive. Mais c’est très rare qu’une IAS ou IDS atténue la passion d’un supporter. Ça n’a aucun effet, au contraire. Ça nous renforce dans nos convictions et ça ne nous empêche pas d’être présent et de revenir à la fin de l’interdiction. Je reprendrai les déplacements et les matchs à domicile comme avant. Le tout répressif n’apporte rien."

"Je me suis demandé ce qu’il aurait fallu pour que je ne remette plus les pieds au stade mais je ne vois pas, emboite Clément. C’est impossible! C’est le moment de décompression, je sais que je vais retourner au Parc, ça ne changera rien."

*Les prénoms ont été modifiés

Nicolas Couet (avec DP et LT)