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Les grandes tendances de la dernière Ligue des champions expliquées par les plus grands experts

Après l'émotion, la réflexion. Trois mois après la finale de la Ligue des champions entre Liverpool et Tottenham (2-0), l'UEFA a sorti un "rapport technique" concernant l'ensemble de l'édition 2018-2019, et les 125 rencontres disputées. L'occasion de replonger dans les schémas gagnants et de tirer quelques enseignements tactiques.

Cent-vingt-cinq matchs, des scénarios de dingue, un inoubliable corner, et un grand vainqueur: Liverpool. Alors que la Ligue des champions reprendra ses droits dans moins de deux semaines, l’UEFA vient de publier un rapport technique global sur la passionnante édition 2018-2019. Dans ce document, une dizaine d’observateurs, parmi lesquels le sélectionneur de la Belgique Roberto Martinez, celui de l’Angleterre Gareth Southgate, ou encore l’ancien défenseur roumain Christian Chivu, tentent de décrypter, stats et schémas à l’appui, les grandes tendances tactiques aperçues durant la compétition. Et surtout de souligner les systèmes et les philosophies gagnants. Alors, quelles sont les clés pour remporter la C1?

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Adieu le dogmatisme, place à la flexibilité

Guardiola et la confiscation du ballon, Mourinho et l’obsession de la rigueur défensive… L’Europe du football a vibré par le passé devant des équipes et des coachs aux principes de jeu indéboulonnables, mais les temps ont changé. Pour les observateurs, la dernière Ligue des champions a confirmé une tendance observée depuis quelques années, à savoir que la meilleure arme des techniciens réside désormais dans leur flexibilité. Si les différents entraîneurs ont bien sûr une idée précise de la manière dont ils veulent voir leur équiper jouer, il leur faut savoir renoncer à quelques principes en cours de partie, et modifier leur système pour contrer les forces adverses ou au contraire exploiter les faiblesses du camp d’en face.

Un exemple? Celui du Barça d’Ernesto Valverde lors de la demi-finale aller contre Liverpool (3-0). Alors que son équipe mène 1-0, et a commencé la partie avec un schéma plutôt offensif (on parle du FC Barcelone à domicile, tout de même), le coach n’hésite pas à remplacer Coutinho par Semedo à l’heure de jeu face à la pression des Reds. Ce choix est frileux, va contre la "tradition" du beau jeu "culé"? Peut-être. Mais pour Roberto Martinez, c’était le meilleur moyen de bloquer les montées des latéraux adverses, Andy Robertson en tête.

Le technicien qui incarne le mieux ce retour du pragmatisme est peut-être Mauricio Pochettino. Tout au long de la compétition, l’Argentin a parlé de "plan B" et de "plan C". On a vu sa faculté à relever plusieurs défis tactiques dans un même match avec Tottenham, comme lorsqu’il a fait rentrer Fernando Llorente face à l’Ajax en demi-finale retour (3-2), un joueur qui détonne au milieu de Spurs très vifs, mais qui a surtout perturbé une défense néerlandaise peu habituée à faire face à un grand pivot comme il en existait beaucoup plus par le passé.

Flexibilité des coachs, donc, mais aussi flexibilité des joueurs. Le rapport insiste sur le fait que les footballeurs modernes sont aptes à évoluer à plusieurs postes, ce qui facilite les changements tactiques en cours de match. Pendant négatif: à force de recevoir de multiples consignes, ces derniers peuvent se perdre et s’emmêler les pinceaux.

Les gardiens relanceurs à la fête

Les gardiens n’échappent évidemment pas à ce dépassement de fonction. Certes, on n’a jamais demandé à André Onana de s’installer dans un couloir, mais les portiers, au sein des meilleures équipes, ont souvent été utilisés comme premiers relanceurs. Ce qui nécessite deux qualités: avoir une bonne vision du jeu – Buffon est salué dans le rapport pour avoir su écarter le jeu lors du huitième aller à Manchester United pour contrer le pressing mancunien sur la première relance – et avoir bien entendu un bon jeu au pied. Manuel Neuer (Bayern), précurseur dans ce registre, figure toujours parmi les portiers avec le meilleur pourcentage de passes réussies, tout comme Ederson (City), Alisson Becker (Liverpool), ou Marc-André ter Stegen (Barça).

Mais attention, la relance courte, la petite passe au latéral, n’est pas toujours la clé. Le gardien "quarterback" doit aussi savoir allonger et se montrer précis à 40 mètres ou plus. Si l’on se penche sur la finale entre Liverpool et Tottenham, on constate que 10 des 27 passes réussies par Alisson Becker ont atteint la moitié de terrain adverse (37% de jeu long), contre 12 sur 54 pour Hugo Lloris (22% de jeu long). Et pourtant, les Reds n’étaient pas spécialement acculés…

Les observateurs de l'UEFA émettent toutefois des réserves à cette modernisation des gardiens. Ou plutôt délivrent un conseil. Pour Pat Bonner, légendaire portier du Celtic et de la sélection irlandaise, les jeunes gardiens ne doivent pas travailler leur jeu au pied en oubliant l’essentiel: les mains. Une manière de souligner une perte de fiabilité?

Posséder n’est pas gagner

On évoquait en préambule l’ancien Barça de Guardiola et sa passion pour la possession. La C1 version 2018-2019 a prouvé une nouvelle fois que cette ère est passée, et que la conservation du ballon n’est plus (forcément) la clé. Sur l’ensemble de la compétition, on compte ainsi 12,5 secondes de possession et 3,89 passes en moyenne avant chaque but marqué. Vainqueur, Liverpool est même bien en-dessous de ces standards, avec une possession de 7,81 secondes et 2,51 passes en moyenne avant de marquer, là où sa victime catalane, qui a conservé quelques vieilles habitudes, affiche des moyennes de 16,13 secondes et 5,9 passes.

Toujours dans cette tendance, on précisera que sur les 26 matches de phase à élimination directe conclus par un succès (pas les nuls, donc), l’équipe avec le plus faible pourcentage de possession l’a emporté 12 fois. Liverpool est le symbole de ce jeu rapide et "efficace": quatre des cinq victoires des Reds une fois sortis de leur poule ont été signées en tenant le ballon moins que l’adversaire. 

Les clubs anglais, maîtres de l’intensité

Ces dernières années, les formations anglaises ont souvent évoqué une soi-disant impossibilité à jouer à la fois le titre en Premier League, championnat au rythme infernal, et celui en Ligue des champions. Mais avec le triomphe de Liverpool en C1, et celui de Chelsea en C3, l’argument ne tient plus. Au contraire, l’UEFA estime même dans son rapport que la Premier League, en proposant aux Reds bien plus de chocs que les autres championnats, a préparé les hommes de Jürgen Klopp à l’intensité de la Ligue des champions.

Quand Liverpool et Tottenham ont haussé le rythme contre le Barça et l’Ajax, leurs adversaires se sont écroulés, incapables de suivre la cadence. Un observateur note d’ailleurs l’importance pour une équipe d’avoir onze joueurs préparés à une grande débauche d’énergie. Et pointe le rôle de Messi et Suarez lors de la "remontada" de Liverpool contre le Barça (4-0): à cause de leur faible participation défensive (en partie), leurs partenaires ont dû compenser et ont fini par craquer. En clair, il faut défendre à onze, et le plus haut possible: 185 des 366 buts marqués l’ont été après une récupération dans le premier tiers du terrain.

Qui dit toujours plus d’efforts, dit forcément plus de courses. L’UEFA a compté 696 sprints à très haute intensité (plus de 30 km/h) durant la compétition, un nombre en hausse qui rappelle le retour en force de la dimension athlétique. Et les attaquants ne sont plus les seuls à se lancer dans de folles chevauchées. Le sprint le plus rapide de la saison en C1 est l'oeuvre du défenseur de Liverpool Virgil van Dijk (34,5 km/h), et l’on trouve trois latéraux dans le top 10, symbole d’un poste à allers-retours permanents dans le foot moderne.

Mais l’intensité n’est pas que physique, elle est aussi psychologique, et nécessite une concentration à toute épreuve. Jürgen Klopp avait présenté ses joueurs comme des "géants sur le plan mental", et le rapport confirme. "Physiquement comme mentalement, chaque match est à un autre niveau que dans n’importe quel championnat en Europe", est-il noté. Alors autant préparer les joueurs à souffrir.

Moins de buts, mais un "money time" qui n’a jamais aussi bien porté son nom

Comme indiqué précédemment, la dernière Ligue des champions a offert aux passionnés (et aux abonnés RMC Sport) 366 buts entre le début de la phase de poules et la grande finale à Madrid. C’est moins bien que lors des deux précédentes éditions (401 en 2017-2018, un record, et 380 en 2016-2017), mais cela reste le quatrième meilleur total depuis la mise en place du format actuel en 2003.

Mais la vraie tendance, c’est celle des buts tardifs. Dans le détail, 206 buts ont ainsi été marqués en seconde période contre 159 en première (plus un en prolongation). Sur ces 206, 88 ont été inscrits à partir de la 76e (dont 21 qui ont été décisifs dans le scénario du match). Cela représente 24% du total, et cela conforte l’idée selon laquelle les joueurs doivent être prêts à des matchs éprouvants jusqu’à la dernière minute. Dans ce registre, le spécialiste s’appelle Tottenham, avec 8 buts sur 20 mis dans le dernier quart d’heure (merci Lucas).

En revanche, si l’on retient de la C1 2018-2019 la renversante performance des Spurs à l’Ajax (victoire 3-2 après avoir été menés 2-0), cette folle soirée est un trompe l’œil: marquer en premier reste le mieux, et 92% des équipes qui y sont parvenues n’ont pas perdu leur match. L’UEFA ne relève que 12 victoires d’équipes ayant été menées dans la compétition, soit une baisse de 40% (après une hausse constante depuis 2014). Point notable: sur ces 12 retournements de situation, 8 sont signés d’équipes évoluant à l’extérieur. Les observateurs y voient là une mauvaise habitude des équipes à domicile, qui reculent lorsqu’elles mènent en fin de match et invitent le visiteur, qui n’a plus rien à perdre, à pousser jusqu’à la dernière seconde et à mettre cette intensité dont on a vu qu'elle faisait merveille. 

Concernant les réalisations en elles-mêmes, on relève que la majorité proviennent de centres ou de centres en retrait, et que 25 buts ont été marqués en dehors de la surface, chiffre en hausse. Les observateurs y voient une conséquence du passage plus fréquent à un seul milieu récupérateur, qui donne plus d’espace aux attaquants axiaux à 20-25m du but.

Des coups de pied arrêtés décisifs? Pas tant que ça

La baisse générale du nombre de buts se justifie en partie par la baisse du nombre de buts inscrits sur coups de pieds arrêtés pour la deuxième saison consécutive: on en recense 66 en 2018-2019 , soit 18% du total. Deux explications à cela. La première, c’est la tendance pour les adversaires à défendre bien plus haut qu’auparavant sur les coups francs. L’Ajax a particulièrement utilisé cette technique, qui présente comme avantage de faciliter la sortie du gardien lorsque les arrières ne sont pas de redoutables joueurs de tête, et permet en plus des contre-attaques rapides.

L’autre point relevé par les observateurs, c’est la recrudescence de la défense en zone sur CPA, quitte à la mêler avec un marquage individuel (par exemple trois joueurs en zone, les autres en individuel). L’Atlético, qui combine généralement les deux, n’a ainsi pas concédé un seul but sur corner sur toute la saison européenne. L’importance des phases arrêtées n’est pas non plus à négliger, et on rappellera que derrière les chiffres, Divock Origi (Liverpool) a mis deux buts précieux sur corner en demie, puis en finale.

En outre, les penalties ont joué un rôle prépondérant dans le tournoi, puisque 34 ont été convertis, ce qui a permis d’égaler le record de 2000-2001, alors qu’on disputait à l’époque 32 rencontres en plus. Un lien avec l’entrée en vigueur du VAR? Assurément.

Clément CHAILLOU et Alexandre HERBINET