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"Pourquoi arrêter un match juste parce qu’un jeune a mis un collant?" L’incompréhension dans le foot amateur face à la directive de la FFF contre les collants

Alioune Ba, de Dunkerque, est un des joueurs professionnels qui joue avec des collants, ici face à Bordeaux, le 23 avril 2024

Alioune Ba, de Dunkerque, est un des joueurs professionnels qui joue avec des collants, ici face à Bordeaux, le 23 avril 2024 - ICON SPORT

La FFF a rappelé récemment l’interdiction pour les joueurs et joueuses de football de jouer avec un collant ou un casque sans autorisation médicale pour éviter des "détournements du principe de neutralité".

C’est l’histoire d’un courrier posté au cœur de l’hiver mais dont la déflagration arrive avec les beaux jours. Dans un courrier daté du 27 février et rendu public par RMC Sport, Vincent Nolorgues, le président de la Ligue du football amateur, rappelait l’obligation pour les joueurs d’obtenir une autorisation médicale avant de pouvoir porter un collant ou un casque en match.

Le dirigeant faisait suite à un courrier datant de décembre du président de la FFF Philippe Diallo et qui portait "sur le port de casques ou d’équipements et vêtements à des fins supposées de détournement du principe de neutralité." Il rappelait aussi l’interdiction dans les statuts des "signes ostensibles visibles d’appartenance". Clairement visés, même si ce n’est pas indiqué spécifiquement dans la lettre, les joueuses et joueurs musulmans souhaitant cacher soit les cheveux, soit les genoux. A ce jour, la position de la Fédération n’a pas changé.

Le courrier de Vincent Nologues.
Le courrier de Vincent Nologues. © Document RMC Sport

"Pourquoi arrêter un match juste parce qu’un jeune a mis un collant?" Moussa, footballeur amateur, ne comprend pas. "Certains vont parler de radicalisme religieux, mais ça n’a rien à voir", s’agace-t-il. "C’est un collant, ça ne dérange rien ni personne. On s’adapte au maximum, on fait tout ce qui est possible. Laissez-nous tranquilles, il y a d’autres problèmes que des collants sous un short."

"Où démarre le signe religieux ostentatoire?"

Pour joindre Islam et football, certaines marques dédiées se sont même développées. Elles proposent, sur internet, l’achat d’un "cache-awra". Par "pudeur", certains pratiquants décident ainsi de cacher leur "awra", qui désigne la région du corps située entre le nombril et le genou. Face aux interdictions, d’autres solutions sont trouvées par des joueurs, comme celle de remonter leurs chaussettes jusqu’au début du short, au-dessus du genou. "Si je veux couvrir, je couvre", simplifie un footballeur amateur adepte de cette technique, qui conclut en s'interrogeant: "Où démarre le signe religieux ostentatoire?"

Le courrier n’a pas manqué de faire réagir dans les sphères amateures. Comme Moussa, nombreux sont les joueurs à cacher, pour des raisons religieuses, la région de leur corps entre le nombril et le genou. Depuis bientôt deux ans, le footballeur amateur porte un sous-short, comme "trois ou quatre" de ses adversaires en moyenne à chaque match. Mais ce collant, qui descend sous ses genoux, a posé problème pour la première fois le week-end dernier.

"A la mi-temps, l’arbitre est venu me voir", se souvient-il. "Il m’a dit: 'Monsieur, vous savez que votre collant est interdit? Moi je trouve que c’est une chasse aux sorcières, je m’en fiche. Mais faites attention, vous pourriez tomber sur des collègues à moi qui vous feront enlever le collant, ou vous interdiront de jouer'. J’ai été pris de court, je ne savais pas quoi lui répondre", raconte celui qui joue dans le Val-de-Marne.

"Un arbitre de futsal m’a demandé d’enlever mon collant", nous confie un autre joueur amateur, qui a finalement obtenu un certificat médical pour pouvoir jouer avec cette tenue, expliquant souffrir de "genoux abîmés". Car outre le "grand froid", l’autorisation médicale est la seule option pouvant justifier le port d’un collant sous le short, selon le règlement de la Fédération française de football.

D’après les informations de RMC Sport, de faux certificats médicaux ont été repérés par la commission médicale de la Fédération, qui valide ou non les demandes de port de collants ou de casques. Pour pouvoir respecter leurs convictions religieuses et justifier leur tenue, certains joueurs prétextent des brûlures ou blessures à la cuisse ou aux genoux.

Mais s’ils ne trouvent pas de solution pour continuer leur pratique en club, des amateurs pourraient faire le choix d’arrêter la compétition. "J’ai déjà échangé avec plein de gens. Ils se demandent si c’est utile de faire cet acte contraire à leur foi pour jouer en district, alors qu’ils peuvent jouer avec leurs potes", glisse un joueur concerné, avant de s’inquiéter: "Le risque c’est que ça renforce le communautarisme. Jouer en D3 ou D4 ils s’en foutent, ils jouent avec leurs potes le week-end, c’est facile", continue-t-il, déçu d’avoir une "étiquette sur le front" lorsqu’il porte un collant.

"J’ai souvent été confronté à des joueurs qui portent des collants. Je sais que si je les laisse faire, je m’achète une paix sociale", confie un arbitre amateur. "Quand on refuse ça aux joueurs, ils peuvent se tendre, ce que je comprends. Le problème c’est qu’après, dans des endroits un peu chauds, où les arbitres ne sont pas trop appréciés, on se fait insulter pendant tout le match. Tant que les mecs ne me manquent pas de respect je les laisse faire."

"C’est un enchaînement, après les polémiques du Ramadan, pour stigmatiser et emmerder les musulmans"

"J’étais observé (par la Ligue) sur un match, une observation très importante", raconte encore notre arbitre amateur. "Je n’ai vu qu’à la mi-temps que deux joueurs avaient des collants. Je leur ai dit je suis désolé, mais il va falloir les enlever. Ce n’est pas moi que ça dérange, mais si l’observateur le voit, je vais me faire déchirer."

"Si ça ne tenait qu’à moi… C’est en dessous du short, on s’en fout. Mais je comprends aussi le courrier de la Fédération. Ils veulent suivre l'État, on est un pays laïc..."

Un entraîneur amateur interrogé par RMC Sport n’a pas la même lecture. "Je suis conscient qu’on est dans un pays laïc, et que des signes religieux peuvent ne pas avoir leur place sur un terrain. Mais je vois le jeu de la FFF", dit-il. "C’est un enchaînement, après les polémiques du Ramadan, pour stigmatiser et emmerder les musulmans."

Il a croisé des arbitres qui font appliquer le règlement et a défini une règle avec ses joueurs concernés pour ne pas pénaliser l’équipe. "Je leur ai di: moi à titre personnel je ne te sanctionnerai pas si tu veux porter des collants, je ne t’obligerai pas à les enlever. Par contre, si l’arbitre te dit de les enlever pendant le match, on s’adapte et on les enlève. Après c’est ton choix à toi, est-ce que tu veux les enlever ou tu ne veux pas du tout jouer? Dans la même optique que le Ramadan, je ne te force pas à le faire ou à ne pas le faire."

Il poursuit: "Avec un autre joueur pendant le match, il avait des collants, l’arbitre lui a dit de les enlever et il est allé les enlever. J’ai joué trois minutes avec un joueur de moins. L’arbitre n’a pas attendu qu’il les enlève, on a vite repris le jeu."

Et de pointer la difficulté pour les arbitres d’appliquer de telles directives: "Il y en a qui jouent avec des collants pour le style, il y en a qui le mettent pour tacler sur synthétique, il y en a c’est pour raisons religieuses, d’autres pour le froid. Souleymane Diawara joue toujours avec des gants, Antoine Griezmann toujours en manches longues, c’est une question de confort. On va arriver, à un moment, à un délit de faciès. 'Toi, vu ta tête, je pense que c’est pour la religion'. C’est ça qui est très compliqué pour les arbitres."

Edgar Groleau et Pierre Thévenet