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Les cartes NFT Sorare de l'équipe de France

Les cartes NFT Sorare de l'équipe de France - DR/Sorare

Sorare, la start-up française qui révolutionne le football avec les NFT

Une levée de fonds de 680 millions de dollars, des footballeurs qui investissent, des cartes revendues pour plusieurs centaines de milliers d’euros, des utilisateurs qui se multiplient aux quatre coins du monde et qui peuvent spéculer: la start-up française Sorare, qui mixe jeu de fantasy football et cartes de collection virtuelles sous fond de nouvelles technologies (NFT, blockchain, cryptomonnaie), connaît une croissance explosive. RMC Sport vous plonge dans les dessous du nouveau phénomène du divertissement sportif.

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Comment gagner 20.000 euros grâce à Antoine Griezmann en revendant des cartes virtuelles de Maarten Vandevoordt ou Jackson Muleka? Si la question équivaut à vous parler chinois, bienvenue dans l’univers du phénomène Sorare. La start-up française lancée en 2018 a touché le jackpot en septembre avec une levée de fonds à 680 millions de dollars (598 millions d’euros au cours actuel), nouveau record pour le secteur de la tech dans notre pays, qui la valorise à 3,8 milliards d’euros et lui offre la première place des "licornes" françaises, les sociétés non cotées en Bourse valant plus d’un milliard d’euros.

Une réussite en phase avec l’objectif annoncé par Nicolas Julia, PDG et co-fondateur de la société, récemment sacré en tête du palmarès Choiseul Sport & Business des cent jeunes dirigeants qui font le sport business en France: "Devenir le leader du divertissement dans le monde du sport". Sans véritable concurrent, Sorare réunit des mondes qui étaient faits pour s’entendre. Une pincée de Mon Petit Gazon, un zest de Panini, une lichée de Football Manager, le tout sauces nouvelles technologies et spéculation. La recette fait mouche. Le principe est simple: un jeu de fantasy football nommé SO5 et lancé en mars 2019 où les utilisateurs-managers alignent une équipe de cinq joueurs et marquent des points en fonction de leurs performances sur les terrains réels.

"Un impact aussi gros que le web"

Mais avec une différence de taille. Les joueurs utilisés prennent la forme de cartes NFT que l’on peut acheter et vendre en toute sécurité car supportées par la blockchain. On vous parle sans doute encore chinois. En explosion ces derniers mois, les NFT (non-fungible token ou jetons non fongibles) sont des objets numériques dont l’authenticité unique peut être prouvée par leur enregistrement sur la blockchain, réseau de transactions maintenu par une "chaîne de blocs" entre des milliers d’ordinateurs à travers la planète – au lieu d’un seul serveur – et réputé infalsifiable et transparent avec un registre public sécurisé qui contient l’historique des opérations.

En gros, si vous pouvez posséder une copie du tableau de la Joconde, il n’en existe qu’un seul original. Avec les NFT et la blockchain, ce principe de rareté se retrouve désormais sur la toile et permet la création d’œuvres d’art numériques qui peuvent s’arracher contre des sommes folles. Nicolas Julia, supporter de l’OM à l’agenda désormais bien rempli, et son associé Adrien Montfort, qui se sont connus en 2016 dans une boîte spécialisée dans la blockchain (Stratumn), comprennent vite la portée de la chose. "On s’est dit que ça allait avoir un impact aussi gros que le web ou que le mobile, que ça allait être une révolution", confirme le premier.

Nicolas Julia (à gauche) et Adrien Montfort, les deux cofondateurs de Sorare
Nicolas Julia (à gauche) et Adrien Montfort, les deux cofondateurs de Sorare © DR/Sorare

"Enormes fans de foot", les deux compères qui restent actionnaires majoritaires aujourd’hui imaginent un jeu de fantasy football "au-delà des frontières domestiques" dans lesquelles ce secteur se cantonnait. "On voulait que les fans puissent faire quelque chose de cool avec ces NFT au quotidien, pas seulement les collectionner", raconte Nicolas Julia. Avec Panini, à qui on le compare souvent, les stickers de collection étaient rangés dans un album mis au placard une fois rempli. Avec Sorare, si on ne peut pas les palper, les cartes version NFT qui ressemblent dans le design à des Panini 2.0 sont utilisables dans un jeu tout au long de la saison sportive.

Elles sont également conservées d’une année sur l’autre, que le joueur soit transféré ou pas. "Dans d’autres jeux, comme FIFA Utimate Team de EA Sports, on va te pousser à racheter un nouveau set de joueurs chaque saison, pointe Nicolas Julia. Tu dépenses pour un truc qui ne t’appartient pas réellement. Chez nous, tu vas pouvoir acheter un joueur de dix-neuf ans et l’utiliser pendant dix ans." Autre avantage: la portabilité. Ces cartes NFT sont utilisables au-delà de Sorare, "écosystème ouvert" dixit Brian O’Hagan, directeur de la croissance. Partenaire de la start-up, le géant Ubisoft a déjà créé un autre jeu de fantasy football les exploitant. D’autres studios ou développeurs-designers ont suivi le mouvement.

Un futur marché global à... 90 milliards

Multiple, la valeur d’usage complète la valeur sentimentale du collectionneur et la valeur pécuniaire du spéculateur. Et le potentiel est énorme. Sport le populaire au monde, le foot compte quatre milliards de fans revendiqués. Le marché des cartes de sport, très puissant de l’autre côté de l’Atlantique où il est "aussi un truc d’adultes, pas comme en Europe où on imagine ça pour un enfant de huit ans qui collectionne des images" (Brian O’Hagan), représente 4,4 milliards d’euros. Celui des NFT voit ses prévisions de ventes en 2021 monter à près de 9 milliards d’euros. Et celui du fantasy sport, qui réunit plus de 200 millions de joueurs à travers la planète, est estimé à 42 milliards d’euros à l’horizon 2027. Tout compris, les fondateurs de Sorare imaginent un futur marché global à près de 90 milliards d’euros.

Les investisseurs, d’abord frileux devant ce modèle hybride, sont vite séduits. Les levées de fonds fructueuses se multiplient avant le jackpot de septembre dernier: 500.000 euros au printemps 2019, 3,5 millions à l’été 2020, 40 millions début 2021. Xavier Niel, fondateur de Free, sera l’un des premiers à mettre au pot via son fonds d’investissement Kima Ventures. Le fonds ConsenSys Venture, l’un des plus cotés dans l’univers de la cryptomonnaie, ou encore les deux géants américain Benchmark et Accel sont aussi de la partie, comme de nombreux autres fonds d’investissement et des business angels comme Alexis Ohanian, cofondateur de Reddit et mari de Serena Williams. "Si ces gens investissent à cette valorisation, c’est qu’ils croient qu’on va pouvoir passer d’une valeur de 4 milliards à 200 milliards", sourit Nicolas Julia.

Le design des cartes Sorare s'inspire en partie des stickers Panini, à l'exemple de Kylian Mbappé
Le design des cartes Sorare s'inspire en partie des stickers Panini, à l'exemple de Kylian Mbappé © DR/Sorare

Avec leur argent, Sorare s’attaque au nerf de la guerre: passer des partenariats avec les clubs ou les ligues pour pouvoir exploiter l’image des plus grands joueurs sous licence officielle. Le championnat belge ouvre la danse. L’effectif Sorare affiche aujourd’hui près de deux cent trente clubs de la France (onze dont Paris, Marseille et Lyon) aux Etats-Unis en passant par les principaux championnats européens mais aussi l’Argentine, le Brésil, le Mexique, la Corée du Sud ou le Japon. La Liga espagnole et la Bundesliga allemande, signées comme partenaires à long terme, proposent déjà tous leurs clubs. L’objectif est clair: "L’intégralité des vingt meilleures ligues de la planète". "On espère avoir tout le monde dans le courant de l’année prochaine, poursuit Nicolas Julia. On aura plus de quatre cents clubs d’ici fin 2022."

De quoi offrir une fantasy "globale" avec cinq types de cartes. Les "common", offertes et qui permettent de jouer gratuitement, mais surtout quatre versions payantes et limitées: les "limited" (1000 exemplaires par joueur), les "rare" (100 exemplaires), les "super rare" (10 exemplaires) et le modèle "unique" à un seul exemplaire. Si on peut aussi en gagner avec ses performances dans le jeu, ces dernières s’obtiennent sur deux marchés accessibles sur le site de Sorare: celui des enchères mises en place directement par la start-up pour leur première mise en vente et un secondaire qui permet des achats/reventes entre utilisateurs. Une manne possible pour les joueurs… et pour les clubs, qui cherchent toujours à multiplier leurs sources de revenus, surtout depuis la crise sanitaire. "On verse au club ou à la ligue un montant fixe en début de saison garanti quel que soit le niveau de ventes de cartes, détaille Nicolas Julia. Une fois l’avance atteinte, on va payer en plus un pourcentage de nos revenus sur la vente des cartes sur le premier marché."

190 millions de ventes de cartes en 2021

Selon Capital, ces royalties représentent entre 5 et 15% des gains générés. A terme, tout changement de propriétaire étant traçable via la blockchain, il y aura aussi une commission prélevée sur le marché secondaire pour une autre source de revenus pour les partenaires. Les Fédérations nationales peuvent également profiter de la chose: en juin, autour de l’Euro, Sorare a sorti les premiers NFT consacrés à une équipe nationale avec des cartes des Bleus, utilisables dans leur jeu. Idem ensuite pour la Belgique et l’Allemagne. Fort dans les gros marchés foot européens (la France représente 20% de son chiffre d’affaires), Sorare se développe également bien "aux Etats-Unis et en Asie avec la Corée et le Japon" (Brian O’Hagan), autre point d’intérêt pour les clubs. Qui profitent d’une croissance des utilisateurs qui a suivi la courbe des investissements.

Les utilisateurs actifs – qui ont acheté une carte ou composé une équipe – sont passés de 40.000 en septembre 2020 à 100.000 en mai 2021 et 200.000 (sur 700.000 inscrits) en octobre 2021. Les utilisateurs payants mensuels, ceux qui achètent des cartes sur les marchés Sorare, ont été multipliés par 34 entre le deuxième trimestre 2020 et le deuxième trimestre 2021 pour atteindre "environ 50.000 aujourd’hui" (Nicolas Julia). Une communauté très active sur les réseaux sociaux et très vivante, avec des sites ou des podcasts consacrés à leur passion commune, au sein de laquelle beaucoup tentent d'attirer de nouveaux joueurs via le programme de parrainage (qui permet de gagner des cartes). Les ventes des cartes NFT Sorare, dont il existe plus de 650.000 exemplaires en circulation, ont elles été multipliées par 51 dans le même intervalle. Passées de 26.000 euros sur le mois de décembre 2019 à 1,2 million d’euros en novembre 2020, elles sont prévués à… plus de 190 millions d’euros sur les deux marchés pour l’année 2021! Et Nicolas Julia a expliqué au site Goal qu’il visait le milliard de dollars en 2024.

La carte "unique" de Cristiano Ronaldo sur Sorare revendue 255.000 ^puis 400.000 euros ces derniers mois
La carte "unique" de Cristiano Ronaldo sur Sorare revendue 255.000 ^puis 400.000 euros ces derniers mois © DR/Sorare
Sorare propose différents types de ligues pour son jeu de fantasy football
Sorare propose différents types de ligues pour son jeu de fantasy football © DR/Sorare

Résultat? Sorare, qui outre les royalties aux clubs doit prendre en compte "le coût à imprimer les NFT sur la blockchain" (monté jusqu’à 50 euros par carte ces derniers mois), a connu "une traction très forte du chiffre d’affaires" passé de 40.000 dollars en 2019 à 5 millions de dollars en 2020 et plus de 100 millions de dollars prévus pour 2021! Le tout sans campagne de publicité directe, levier pas encore activé alors que la croissance a pour l’instant été "organique via le bouche-à-oreille" dixit son PDG. Et ce n’est que le début. "Un des gros points forts de la société a été d’être rentable quasiment depuis les premiers jours, ce qui est assez rare dans ce monde, pointe Nicolas Julia. Si on exécute bien dans différents sports dans les années à venir, on pourrait rejoindre rapidement et même dépasser les leaders du divertissement dans le monde du sport sur le revenu généré."

Pour y arriver, les axes de développement sont nombreux. Il y a les sports collectifs US, prochaine cible pour des jeux de fantasy avec un deuxième bureau – le premier est situé au centre de Paris – qui va bientôt ouvrir à New York, mais aussi à plus long terme les sports individuels. Il y a le développement d’une application mobile pour simplifier l’utilisation d’un produit qui nécessitera sans doute à terme une augmentation du nombre de cartes payantes disponibles par joueur chaque saison (déjà passé de 111 à 1111 depuis les débuts) pour accompagner l’afflux d’utilisateurs. Il y a le recrutement, aussi, essentiel pour voir cette start-up où tous les échanges se font en anglais poursuivre sa croissance exceptionnelle. "On a commencé à deux, se souvient Nicolas Julia, et désormais on est une grosse trentaine. On sera deux cents d’ici à la fin de l’année prochaine."

Schürrle, Piqué, Griezmann...

Sorare compte aussi développer "des ponts avec le monde réel". "Il y a quelques jours, par exemple, les vainqueurs d’un mode de jeu ont gagné des NFT qui étaient en fait un ticket pour aller voir le clasico au Bernabeu, détaille Nicolas Julia. Si tu as le NFT de Kylian Mbappé, tu pourras peut-être avoir cinq minutes avec lui sur Zoom ou accéder au centre d’entraînement du PSG. On veut multiplier les choses comme ça." Sorare intégrera également dans le futur "une dimension médias, création de contenus". Et peut compter sur des ambassadeurs de choix pour l’aider dans son développement. Gros collectionneur de stickers dans sa jeunesse, André Schürrle aura été le premier footballeur à investir dans Sorare, à l’été 2020.

Entrepreneur touche-à-tout, Gerard Piqué a suivi en décembre dernier dans le sillage de sa proximité avec le fonds Cassius Family. "Le football doit se réinventer tous les cinq, dix ans, pointait-il alors. Les jeunes sont difficiles à atteindre car cette génération a du mal à rester concentrée durant tout un match. C’est un problème. Ce genre d’outil aide les clubs à atteindre ce public clé pour le futur." Le bouche-à-oreille a ensuite fait son œuvre: Rio Ferdinand, Oliver Bierhoff, César Azpilicueta, Sergio Ramos ou encore Eugénie Le Sommer ont suivi le mouvement et investi. Autant de stars du ballon rond qui peuvent "ouvrir des portes avec les clubs ou les ligues" (Nicolas Julia) et qui pensent à l’avenir. "On voit de plus en plus une tendance qui vient des Etats-Unis, où beaucoup de sportifs investissent dans des start-ups, explique le patron de Sorare. La culture passe du footballeur qui ne fait que de l’immobilier, très conservateur, à cette diversification qui ne fait pas de mal. Le faire sur un produit cool et proche de ce qu’ils connaissent, ça leur plaît."

Gerard Piqué (à gauche) pose avec Nicolas Julia à l'occasion de son investissement dans Sorare
Gerard Piqué (à gauche) pose avec Nicolas Julia à l'occasion de son investissement dans Sorare © DR/Sorare

Certains vont jusqu’à aider au développement du produit en faisant des retours aux équipes, comme Antoine Griezmann, investisseur arrivé via son frère Théo qui jouait à Sorare. "Antoine est proche de nous sur ces sujets-là, confirme Nicolas Julia, car il croit au produit." Comme Piqué, annoncé "conseiller stratégique" sur le site de la start-up, et comme d’autres joueurs professionnels (qui peuvent tous obtenir une carte NFT player edition à leur effigie avec un leur autographe dessus s’ils en font la demande et envoient une signature), l’international français collectionne des cartes Sorare. A l’heure d’écrire ces lignes, la page de son "équipe" en affiche cent vingt-deux, dont douze versions "unique". Parmi lesquelles celles de Martin Vandervoordt et Jackson Muleka dont on vous parlait en accroche.

Il a racheté celle du premier, gardien de but belge du KRC Genk, pour environ 30.000 euros en mai dernier à un utilisateur qui l’avait obtenue aux enchères initiales quelques jours auparavant pour environ 11.000 euros. Il a racheté celle du second, attaquant congolais du Standard de Liège, pour environ 24.000 euros à un utilisateur qui l’avait obtenue aux enchères initiales pour environ 3000 euros deux mois auparavant. Avec peut-être l’idée de les revendre plus tard avec bénéfice si la carrière de ces deux jeunes talents du championnat belge explose. "Les cartes de sport seront l’art de la nouvelle génération", appuie Michael Osacky, spécialiste américain des objets de collection dans le sport.

De 5 à 6300 euros en quelques heures

Le cas "Camembert" le confirme. Cet utilisateur, actuel possesseur de huit cartes "unique" du Real Madrid dont celle de Karim Benzema obtenue pour près de 40.000 euros, a racheté une carte "unique" de Cristiano Ronaldo sur le marché de la revente contre… 255.000 euros – record Sorare – en mars alors qu’elle avait été remportée pour 84.000 euros aux enchères moins d’un mois avant. A l’époque, cet ancien collectionneur de stickers Panini avait expliqué qu’il n’achèterait "jamais un Picasso" mais s’était dit "heureux d’investir autant dans (s)on idole". "Pas motivé par la spéculation", il ne prévoyait "pas de vendre de sitôt". Il a apparemment changé d’avis. "Cette même carte a été revendue par cette personne il y a quelques jours dans une maison d’enchères à Londres, Bonhams, pour un peu plus de 400.000 euros", raconte Nicolas Julia.

Le jeu de fantasy de Sorare est accessible gratuitement. Mais si on veut investir dans les cartes payantes des meilleurs joueurs, il faudra un portefeuille bien garni. Une version "rare" récemment mise en vente de Jude Bellingham, pépite anglaise du Borussia Dortmund, a vu en quelques heures les enchères passer de 5 à… 6300 euros. Avant d’être tout de suite remise en vente par son nouveau propriétaire contre 7300 euros. Une notion spéculative clairement au cœur de la machine et qui pousse une dimension "scouting" utile pour le jeu, comme dans Football Manager, et qui permet de traquer des pépites moins coûteuses dont les cartes pourront être revendues plus cher. "Jonathan David ou Victor Osimhen étaient connus par la communauté Sorare bien avant leur explosion en France, sourit Brian O’Hagan. En ce moment, ils sont à fond sur Ryota Morioka ou Cesinha. Ces derniers mois, il y avait aussi Brian Brobbey, Ryan Gravenberch ou Karim Adeyemi."

La page du Grizou FC géré par Antoine Griezmann sur Sorare
La page du Grizou FC géré par Antoine Griezmann sur Sorare © DR/Sorare

Sur le marché de la revente, certains proposent actuellement des cartes "unique" pour plus de… 300.000 euros, dont une de l’espoir lyonnais Rayan Cherki qui était auparavant partie pour 16.000 euros aux enchères puis 30.000 à la revente. L’utilisateur "MaxM", qui a obtenu en décembre une carte "unique" de Kylian Mbappé aux enchères contre un peu plus 54.000 euros, symbolise ces joueurs – plus nombreux que l’on pourrait le croire – pour qui le montant à débourser ne pose aucun problème dans une perspective de gains financiers. Sur sa page, il affiche quarante-six cartes "unique" dont certaines remportées aux enchères contre une somme énorme: 128.000 et 24.000 euros pour celles de Robert Lewandowski et Joshua Kimmich, 77.000 et 97.000 euros pour celles de Paul Pogba et Antoine Griezmann.

Dans le milieu, beaucoup voient en Sorare le cadre de la future première vente de carte digitale à un million de dollars ou plus. Pas illogique quand on voit dans le monde physique une carte rookie (première année) du baseballeur star Mike Trout vendue 3,9 millions de dollars, record du genre, à l’été 2020. "Au final, le prix est celui que quelqu’un est prêt à payer pour cette carte, comme pour n'importe quelle œuvre d'art. analyse Thibaut Predhomme, responsable des opérations de la start-up. On n’a plus rien à voir dans cette transaction. C’est l’offre et la demande." "Certains sont prêts à investir de grosses sommes pour collectionner des cartes de leurs idoles, pointe Nicolas Julia, donc il y aura des exemples comme ça sur certains joueurs ou certains clubs mais c’est à la marge. Ça attire l’attention car ce sont des gros chiffres mais le quotidien de notre jeu de fantasy se fait sur des montants beaucoup plus petits."

L'Ethereum, un souci?

Sur le site, petits (et il y en a beaucoup pour les joueurs moins importants) ou gros, ils sont affichés en euros. Mais il y a une importante nuance. Si on peut payer directement en carte bleue, pour ne pas faire fuir les réfractaires à la nouveauté, les transactions sur les marchés Sorare se font en Ethereum, deuxième plus grosse cryptomonnaie derrière le Bitcoin. Un détail qui n’en est pas un. Entre NFT, blockchain et Ethereum, termes qui peuvent faire peur aux non-initiés, les acteurs de la start-up revendiquent de "faire au maximum abstraction de ces notions, qui ne sont pas évoquées sur la page d’accueil, pour créer un jeu où tu n’as même pas le sentiment d’interagir avec cette technologie" (Brian O’Hagan). Ce n’est peut-être pas la seule raison.

"La particularité de Sorare est que son système est basé sur une double spéculation, analyse Philippe Herlin, docteur en économie du CNAM et auteur de l’ouvrage Bitcoin: comprendre et investir. Les cartes sont achetées en Ethereum, qui vaut aujourd’hui aux alentours de 4000 dollars mais dont le cours a explosé au cours de cette année. Il y a donc de la spéculation sur la cryptomonnaie mais aussi sur les joueurs, dont la valeur va varier selon les performances. Je ne suis pas sûr que les utilisateurs soient conscients de cette double spéculation. Ceux qui ont acheté des cartes Sorare il y a un an ont beaucoup gagné grâce à l’évolution de l’Ethereum. Dans les faits, ils ont acheté de cette crypto via des cartes et même si leurs joueurs ont vu leur valeur sportive baisser, ils restent gagnants en euros tant l’Ethereum a augmenté. Mais il faut en être conscient et compter en Ethereum et non en euros car c’est trompeur."

Le marché aux enchères de Sorare, avec des prix affichés en Ethereum
Le marché aux enchères de Sorare, avec des prix affichés en Ethereum © DR/Sorare

Plus Sorare comptera d’utilisateurs, plus le système de rareté devrait permettre de voir la valeur des cartes augmenter. Mais les risques sont réels. Un hypothétique écroulement de l’Ethereum? Nos témoins en interne expliquent que ce n’est pas un problème car "les utilisateurs qui veulent penser en euros peuvent le faire et adapteront les prix pour s’y retrouver" (Thibaut Predhomme). Posséder sa carte de collection authentifiée permettra de jouer la carte de la patience et d’attendre un rebond positif, surtout avec des objets de collection qui peuvent vivre dans le temps et même après la retraite sportive des joueurs, Sorare ayant par exemple sorti une série de cartes de légendes du jeu comme Michel Platini, Diego Maradona, Alfredo Di Stefano ou David Beckham. Mais il faudra assumer de voir ses actifs baisser sans paniquer.

"L’Ethereum augmente depuis deux ans donc tout va bien, reprend Philippe Herlin. Mais si son cours chute d’un coup, comme pour le Bitcoin en 2013 et 2017, certains joueurs qui ont beaucoup investi vont perdre de l’argent et finir avec la gueule de bois. Pour régler ce problème, il faudrait pouvoir acheter des cartes Sorare en stable coin. Ce sont des cryptomonnaies indexées sur le dollar, par exemple le Tether, qui est égal à un dollar. Il y aurait juste un risque sur la valeur sportive des joueurs pour leurs utilisateurs, pas un risque sur le cours de la cryptomonnaie." Les intéressés semblent déjà y penser. "On pourrait venir à une cryptomonnaie indexée sur le dollar ou l’euro", lâche Brian O’Hagan au détour d’une phrase. Avant d’aller plus loin: "Demain, ce n’est pas impossible qu’il n’y ait plus d’Ethereum et que ce soit juste du dollar ou de l’euro car on sait que ça reste un des freins à l’adoption".

"Comme un GAFA"

Et Philippe Herlin de conclure sur une bonne note pour la start-up: "Sorare a réussi à prendre tout le marché sans véritable concurrent, comme un GAFA. C’est énorme. Et c’est pour ça que même si l’Ethereum s’écroule, son système continuera de fonctionner. Cela posera juste des problèmes chez les joueurs qui ont beaucoup investi." Les autres dangers autour de Sorare sont identifiables : une concurrence sévère entre utilisateurs qui demande une forte mise de départ pour acquérir certains joueurs, ce qui n’est pas donné à tout le monde, et une possible addiction à l’achat de cartes dans l’espoir d’un retour sur investissement XXL seulement réalisé par une poignée de joueurs. "On n’a pas envie que quelqu’un qui aurait des finances modestes ne soit pas capable de faire une équipe sur Sorare, répond Thibaut Predhomme sur le premier point. Mais c’est compliqué d’encadrer les prix car c’est l’offre et la demande. Si tu veux Mbappé dans ton équipe, il va y avoir de la bataille."

Et d’enchaîner sur le second point: "Le fantasy est une alternative beaucoup plus saine que le pari. Qu’un joueur gagne ou perde, ses cartes sont toujours à lui. Il n’y a pas cette forme de mise, d’incertitude et de chance. Si tu connais très bien le foot, que tu vas chercher les joueurs qu’il faut, tu vas gagner. Et tu ne te diras pas: 'J’ai perdu 10 euros mais je peux peut-être les regagner en mettant 20'." Mais gare aux excès, donc. "Il faut juste investir ce qu’on est en capacité de perdre, conclut Philippe Herlin. Il ne faut surtout pas prendre un crédit pour acheter ces cartes dans l’idée de faire un gros bénéfice. Il faut aller sur Sorare car on aime le football et les jeux de fantasy foot, pas pour gagner de l’argent."

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport