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Judo: Blandine Pont, ses tapis dans la lumière

La cinquième des derniers championnats du monde en moins de 48 kilos expose pour la première fois ses œuvres de jeudi à dimanche à Paris (24bis Rue Saint-Roch, Paris 1er). L’Héraultaise dévoile 3 tapis faits main le soir après les entraînements. Une récompense pour l’artiste de l’équipe de France de judo. RMC Sport l’a suivi quelques heures avant le vernissage.

Comment accrocher un tapis à un mur sans l’abîmer? Peut-être pas aussi compliqué que mettre ippon à une Japonaise mais un petit sac de nœuds tout de même. Lundi soir, la nuit tombe sur Paris, la soirée est moite, l’Opéra Garnier est au bout de la rue, au 24bis de la Rue Saint-Roch, Blandine Pont essaie de suspendre les trois tapis qu’elle va exposer grâce au Cercle des Artistes. Aidée par d’autres créateurs, à grands coups de chevilles, de scotch double face et de Prince de Lu parce que ça creuse, elle arrive à poser sur le mur de droite ‘Pittura’, ‘Citius, Altius, Fortius’ et ‘Bloom’. "Le premier mot qui me vient à l’esprit est excitation sourit Blandine Pont. Je suis trop excitée de montrer un peu de mon univers à côté de plein d’artistes plus fantastiques les uns que les autres. Je ressens du stress mais ce n’est pas le même que celui des compétitions ou des examens, c’est positif."

Depuis un an, dans son appartement, la moins de 48 kilos dessine puis tisse ses tapis. Une quinzaine de modèles sont sortis de l’Atelier Felieno. Une échappatoire avant la nuit et après la rudesse des entraînements ou des études (elle est en 5e année d’odontologie). Si les suiveurs du judo ont repéré l’ascension de Pont cette année avec des victoires à Paris, Tel-Aviv et Antalya, il fallait avoir l’œil sur les réseaux pour être au courant de ses talents avec le pistolet à tisser. Un post sponsorisé a attiré l’œil de Dany Mendes, fondateur du Cercle des Artistes, l’an passé. C’est la première fois qu’il va montrer une créatrice de tapis: "Je suis tombé sur son profil sur Instagram raconte-t-il. Quand j’ai vu ses travaux j’ai tout de suite était très intéressé. C’est un chemin que je n’avais pas exploré. Le Cercle des Artistes c’est explorer des profils atypiques qu’on ne voit pas dans le milieu traditionnel de l’art."

Un badaud passe une tête dans la galerie. Il vient se servir un verre de rosé au cubi posé sur la table de camping qui sert d’établi et de bar. Dany Mendes lui conseille de zieuter aussi les 18 artistes exposés. Plusieurs curieux comme lui ne sont pas déçus. Pour préparer le vernissage et les quatre jours d’expo, Pont a zappé l’entraînement du lundi. Le Cercle des Artistes lui permet de montrer son talent, peut l’accompagner sur les questions financières ou de représentation, en échange les artistes doivent délivrer. Mendes déroule un discours d’entraîneur sportif. Il réclame "rigueur et discipline" chez ses ouailles. C’est qu’il a vu chez Blandine Pont: "Au-delà du côté artistique il y avait sa carrière de judoka, ses diplômes. On envoie un message comme quoi tout est possible à condition de travailler, elle transmet bien cela. C’est le parallèle avec le sport, la discipline et la rigueur qu’il y a dans le sport, elle incarne bien le projet."

Chaque tapis sorti de sa chambre à Vincennes lui réclame entre 20h et 30h de travail. Ses tapis ne sont ni carrés, ni ronds, ni rectangulaires. Et pas forcément créés pour y poser ses pieds. C’est arrondi, plein de trous et de couleurs fortes. ‘Pittura’ avec ses tons d’orange et de brun rappelle la palette du peintre. ‘Bloom’ tout en violets et roses, "des fleurs en train d’éclore". Enfin ‘Citius, Altius, Fortius’ avec ses anneaux olympiques déformés, ni ronds ni ovales, chacun semblant se faire dévorer par un autre. Un écho à a carrière de judoka avec en point de mire les Jeux Olympiques. Pour l’instant, Shirine Boukli, deuxième des Mondiaux (Pont a terminé cinquième) a la main et participera aux championnats d’Europe début novembre. Pas Pont: "C’est le tout dernier tapis. Etant donné qu’en ce moment on pense beaucoup aux Jeux Olympiques l’inspiration m’est venue cette année. J’avais envie de faire quelque chose en rapport avec les JO. Revisiter les anneaux j’ai trouvé ça très original. Mes tapis ne sont pas classiques. C’est de l’art, j’essaye de ne pas faire des choses basiques. Ca peut être sympa sur le sol en transparence avec le parquet."

A chaque déplacement en compétition, Pont se garde un moment pour une exposition ou une balade dans un haut lieu culturel. En stage, elle emporte aussi son appareil photo argentique pour documenter la vie de l’équipe de France féminine. Ce jeudi, c’est le vernissage, ses coéquipiers de l’équipe de France vont venir admirer sa production maison. Certains d’entre eux sont déjà passés sur son fauteuil de dentiste. Ils pourront essayer de repartir avec ‘Citius, Altius, Fortius’ pour 500 euros: "Il n’y vraiment d’enjeu avec cette exposition rappelle Pont. Ce n’est pas comme le judo ou les cours. Il n’y a pas d’obligation de réussite, j’ai juste envie de partager de la joie avec les gens qui découvrent mon univers. Dans nos vies d’athlète de haut niveau ça me sort de ce quotidien qui demande beaucoup d’exigence, je m’évade. Quand je reviens au monde du judo ou dans le monde hospitalier, je suis pleine de bonnes choses" Peut-être sera-t-elle repérée par un nom de l’art qui l’emmènera vers des endroits plus prestigieux? A voir comment tout va vite pour la jeune femme de 24 ans, on ne parierait pas contre.

Morgan Maury