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Double Contact: "Je me bats pour avoir ma place", le rappeur Guy2Bezbar raconte sa nouvelle vie de footballeur en National 3

Après avoir percé dans le rap, Guy2Bezbar a repris sa carrière de footballeur en s’engageant l’été dernier avec l’US Ivry, un club présidé par Pierre Mbappé (l’oncle de Kylian), qui évolue en National 3. RMC Sport s’est déplacé dans le Val-de-Marne pour suivre l’artiste de 26 ans lors d’une séance d’entraînement. Épisode Double Contact collector.

En mouvement au milieu de ses partenaires, il brave le froid sans broncher en cette soirée de décembre. Crampons blancs, bas noir, haut rouge et chasuble sur le dos, Guy2Bezbar est en plein échauffement lorsqu’on le retrouve au stade des Lilas, un petit complexe situé à Ivry-sur-Seine, une ville du Val-de-Marne limitrophe de Paris (plus de 60.000 habitants). C’est ici, au sud-est de la capitale, que le rappeur de 26 ans s’entraîne plusieurs fois par semaine sous les couleurs de l’US Ivry. Après avoir percé dans la musique, l’artiste originaire du 18e arrondissement s’est engagé l’été dernier avec le club de National 3 (cinquième division). Un sacré défi pour Guy-Fernand Kapata (son vrai nom), qui a sorti récemment son projet "Ambition". 

"Je suis quelqu’un qui aime la compétition. Il manquait un peu d’épices dans ma vie, explique-t-il à RMC Sport. Je fais du foot, j’en ai fait quand j’étais jeune, je me suis dit: ‘Vas-y, je vais me lancer!’ Ma grande sœur a ouvert une agence de recrutement, c’est par ce biais que je suis venu à Ivry. Et puis je connaissais déjà des gens dans l’équipe."

Pierre Mbappé, l’oncle de Kylian, président du club 

Avant de se révéler au micro, Guy2Bezbar (en référence à son quartier de Barbès) a longtemps envisagé une carrière en crampons. Passé par l’UJA Alfortville, le Paris FC ou le Red Star, il a évolué à bon niveau dans sa jeunesse, en affrontant notamment le Drancy de Jean-Philippe Mateta, le Montfermeil de Joris Gnagnon ou le PSG de Jean-Kevin Augustin. Il a même effectué un essai à West Ham avec Mokhtar N’Diaye, le petit cousin de Max-Alain Gradel, et un autre à Westerlo, en Belgique. 

"Coco Jojo" (son surnom) s’est aussi frotté à Kylian Mbappé à l’époque où il partageait son temps entre Bondy et Clairefontaine. Hasard du destin, c’est Pierre Mbappé, l’oncle du capitaine de l’équipe de France, qui préside aujourd’hui l’US Ivry. Après en avoir été l’entraîneur (entre 2008 et 2013), le frère de Wilfrid Mbappé a pris les rênes du club il y a deux ans et demi (en bouclant aussi la saison passée comme coach intérimaire). De quoi créer un lien entre la famille de la star du PSG et la structure amateure du 94, qui a notamment récupéré un maillot dédicacé de Kylian. L’an passé, Ethan Mbappé est venu assister à certains matchs avec son père, alors que Claudio Beauvue, l’ancien buteur de l’OL et Guingamp, faisait partie de l’équipe de N3. 

"Je suis devenu tout keuss, laisse tomber!" 

Proche de Karl Toko-Ekambi et Jonathan Ikoné, Guy-Fernand Kapata a grandi dans un univers de footeux. Plusieurs de ses cousins sont devenus professionnels, à l’image de Yoane Wissa, l’attaquant congolais de Brentford, et Jérémie Bela, l’ailier de Clermont. Après avoir été approché par une formation de Serie C, lui a décidé de relever le défi proposé par l’US Ivry. Et il a d’abord fallu qu'il retrouve une bonne condition physique. "Lors de la préparation l’été dernier, il manquait de rythme, il était un peu lent sur les premiers mètres. Ça faisait cinq ans qu’il n’avait pas fait de foot à bonne intensité, glisse Marc Betemps, l’entraîneur adjoint d’Ivry. Le National 3, c’est quand même un bon niveau. Mais il s’est adapté et au fil des mois, on a vu un autre joueur. Il y a eu une réelle progression." 

Guy2B confirme: "Franchement, les premières séances, c’était cardio de fou malade. Après, tranquille, le rythme est revenu. Au bout de deux ou trois mois, c’était bon. Tu as vu comment j’ai maigri? Je suis devenu tout maigre, tout keuss là, laisse tomber! Je cours trop frère, il y a trop d’entraînements (sourire)."

"Bon dribbleur" et "vif sur ses appuis" 

Depuis le début de saison, l’US Ivry est entraîné par Pablo Huerga, un Espagnol de 35 ans, impliqué et exigeant, qui compte sur son adjoint pour assurer la traduction. "Il fait des bêtes de séances. Il est en mode pro dans sa tête, c’est un bon", souffle le rappeur-footballeur, qui parle juste "un poco" espagnol. "Le coach a décidé de me garder dans le groupe de N3, ce n’est pas parce que je suis Guy2 Bezbar. Il a dit: ‘Je kiffe son jeu, je le prends dans mes joueurs offensifs’. On a échangé et il m’a mis en confiance." Résultat: Guy vient transpirer quasiment toutes les semaines avec une grande motivation.  

Après avoir été formé comme milieu offensif, avec une préférence pour l’aile gauche, il écume désormais la pointe de l’attaque. "Le coach veut que je joue 9, donc je suis un peu tout seul devant. Il m’a demandé de jouer là, j’ai dit: ‘Let’s go’. Il a vu la finition", s’amuse-t-il. Marc Betemps complète: "On sait qu’il préfère jouer sur un poste un peu excentré, mais avec ses qualités dans le dernier geste, on aimerait bien qu’il poursuive son petit parcours au poste de n°9. C’est un bon dribbleur. Il est assez habile balle au pied et il est vif sur ses appuis. Guy est quelqu’un d’ambitieux dans la vie. Il cherche toujours à progresser et repousser ses limites. On le voit aux entraînements, il est très impliqué. Il a envie de travailler et d’être la meilleure version de lui-même."

Un groupe jeune, avec des anciens pros  

Après avoir retrouvé du rythme et des sensations, Guy-Fernand a eu droit à quelques apparitions avec la N3, le plus souvent en amical. Malgré son statut à part, le deal est clair: il doit gagner sa place sur le terrain. Et la concurrence est rude à l’US Ivry, un club fondé en 1919 par des jeunes militants socialistes, aux portes du 13e arrondissement. "Il y a du niveau, ça joue de ouf, témoigne l’artiste parisien. Certains joueurs avaient des contrats pro avant. Il y en a qui sont passés par Ajaccio, Lorient, le PSG, Rodez. Certains étaient dans des niveaux bien plus élevés la saison dernière. Moi je me bats pour avoir ma place dans l’équipe. Avec du temps, ça va venir."

Après avoir raté la montée l’an passé, l’US Ivry est actuellement 7e du groupe H de National 3 après quinze journées (cinq victoires, cinq nuls, cinq défaites), à treize points du leader Sainte-Geneviève (les réserves de du SC Bastia et de l’AC Ajaccio font partie de la poule). Le National 2 sera difficile à atteindre cette saison, mais c’est l’ambition à terme. Malgré sa jeune moyenne d’âge, l’effectif abrite quelques éléments expérimentés, à l’image de Mana Dembélé. L’attaquant de 35 ans (natif d’Ivry), passé par Guingamp, Le Havre ou Nancy, compte neuf sélections avec le Mali. L’équipe val-de-marnaise s’appuie aussi sur la vista de Sami Matoug, un milieu offensif de 24 ans qui a joué au Paris FC, ou le vécu de Viorel Boian, un gardien moldave de 27 ans, formé en Espagne.

Un planning particulièrement chargé 

"Le groupe est de qualité, donc ce n’est pas facile de gagner sa place, résume le coach adjoint. On a des joueurs passés par la Ligue 1 ou la Ligue 2. C’est contre ce type de joueurs que Guy est en concurrence. Il n’a pas choisi un chemin facile, mais petit à petit, il va pouvoir réussir à grapiller plus de minutes. En tout cas, il est sur le bon chemin." L’intéressé partage ses bonnes sensations et se sent désormais pleinement intégré au vestiaire: "Quand je suis arrivé, je ne connaissais pas trop les gens, mais après, les gars sont devenus mes reufs limite. Ça chambre à mort, tout se passe bien."  

Reste à jongler entre la vie de footballeur et ses obligations de rappeur. "Ça va. C’est comme une séance de sport dans la journée. C’est gérable. Il faut trouver du temps et faire quelques concessions. Après, je dors bien", sourit celui qui compte plus de 400.000 abonnés sur Instagram et près de 300.000 sur YouTube. "Le staff sait que la musique reste mon premier métier donc on s’organise. Dès qu’on sait qu’on va bouger, on prévient une semaine avant. Ils ont mon planning. Tout est ficelé."

"C’est plutôt lui qui s’adapte à nous"

Une communication appréciée par les dirigeants de l’US Ivry. "On a eu cette discussion avec lui en début de saison. Il a été très réceptif, ça prouve son humilité, glisse Marc Betemps. C’est plutôt lui qui s’adapte à nous. Il a déjà annulé certaines séances de studios pour pouvoir venir s’entraîner. Ça montre son implication. Nous, on ne peut pas changer les horaires, parce qu’il y a d’autres équipes qui s’entraînent dans le même stade. On est un club amateur, donc on ne peut pas tout chambouler par rapport à Guy."

Alors que sa tournée s’apprête à débuter aux quatre coins de la France (il sera au Zénith de Paris La Villette le 29 février), Guy2Bezbar va devoir s’absenter et manquer quelques entraînements. Mais le club restera en contact avec lui. "On a un préparateur physique en relation constante avec les joueurs. Nous aussi, les coaches, on peut lui envoyer des exercices. En plus, il est demandeur donc on ne lui court après", assure le n°2 du staff.  

Photos, chambrage et engouement 

Supporter du PSG "depuis l’époque de Pierre-Alain Frau", Coco Jojo est conscient de se mettre un peu en danger en reprenant une licence à un tel niveau: "Il y a toujours cette petite pression, parce que tu ne sais pas dans quoi tu mets les pieds. Mais il y a plus d’adrénaline. Je suis un mec qui aime bien le challenge. Je n’ai pas peur." Sa signature avait été largement relayée dans la presse et sur les réseaux l’été dernier. Les jours de match, des curieux se pressent parfois le long de la balustrade pour l’apercevoir. "Oui ça arrive. Dès fois quand on s’entraîne, des petits jeunes crient mon nom, ça fait kiffer. A l’extérieur, les gens chambrent un peu, mais ça fait partie du truc. Ça fait rire."

Sa présence suscite un engouement inhabituel autour de l’US Ivry, qui accueille près d’une centaine de spectateurs à chaque rencontre à domicile. "Lorsqu’on va en déplacement, il y a souvent des enfants qui lui demandent des autographes ou des photos, mais l’alchimie a pris avec le groupe parce qu’on le voit comme un joueur de foot, au-delà de ce qu’il fait à côté, raconte Marc Betemps. Il est vraiment très humble. Il s’est parfaitement adapté. Mais on est conscient qu’il a énormément de pression et d’autres choses à gérer à côté. Ce n’est pas une personne lambda au club." 

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"Un contrat pro? Je ne me l’interdis pas" 

Sous son maillot rouge et noir, Guy2B a conscience de représenter aussi une partie du rap français. Beaucoup d’artistes lui ont d’ailleurs transmis de la force ces derniers mois. "Tout le monde m’a envoyé un message, j’étais choqué. Soso Maness, Leto… même des gens avec qui je n’ai pas forcément collaboré." Certains, comme SDM, avec qui il a déjà tapé le ballon ("Il est en mode Lukaku lui"), ont promis de passer le voir à l’occasion.  

En attendant, Guy-Fernand Kapata savoure son quotidien rythmé, entre le synthé et le studio. "Pour l’instant, je profite un max et on verra pour la suite. Tout dépendra de mon métier, des concessions que je peux faire. Je ferai au feeling." Jusqu’à accepter un contrat pro si l’opportunité se présente? "Qui sait? Master P l’a bien fait (le rappeur américain a effectué des essais en NBA au début des années 2000, NDLR). Tout est possible dans la vie. On commence là pour finir en haut. On ne peut pas se mettre un frein. Si ça vient, ça vient. On ne prédit pas l’avenir. On reste focus. Non, je ne me l’interdis pas. On ne sait jamais. Ça peut être toi qui a ta chance ou un autre, il faut la saisir. On ne va pas faire les reustas…"

https://twitter.com/AlexJaquin Alexandre Jaquin Journaliste RMC Sport