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Comment un international français de football américain est devenu... international de bobsleigh

Jason Aguemon lors de sa saison avec Leipzig en 2021

Jason Aguemon lors de sa saison avec Leipzig en 2021 - Maksym Lobachov

Jason Aguemon fait partie de ces rares athlètes à avoir représenté la France dans deux sports différents au niveau international: en football américain et en bobsleigh. Le running-back qui fêtera ses 31 ans en avril joue avec la franchise parisienne des Mousquetaires.

Comment avez-vous découvert le football américain ?
Avec un manga tout d’abord, Eyeshield 21. Et puis j’ai toujours vu des images de football américain étant plus jeune, du Super Bowl notamment. Je crois que j’ai commencé avec le show de Michael Jackson. Ensuite, au lycée, j’ai découvert qu’il y avait un club pas très loin de chez moi, le Flash de La Courneuve et j’ai commencé tout de suite.

Aujourd'hui, vous jouez pour les Mousquetaires de Paris. Racontez-nous votre parcours...
Ça fait deux ans que je joue en ELF (European League of Football). J’ai joué en Allemagne, à Leipzig, dans un premier temps. L’année dernière, j’ai joué à Düsseldorf. Ça a vraiment été deux superbes expériences. Voyager pour le sport que j’aime, découvrir des gens qui ont la même passion et puis surtout jouer au plus haut niveau qui existe en Europe, c’est juste incroyable. Et maintenant je vais réaliser ce défi avec Paris, avec des joueurs et des coachs avec qui j’ai commencé à jouer au foot. Et puis il y a surtout avec la fierté de faire ça pour la France. On m’a contacté l’année dernière. J’ai eu la chance de faire partie des premières cibles de l’équipe. J’ai tout de suite répondu présent pour ce défi. J’ai dans l’idée, depuis l’année dernière de peut-être faire partie de la franchise française. Il n’était pas dit que ça devait se faire cette année mais ça s’est fait. Donc dès qu’on m’a proposé, j’ai foncé.

Jason Aguemon lors de la saison 2022 avec le Rhein Fire, à Düsseldorf
Jason Aguemon lors de la saison 2022 avec le Rhein Fire, à Düsseldorf © Dmitrij Zibart

Arrivez-vous à vivre du football américain ?
Pendant la période de jeu, les six mois, oui j’arrive à vivre de mon sport. Mais pas encore le reste de l’année. C’est le début, c’est la troisième année de la ligue. Je sais – pour avoir eu des échos de notre commissionnaire – qu’ils veulent professionnaliser le sport. Installer un minimum salarial pour tous les joueurs, et autres. Ce ne sera peut-être pas pour moi mais je pense qu’ils arriveront à en vivre. Personnellement, à côté de ça, je suis coach sportif. J’ai été passionné très vite par le football américain donc j’ai tout fait pour que ma vie soit en adéquation avec ma passion. J’ai plutôt bien réussi.

Vous êtes international français, comment ça se passe avec l’équipe de France ?
C’est un petit peu compliqué en ce moment, on est en pleine reconstruction. Notre année phare a été 2018, où on devient champions d’Europe. Après ça, on perd notre starter quaterback. Il arrête sa carrière internationale. Le football américain sans quaterback, c’est l’équipe d’Argentine sans Messi. Donc actuellement ça se reconstruit, c’est un peu compliqué à certains postes. Depuis la victoire au championnat d’Europe, on est toujours dans cette phase de reconstruction, où des jeunes arrivent et prennent un peu la place des anciens, dont je fais partie.

Comment avez-vous vécu votre titre européen ?
C’est mon meilleur souvenir sportif. C’était incroyable. Depuis que j’ai commencé le football américain, les meilleures nations sont l’Allemagne et l’Autriche. Ce sont les références européennes en football américain. Juste avant le championnat d’Europe, on a gagné les World Games, contre l’Allemagne en finale. Là on était en finale face à l’Autriche. On était menés à la mi-temps. Remporter ce championnat, le premier titre majeur de la France sur la scène européenne en football américain. C’était un sentiment incroyable. Pour la petite anecdote, on était dans l’hôtel avec les Autrichiens. Ils nous ont regardé de haut toute la semaine du championnat d’Europe, alors rentrer le soir avec le trophée… C’est un de mes meilleurs souvenirs !

Cela a-t-il changé quelque chose dans votre vie, cette victoire ?
Un petit peu. J’ai 25 ou 26 ans et je comprends que c’est un sport passion mais que je suis fou de ce sport. Je comprends que quoi qu’il se passe, je me sens bien quand je joue. Gagner le championnat d’Europe, c’était fort niveau émotions, et puis t’arrives à l’aéroport, on se dit au revoir, chacun rentre chez soi et puis plus rien. Ça met un petit coup. Tu te dis que le football américain, ce n’est vraiment pas connu en France. Il n’y a pratiquement rien autour. Tu peux faire ce que tu veux mais même si tu es champion d’Europe… Rien. A partir de là, je me suis dit que j’allais me donner les moyens. J’ai arrêté de coacher, de travailler pendant un an. Je ne sais pas d’où m’est venue cette décision. Je me suis dit qu’il me restait quelques années de football américain et que j’allais les faire à fond. Et je ne sais pas, l’univers m’a envoyé un message et à la fin de cette année, il y a eu les tests CFL. En ayant arrêté de travailler, en m’y étant mis à fond, en ayant une bonne préparation physique, j’ai explosé les tests et à partir de là, tout s’est enchaîné.

Comment situer l'intérêt de la France pour le football américain par rapport aux autres pays européens ?
En Allemagne, c’est un sport populaire, c’est un sport majeur. Les pays en Europe qui n’ont pas vraiment de culture rugby ont souvent une grosse culture football américain. L’année dernière, quand je jouais à Düsseldorf, on avait 10.000 spectateurs à chaque match. C’est encore, jusqu’à aujourd’hui, impossible en France. Quand t’es en Allemagne, tu sors avec ton t-shirt Rhein Fire (club de Düsseldorf) dans la rue, tout le monde te reconnaît. On te demande des autographes, des photos. T’arrives en France… tu prends ton métro, t’arrives à Gare du Nord, personne ne te connaît ! Tu peux être en équipe de France, jouer où tu veux, tu prends ton métro, tu rentres à la maison, sans que personne ne t’arrête ! (rires)

Vous avez aussi fait du bobsleigh et participé à la Coupe d’Europe de la discipline. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Durant mon année de formation pour devenir coach, mon directeur d’école avait comme projet de monter une équipe de bobsleigh. Un rêve fou qu’il avait était d'aller aux Jeux olympiques en bobsleigh, dans l’année. Comme c’est mon directeur d’école, je me dis que c’est bien de l’avoir dans la poche… S’il peut aider pour le diplôme ! (rires) Il me propose de venir passer des tests à Reims, donc j’y vais. On me dit sport, je suis comme un mort de faim. Une nouvelle expérience, je fonce. C’est ce que j’ai fait je suis allé à Reims mais je n’avais pas trop pris ça au sérieux. Quand j’arrive, je rencontre des sprinteurs nationaux, qui font des meetings, qui font des podiums, dont Alan Alaïs, qui fait encore du bobsleigh en équipe de France. Et là je me rends compte que c’est sérieux ce qui est en train de se passer. J’ai dû pas trop mal m’en sortir, il me semble que j’ai fait le même temps que lui à la poussée. Le test était très simple. C’était un poussé de chariot sur dix ou vingt mètres. A partir de là, je n’ai rien compris. Le directeur me dit que je suis pris, que les championnats commencent telle date. Je lui demande s’il est sérieux. Il me dit que oui, qu’on a un championnat le mois suivant, qu’on va devoir s’entraîner, qu’on va à La Plagne la semaine suivante. Et hop, c’était lancé, je faisais du bobsleigh !

Et après la Coupe d'Europe ?
C’est l’histoire du bobsleigh en France. Je ne vais pas parler pour eux parce que je ne m’y connais pas plus que ça, mais il me semble que ce n’est pas très développé puisqu’il n’y a pas de club. Pour faire du bobsleigh, il faut forcément avoir le niveau national. Dès que tu gagnes le droit de représenter la France, t’es tout de suite embarqué dans des compétitions internationales. Il n’y a pas de compétition au niveau national. Personnellement, je n’ai fait que des Coupes d’Europe. Tu découvres des sprinteurs, des athlètes incroyables dans toutes les équipes. Tu vois les équipes allemandes, canadiennes. C’est un des sports phares dans leur pays. Ça a été en tout cas une expérience incroyable. Pour moi cette aventure a duré un an. Ça a été une coupure. Jusqu’à la fin, on avait comme espoir, comme rêve, de participer aux JO. Ça n’a pas été le cas donc j’ai pu reprendre le football américain en cours de saison cette année-là.

Le bobsleigh ne vous manque-t-il pas ?
Ce fut une aventure incroyable, mais on ne dit pas tout sur le bobsleigh. Ce sont souvent les pousseurs et le pilote qui s’occupent de l’entretien de leur machine : poncer les lames, verrouiller… C’est vraiment mécanique, donc même si c’était une belle aventure, aller à la montagne et faire de la route pour monter en altitude, ça ne me manque pas. Les sports de glace, ce n’est pas mon truc ! Concernant le défi sportif, je suis un sportif dans l’âme, je suis un compétiteur dans l’âme, ça me manquera toujours. C’était une expérience incroyable, mais tout le truc autour un peu moins.

Vous avez représenté la France dans deux sports différents, c'est une fierté...
Bien sûr ! Je ne le répète pas tout le temps, mais en tout cas c’est coché dans un coin de ma tête. Je ne sais pas si je me ferai un jour un trophée personnel ou un truc au milieu du salon. Mais oui, c’est incroyable. C’est un rêve de représenter la France dans ton sport. Dans un sport, c’est déjà incroyable, moi j’ai pu le faire dans deux sports différents. Oui, plus tard, je m'en vanterais bien.

Qu’est-ce que ça fait de représenter son pays en sport, sans pour autant être connu ?
On va dire que j’ai eu le temps de me faire une raison. Je suis en équipe de France depuis mes années juniors en football américain. La première fois que j’ai été sélectionné, je devais avoir 16-17 ans. J’y vais. Le petit gamin de 16-17 ans qui va en équipe de France croit qu’il va revenir comme un roi, qu’il va être connu simplement parce qu’il est en équipe de France… Non. Tu reviens, tu vas à l’école comme tout le monde, personne ne te connaît. Les gens de ta classe te disent : "Ah ouais, t’es en équipe de France ? Bravo !" Pas plus que ça. J’ai eu le temps de m’y faire. Ça reste une fierté pour moi. Ça reste une passion. C’est déjà une très grande fierté de pouvoir faire partie des meilleurs joueurs de mon pays. Donc ce ne sera jamais une déception. C’est simplement dommage. J’espère qu’avant la fin de ma carrière, je vais faire partie des pionniers qui vont faire en sorte que le football américain soit un peu plus connu en France.

Yannis Passerel