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Pierre Courageux sous le maillot de l'équipe de France

Pierre Courageux sous le maillot de l'équipe de France - DR/FFFA

Football américain: Pierre Courageux, un Bleu globe-trotter comme un symbole

L’équipe de France de football américain dispute ce samedi (13h) en Finlande un match pour prendre la troisième place du championnat d’Europe de la spécialité. Focus sur Pierre Courageux, membre de la défense tricolore, dont le parcours qui l’a obligé à voyager à travers le continent pour vivre de sa passion symbolise les difficultés de sa discipline à exploser dans son pays.

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Il ne sera pas dépaysé. Quand les Bleus de l’équipe nationale de football américain vont pénétrer ce samedi sur le terrain de Vantaa (banlieue d'Helskinki) pour défier la Finlande, troisième place de la Ligue des Nations IFAF (ex-championnat d’Europe) en jeu, Pierre Courageux n’aura pas besoin de temps d’adaptation. La Finlande, il connaît. Un des nombreux pays dans lesquels il a posé ses valises pour assouvir sa passion. "Dans le groupe pour la Finlande, une dizaine ou une quinzaine de joueurs français ont déjà joué dans la ligue locale, pointe-t-il pour RMC Sport depuis le CRESP de Wattignies, où les Bleus ont préparé leur match ces derniers jours. Retourner là-bas est un plaisir pour tous.

Si les voyages forment la jeunesse, au football américain, ils peuvent surtout raconter une carrière. France, Canada, Finlande, Allemagne, Islande, Turquie, Danemark, Suède, Italie, Pologne. A trente ans, ce defensive back – et plus exactement safety, poste "plus ou moins équivalent du quarterback en défense, car on a toute la défense et l'attaque devant nous et qu'on peut ajuster nos joueurs s'ils sont mal placés" qu'il a "appris à maîtriser avec le temps" après être passé par "toutes les positions" et avoir constaté que "l’attaque, ce n’était pas pour (lui)" – a vu sa carrière de footballeur américain lui permettre de jouer au globe-trotter. Un parcours d’homme en résonance d’un parcours sportif.

Comme Clark Kent

"Ça m’a permis de grandir en tant que personne, explique-t-il. J’ai appris énormément à l’étranger. Ça m’a déjà permis d’être bilingue, car il fallait bien se faire comprendre. J’ai aussi rencontré des personnes qui m’ont ouvert les yeux sur beaucoup de choses en dehors du football américain. C’est vraiment un parcours de vie qui va bien au-delà du sport. J’ai vu le football américain comme une opportunité de vivre dans des pays que j’avais toujours voulu connaître et de m’ouvrir à de nouvelles cultures. Pour moi qui aime les voyages, c’était vraiment parfait." Pierre Courageux débute son histoire d’amour avec le football américain "l’année de (s)es quatorze-quinze ans". A travers les séries ou les films, à l’image de "Clark Kent qui joue un quarterback dans Smallville", l’adolescent a développé "un attrait pour le rêve américain et les sports US".

Pierre Courageux avant une action défensive avec l'équipe de France
Pierre Courageux avant une action défensive avec l'équipe de France © DR/FFFA

Il finit par découvrir que sa ville de Bretagne, Vannes, héberge une équipe. Coup de foudre. "Au bout de deux-trois entraînements, je savais que c’était le sport que je voulais faire." Doué, le garçon rejoint vite le pôle Espoirs de l’équipe de France, au Mans, puis part étudier au Canada, où son sport est bien plus développé. Au bout de deux ans, il ne peut pas renouveler son visa (car pas étudiant à temps plein) et rentre en France. La décision est prise: il veut vivre du football américain. Mais pas facile à faire dans son pays, où aucun championnat professionnel n’existe.

"A l’époque, le meilleur niveau que j’imaginais, c’était l’équipe de France, se souvient-il. Le coach des Bleus était aussi celui de l’équipe de Thonon-les-Bains donc je suis allé jouer à Thonon, en première division. On a gagné le championnat, j’ai eu ma première sélection en équipe nationale et c’est un tremplin individuel pour pouvoir jouer en Europe. Les clubs européens ont souvent des petits budgets mais peuvent se permettre d’avoir quelques-uns des meilleurs joueurs européens pour étoffer leur effectif et se basent souvent sur les équipes nationales pour faire leur choix car ce sont les meilleurs de chaque pays."

Sa tournée de certaines des meilleures équipes du continent démarre. Comme un vrai pro, ou presque. "Les premières saisons, j’étais très content de simplement vivre du football américain car c’était un rêve, raconte-t-il. Les salaires sont assez modestes, ça va de 500 à 2000 euros, sachant qu’il y a toujours compris le logement, l’assurance, le transport sur place et pour aller dans le pays, la salle de sport, parfois les repas jusqu’à cinq par jour comme j’avais par exemple en Pologne cette année, donc le reste est presque à 100% de l’argent de poche. Et on arrive de plus en plus à des salaires très corrects, qui peuvent être étalés sur l’année complète si on décide de coacher en plus de jouer."

Pierre Courageux sous le maillot de l'équipe de France
Pierre Courageux sous le maillot de l'équipe de France © DR/FFFA

Problème? Formés en majorité de joueurs locaux qui ont une vie à côté, ces clubs "qui restent amateurs à plein de niveaux" s’entraînent "trois fois par semaine maximum". "Les joueurs 'import', payés" ont donc "énormément de temps libre". Idéal à ses débuts. Mais avec le temps, et les responsabilités financières qui grandissent en France (appartement, voiture, épargne, etc), Pierre Courageux demande "une opportunité de travail à côté" pour "s’occuper" et faire grossir ses rentrées. "Même si le salaire de joueur est suffisant, ma philosophie est de jouer mais pas uniquement", complète-t-il.

Les différentes expériences font sourire quand on se rappelle que le jeune homme est un pilier de l’équipe de France, dont il est un des joueurs les plus capés depuis 2014. En Suède, récemment, il a été barman, job déniché "par quelqu’un de l’équipe". En Islande et en Finlande, il s’est mué en "guide pour les aurores boréales". Quand le sublime se mêle à l’utile. "L’Islande est un pays magnifique, sauvage. J’y étais avant le Covid et il y avait énormément de touristes nord-américains ou français donc avoir un guide français est intéressant pour eux. On trouve du travail assez facilement si on décide de s’investir dans un pays."

Travailler à côté épouse la logique. Enfin, ça dépend où. "Si on décide de travailler en Turquie ou en Pologne, où je suis passé, le salaire moyen est respectivement de 250 et 500 euros. Avoir un mi-temps en Pologne, c’est travailler vingt heures et quelques pour 250 euros donc ce n’est pas intéressant. Mais en Finlande ou au Danemark, où je suis passé aussi, travailler à mi-temps rapporte plus que le SMIC en France." Cette année, en Pologne, où il a pu faire une demi-saison dans la nouvelle ligue européenne (European League of Football), championnat semi-professionnel à huit équipes (six en Allemagne, une en Pologne, une à Barcelone) dont il a terminé demi-finaliste avec les Wroclaw Panthers, Pierre Courageux a donc préféré "travailler sur un projet pour plus tard ou en freelance pour certaines compagnies".

Un parcours qui "arrive à sa fin" dixit l’intéressé. Revenu ces dernières semaines à Vannes, où il travaille comme "ostréiculteur, un boulot trouvé en faisant une semaine d’intérim entre deux voyages", il va décider "dans le mois qui vient" d’une nouvelle destination en Europe pour "faire une dernière saison en tant que joueur". Il compte ensuite devenir coach. "J’aimerais trouver une équipe qui voudrait que je sois là à l’année, pendant la saison et surtout la préparation d’avant-saison, ce qui prendrait de neuf à douze mois, et en plus de ça travailler dans ce pays. J’envisage donc un peu plus le nord de l’Europe, Danemark, Suède ou Finlande, pour trouver un travail assez intéressant financièrement pour mettre de côté. En Finlande et au Danemark, ils ont des équipes jeunes assez performantes et des budgets qui peuvent permettre d’avoir des coaches à l’année donc c’est une option."

Un an et demi sans jouer

En attendant, il y a une médaille européenne à aller chercher avec l’équipe nationale, championne d’Europe 2018 à… Vaata (il n’y était pas) et qui a remporté la médaille d’or (il y était) aux World Games en 2017. Des Bleus qui auront connu un long chemin de croix pour en arriver là, pandémie oblige. Qualifiés pour les demi-finales depuis leur victoire sur la Serbie (13-7) en novembre 2019, les Français devaient jouer leur place en finale en août en Italie. Mais le nouveau monde réserve parfois de mauvaises surprises. "On s’est préparé, on s’est déplacé là-bas et quand on a fait les tests la veille du match, on avait des cas de Covid parmi nous, raconte Pierre Courageux. La rencontre a été annulée et on a perdu sur tapis vert. C’était très frustrant. Mais on compte bien prendre notre revanche."

L'équipe de France de football américain vise la troisième place du championnat d'Europe
L'équipe de France de football américain vise la troisième place du championnat d'Europe © DR/FFFA

Pour ceux qui n’évoluent pas aux quatre coins du continent, il a aussi fallu gérer une longue période… sans match. "Comme tous les sports amateurs, on a souffert de la pandémie, appuie notre témoin. La saison 2020 a été arrêtée au tout début de saison pour toutes les divisions et la saison 2021 n’a tout simplement pas eu lieu par mesure de précaution, ce qui fait que certains joueurs n’ont pas joué de match depuis un an et demi voire quasiment deux ans. Mais une grosse partie de l’effectif a réussi à partir dans les championnats européens qui pouvaient toujours jouer."

Porter le maillot tricolore, "toujours une fierté" et "le mieux qu’on puisse faire pour un joueur français au-delà des ligues professionnelles américaine et canadienne", reste le fil conducteur commun de ces joueurs éparpillés à droite à gauche. "C’est aussi ce qui fait la richesse de l’équipe de France, pointe Pierre Courageux, car certaines autres nations viennent uniquement d’une seule équipe et n’ont pas d’influences différentes. En France, on a vraiment cette force-là." Le quarterback Léo Cremades, qui arrive à jouer son rôle de leader sportif du haut de ses dix-neuf ans, ce qui n’est pas si commun à son poste en dehors du système nord-américain, et ses coéquipiers sont "prêts" et ont "hâte" avant de défier une Finlande cinq fois championne continentale et en bronze lors de la dernière édition.

Une victoire serait synonyme de quatrième podium continental de rang pour les Bleus après l'argent de 2010, le bronze de 2014 et l'or de 2018. Ce qui n’empêchera pas le déficit de notoriété d’un sport qui n’a jamais explosé dans notre pays alors qu'il est bien plus développé chez certains voisins européens comme l'Allemagne. Pierre Courageux, qui représente les athlètes au comité directeur de la Fédération avec son coéquipier Arnaud Montgenie pour "avoir un impact et un pouvoir décisionnel sur le développement du football américain en France", pourrait en parler des heures. Les explications qu’il fournit sont nombreuses: le manque d’investissement qui entraîne un manque de médiatisation ou encore les difficultés à organiser un petit match entre amis (comme au foot) dans un sport qui demande de grandes connaissances tactiques ou à trouver un club alors que la communication manque. "C’est un sport que beaucoup auraient aimé pouvoir découvrir plus tôt", se désole le defensive back tricolore.

Pierre Courageux (numéro 1) avec ses coéquipiers de l'équipe de France
Pierre Courageux (numéro 1) avec ses coéquipiers de l'équipe de France © DR/FFFA

La mauvaise image d’une discipline qui semble ne pas assez protéger la santé de l’athlète quand on la connaît mal joue également. "Pour contrebalancer ça, la Fédération travaille fort sur une pratique sans danger pour les plus jeunes, explique Pierre Courageux, un football sans contact basé sur la mobilité et la motricité, qui peut se faire à partir de huit-dix-douze ans, et à partir de quatorze on peut commencer à faire du contact et du plaquage. C’est un aspect important qui va permettre le développement dans les années à venir." Il y a aussi la concurrence du rugby, trop souvent vu (à tort) comme similaire. "Je n’ai pas les chiffres précis en tête mais souvent, après les succès de l’équipe de France de rugby, on voit une baisse des pratiquants de football américain, confirme le joueur international. On a aussi beaucoup l’inverse, des anciens rugbymen qui ne trouvent pas leur plaisir dans la pratique du rugby, qui viennent au foot américain et qui s’y épanouissent."

Le lancement de la ligue européenne pourrait aider en offrant une belle perspective locale aux jeunes avec projet d’équipe qui pourrait voir le jour "au niveau de Paris" même si "rien n’est encore décidé". On restera toujours loin des Etats-Unis, où le foot US est une religion dans certains Etats et fait parler de lui du lycée à la puissante NFL. Mais les passerelles avec l’autre côté de l’Atlantique pourraient se multiplier, à l'image du récent NFL Internatiol Combine, journée de détection pour les joueurs internationaux à laquelle six Français ont pris part. "Il y a de plus en plus de joueurs qui arrivent à rentrer en lycée ou à l’université avec des bourses complètes, ce qui fait qu’ils vont être dans un système de très haut niveau beaucoup plus tôt, explique Pierre Courageux. C’est une question de temps avant qu’un joueur français ne soit drafté, c’est certain, et qu’il ne joue vraiment au-delà d’être drafté." Ce ne sera pas pour lui. Pas grave. Le football américain lui a déjà beaucoup apporté. Au joueur et au moins autant à l’homme.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport