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A la découverte du ski de vitesse avec Bastien Montès, lancé à plus de 250 km/h à la poursuite du record du monde

Discipline méconnue dans le monde des sports d'hiver, le ski de vitesse pourrait bien gagner en visibilité dans les années à venir. Entre records du monde et Jeux olympiques 2026, les objectifs sont clairs pour Bastien Montès. Le Tarbais nous présente les spécificités de son sport.

Pouvez-vous vous présenter? Qui êtes-vous, quel est votre parcours ?

Je suis skieur de vitesse semi-professionnel depuis que j'ai 16 ans donc ça fait un petit moment que j'évolue sur le circuit mondial. Je suis issu du milieu du ski alpin. J’ai aussi fait du ski freestyle et du freeride. J'ai vite basculé sur le ski de vitesse. Quand j’étais petit, j'ai rêvé avec les athlètes en voyant la discipline aux Jeux olympiques d’Albertville en 1992. Mon père était entraîneur de l'équipe de France pendant les Jeux et c'est un peu ce qui m’a donné cette vocation.

Je faisais de la gymnastique et du rugby à un bon niveau mais je me suis naturellement dirigé vers le ski de vitesse parce que c'était un sport qui me plaisait. La sensation était assez extraordinaire. Le milieu en lui-même et la quête de records c'était un peu le Graal, le truc qui me faisait le plus vibré.

Ça a l'air d'être un sport un peu fait "pour les fous"!

Vu de l’extérieur, c’est complètement ça. Après de l'intérieur, tu te rends compte que c’est différent. Pour aller chercher des records du monde par exemple, il n’y a que les cinq meilleurs mondiaux qui s'élancent d'un sommet de piste pour limiter les risques. Parce qu’on a besoin d'être à 2000%. On se prépare de nombreuses années pour ces vitesses-là. On est surentraînés et les risques sont limités, tout est réfléchi, tout est calculé. On a l'impression qu'on se jette n'importe comment sauf qu'en réalité, on doit maîtriser la peur pour aller chercher une performance qui est réservée à une élite.

Que diriez-vous aux gens qui pensent que le principe est juste de descendre tout droit?

Que c'est simpliste... mais que c'est exactement ça, tu descends tout droit. Sauf que derrière, il y a énormément de détails parce que descendre tout droit à 250 km/h, il faut pouvoir le faire déjà physiquement. Il faut pouvoir tenir ses skis à ces vitesses-là, sachant que le moindre écart d’un petit dixième fait basculer ton ski à près de deux mètres de toi. Donc derrière, il faut réussir à le rattraper.

La moindre petite aspérité, une petite bosse d’un ou deux centimètres, te fait décoller sur dix mètres. Prendre des vents à plus de 150 km/h sur le haut du corps, c'est un combat, c'est vraiment de la survie sur tout le long du run. C'est un peu comme si tu roules à 250 km/h sur une route et que tu sors tout ton corps d’un coup à l'extérieur et tu vois ce qui se passe.

Pouvez-vous nous présenter l’équipement d’un skieur de vitesse?

L’équipement qui se remarque le plus, c'est le casque profilé, adapté à la fois à la morphologie de ton corps, à ta position, à comment tu vas vouloir pénétrer l'air. Ça donne un peu un aspect à la Dark Vador. Ce sont des casques très larges, assez spéciaux. On a une combinaison plastifiée, complètement imperméable, qui fait vraiment glisser l'air sur notre corps pour pouvoir le fendre. On a des skis beaucoup plus grands (2m40) et beaucoup plus lourds. Ça nous permet de gagner en stabilité. L’inconvénient, c’est que dès que le ski part un petit peu, pour le rattraper, c'est beaucoup plus dur et ça demande beaucoup plus d'énergie. Donc c'est beaucoup plus dangereux parce que ça ne se tourne pas facilement. C'est assez sportif.

On a des ailerons derrière les chaussures. C'est un peu comme une sorte de mini aile d'avion. Ça nous sert un peu de gouvernail, et surtout ça réduit les turbulences derrière notre pied donc ça nous permet d'accélérer. Les bâtons nous permettent de nous caler sur une position. On a des chaussures classiques qui sont juste modifiées pour être plus performantes en termes d'aérodynamisme. Enfin, on a une dorsale pour protéger la colonne vertébrale.

Détaillez-nous votre quotidien, entre l’importance du travail sur la piste, en soufflerie, en sophrologie...

Le premier truc qui vient en tête, c'est l'aspect physique parce que pour se lancer sur une piste à 250 km/h, il faut que le physique suive derrière. C'est l'ensemble du corps qui doit travailler. Il faut que le gainage de la chaîne abdominale permette de faire la jonction entre les jambes et le haut du corps.

Après, le matériel, c’est de longues heures de recherche en soufflerie. Ça nous permet de travailler sur de petits détails. On va dans une soufflerie, pour reproduire un peu l'effet du vent. On capte des données grâce à ça. On va essayer de gagner un petit peu de vitesse en changeant la position, en changeant les ailerons, le casque, en adaptant la position des bras. Ça va nous faire gagner des petits millièmes qui seront hyper importants sur un résultat final. On a par exemple, une position pour la toute petite vitesse qui est très performante, mais qui, on le sait, ne nous permettra pas d'aller beaucoup plus vite parce qu'on va se faire complètement ouvrir.

Et pour l'aspect psychologique?

Le mental est peut-être la partie la plus importante au final puisque ça concerne la gestion du stress et de la peur. T’arrives en haut, tu ne sais pas ce qui va se passer donc t’as forcément la peur qui grandit. Tout le monde a forcément peur sur un départ. Tu ne sais pas dans quoi tu te lances: des vitesses que personne n'a atteintes, t’as un trou devant toi. Pendant deux kilomètres, tu sais que tu vas te faire déchirer par l'air, tu vas rebondir dans tous les sens. Le but est d'arriver à faire complètement le vide, de faire une descente sans penser à quoi que ce soit et que tout soit automatisé, et là c'est des années et des années de préparation parce qu’on ne peut pas se lancer comme ça, sur une piste à ces vitesses-là.

Le mental est ce qui fait la différence entre un bon et un très bon skieur de vitesse car ça se joue sur la gestion de la prise de risque, la gestion de la peur. La folie, et c’est ce qui arrive souvent quand on est beaucoup plus jeune – ça m'est arrivé aussi – c'est de ne pas se rendre compte forcément du danger et de se lancer en sans peur. Sauf que derrière, c'est très vite une catastrophe parce que la peur nous permet de rester très concentré, de maîtriser le moindre paramètre et de tout analyser. Mais la peur nous permet de rester en vie, d'être hyper vigilant et d'aller chercher des records comme ça avec le maximum de sécurité possible.

Qu’est-ce qui fait que vous avez un peu plus peur par rapport au début de carrière ?

Chez les jeunes, je me sentais un peu invincible et j'étais en prise de risque maximale tout le temps pour aller chercher des performances. Sauf qu’au fur et à mesure, tu vois des skieurs chuter, tu commences à chuter toi aussi, tu te rends compte du risque, du danger, de la conséquence de la chute. Puis tu te dis que ça peut arriver sur une petite seconde alors que tu paraissais vigilant. Ça peut arriver n'importe comment, sur un petit coup de vent, tu te fais envoler. T’as une petite bosse que tu n'arrives pas à maîtriser.

C’est tellement infime, ce sont des petits paramètres qui sont tellement peu gérables, que forcément, dans ta tête, ça commence à tourner. Après, la chute tu l'as en tête, le risque tu l'as en tête, tu vois ce qui se passe et plus l’âge avance, plus ton expérience grandit, plus t’en prends conscience, mais plus tu apprends à le gérer aussi et plus ça te rend performant.

"J'ai eu la chute la plus rapide du monde, à 243 km/h"

Et comment arrivez-vous à dépasser ça et à rechausser les skis?

Il faut savoir que j'ai eu la chute la plus rapide du monde. J'ai chuté à 243 km/h, en 2014. Le lendemain, je suis remonté sur les skis, directement, et j'ai fait un run à 248 km/h, mon nouveau record à ce moment-là et j’ai terminé 3ème. C'était assez extraordinaire. Ça m'a permis de me dire que le mental décide de tout. C'est là-dedans que ça va se décider et si toi t'as décidé de faire en sorte de repartir, en pensant que les choses se passeront bien, c'est comme ça que tu vas pouvoir performer et durer encore longtemps.

Sur ma chute, j'ai eu de la chance parce que j’ai juste glissé. Je me suis brûlé au 3ème degré. Quand tu tombes, t'as l'impression de te faire brûler, d'être sur un bûcher, de sentir la moindre aspérité de la piste. J'ai eu pas mal de pépins : genou, épaule déboîtés, des trucs comme ça. Ce jour-là, précisément, c’était vraiment dans la tête et je savais que si je ne remontais pas le lendemain matin, jamais je n'aurais pu repartir, mais évidemment c'était hyper compliqué. Je n'arrivais pas à enfiler la combinaison, je ne pouvais pas me mettre en position puisque j'avais tout qui brûlait. C'était une folie.

Que ressentez-vous durant une descente?

C'est assez compliqué à expliquer. Déjà au départ, tu as souvent les skis dans le vide. Tu vois un énorme trou, tu ne vois que la première partie de la piste parce que le départ est à plus de 90% (98% à Vars). D'ailleurs t’as une bosse et tu ne vois même pas l’aire d’arrivée ni rien parce que c'est beaucoup trop pentu. Donc t'as forcément une petite appréhension, mais qui reste positive, et qui te permet d'être plus concentrer. A ce moment-là, où tu t’élances, ça va te soulever un peu le cœur, et tu te dis que de toute façon c’est parti. Le but est de te vider la tête et de ne plus penser à rien. C’est que du feeling.

Tu passes les 200 km/h en moins de 6 secondes, donc là t'as tout ton corps qui essaye de résister à la poussée de tes skis qui partent vers l'avant. Tout le corps par en arrière donc il faut être costaud au niveau du gainage des abdos pour rester devant. Avec la vitesse, t’as le champ de vision qui commence à se rétrécir donc c'est plus que des points, des sensations.

Tu te rappelles de toutes les descentes que t'as faites la semaine d'avant, tu te rappelles du moindre centimètre. Je sais que là je vais sentir une petite bosse sous mon pied gauche donc là il faut que je me décale à droite sur un petit trou qui va me permettre de m'élever sur la bosse… C’est que du ressenti. Après, dès que tu commences à passer les dix premières secondes, là t'es déjà à 230, 240 km/h, mais c'est vraiment de la survie, c'est-à-dire que t’as les deux pieds qui cherchent à partir d'un côté et de l'autre, donc tu ne fais qu’essayer de les rattraper. Le vent essaie d’ouvrir ton corps en deux pour séparer le haut de ton corps avec le bas.

C'est un combat permanent jusqu'à ce que t’arrives quasiment sur la ligne de cellule parce qu’on est chronométré que sur les 100 derniers mètres de la piste. C'est un temps sur les 100 derniers mètres qui nous permet d'avoir une vitesse. Quand tu vois que t'arrives sur la zone de timing, c'est là que t'essaies de relâcher complètement tes skis, ta façon de skier pour être le plus rapide sur la fin, il faut tout donner. Après c'est vraiment la délivrance une fois que t'as passé la ligne rouge d'arrivée parce que tu te relèves petit à petit et derrière t'as un énorme virage à faire pour t'arrêter, à 200 km/h. C'est vraiment là que la course se finit, c'est quand t'es arrêté, pas juste à la fin de ton chrono.

Pourquoi la vitesse est-elle mesurée en bas? N'y a-t-il pas un moment plus haut sur la piste où vous êtes plus rapide?

Si. On a déjà fait des tests avec un GPS et sur la pointe pure de vitesse, on peut être plus rapide sur une partie de la piste. Mais pour les règles de la discipline, t’es chronométré sur une distance de 100 mètres, qui est placée sur la fin de la piste. Le but est d’être le plus rapide à ce moment-là.

Combien de temps dans l’année consacrez-vous au ski de vitesse?

Tous les jours de l'année. Je vais m'entraîner physiquement, mentalement, je travaille en sophrologie également (une fois par semaine, une fois par mois, selon les périodes). Je n’arrête jamais les recherches. C’est tous les jours, tout le temps, puisqu’on recherche du matériel, on travaille en soufflerie.

Il y a aussi la recherche sur les skis parce qu'on a des dizaines de paires de skis qui correspondent à des types de neige différentes et des fartages différents. J’ai un farteur qui est là pour réfléchir à comment adapter ce qu'on va mettre sous les skis en fonction de la neige, qu’elle soit humide ou sèche, qu’elle soit froide ou chaude. Ça change complètement. Il y a des milliers de produits différents à mettre dessous pour nous permettre d'évacuer le plus rapidement l’eau. C'est un travail de tous les jours pour 25 secondes de course en fin d'année, quand on parle de record du monde, donc c'est assez frustrant.

Arrivez-vous à vivre du ski de vitesse? Si non, quelles sont vos ressources financières?

A en vivre, non. C'est une discipline passion. Le problème, c'est qu'elle est très élitiste et il faut forcément avoir une activité à côté qui nous permette de subvenir à nos besoins du quotidien parce que ce n’est pas possible de vivre de la discipline. Il n’y a pas assez d'argent dedans. Donc j'ai monté un restaurant avec des associés (dont Céline Dumerc, ancienne internationale française en basket). Ça me permet de m'entraîner tous les jours. Quand je ne suis pas là, mes associés prennent la relève et sur des périodes un peu plus creuses, je passe la plupart de mon temps à venir donner un coup de main pour leur donner le change.

Vous avez un petit grigri: pourquoi est-il important pour toi ?

C’est travaillé en préparation mentale et en sophrologie. Il va y avoir de petits éléments permettant d’entrer en état d’hyper concentration. Ce sont des choses qui peuvent paraître insignifiantes. Pour certains, ça peut être un caillou. Pour moi, c’est une sorte de pendule porte-chance. Quand je le vois – parce que je l’ai avec moi sur le départ – ça me donne le signal qu’on est sur le départ. Tous les automatismes reviennent, je fais le vide dans ma tête et je suis reparti à 200%. On a travaillé en amont pour que je sois à 200% à ce moment-là.

Vous descendez avec ou vous l'avez simplement avec vous au départ?

Non, je l’ai juste avec moi au départ. J’ai aussi un scotch avec un mot écrit dans mon casque. C’est le deuxième élément, que je regarde juste avant le départ. Il me fait rentrer dans cet état d’hyper concentration juste avant de m’élancer.

Il y a deux casques en ski de vitesse…

C’est ça. J’ai un petit casque à l’intérieur qui est le casque sécurité. L’autre, c’est la partie vraiment performante et qui explose en cas de chute.

Quelles sont les conditions idéales pour une tentative de record du monde?

Pour aller chercher un record du monde, il faut que les conditions soient quasiment parfaites. Il doit faire grand beau, il ne faut pas de vent et que la neige soit chaude. Ce sont toujours des neiges de fin de saison, ça se passe en mars ou avril. Très tôt le matin, c’est le moment où elle est en train de se transformer en soupe, qu’elle est en train de dégeler et donc c’est là qu’elle est la plus performante. Parce qu’en fait on glisse sur une fine pellicule d’eau. La neige doit être comme ça sinon elle ne sera pas assez rapide. Une neige fraîche qui vient de tomber ou une neige glacée, cause trop de frottements sur nos skis donc on n’est pas assez rapide.

Il faut que tous les paramètres soient là et que les skieurs soient à 100% ce jour-là pour aller chercher un record du monde. En 2017, je remporte la tentative de record du monde mais ce jour-là on a eu un souci de chrono. On n’a pas pu partir du sommet de la piste. Je fais 251km/h (4ème meilleur performeur de tous les temps) en partant 300 mètres en-dessous du sommet de la piste. Ça veut dire qu’à cet horaire-là, j’aurais dû faire presque 260 km/h depuis le sommet.

C’est pour ça qu’avec Simon Billy, vous avez déclaré viser le record du monde...

Complètement, là ça va vraiment se jouer entre trois coureurs, je pense : Simon Billy, Simone Origone (le grand frère d’Ivan, le recordman du monde) et moi-même. Ça fait six ans que je cherche ce record du monde. J’ai des changements de matériel qui arrivent la semaine avant le record du monde pour que personne ne puisse tout voir d’entrée. Ça va être un jeu de cache-cache jusqu’à cette semaine-là, où tout le monde va être à 200% et va vouloir battre le record.

Comment cela va-t-il s’organiser?

Il n’y aura qu’un seul jour pour aller chercher le record du monde mais on est bloqué deux semaines là-bas, à Vars en mars. Cette année, la chance qu’on a c’est qu’il a neigé très tôt sur les Alpes du Sud. Ils ont eu beaucoup de neige, la piste a été très préparée. Si le temps le permet, il y a de très grandes chances qu’on puisse aller chercher le record du monde. C’est en même temps que les Championnats du monde donc il y aura une cinquantaine de coureurs qualifiés.

Il y aura deux jours de course où on appréhende la piste et on apprend à la connaître en partant de son point central, du milieu de la piste, à 180km/h. 50 coureurs seront autorisés à aller jusqu’à 180km/h sur la piste, pendant deux jours. A partir de là, ils n’en garderont que 30. Ces 30 skieurs auront deux jours de plus pour aller jusqu’à 200km/h. Ils en garderont ensuite 20 pour aller jusqu’à 220km/h, pendant deux jours de plus. Pour la finale, ils devraient en garder soit dix, soit cinq. On n’a pas encore le quota exact. Seuls ces coureurs auront le droit de partir depuis le sommet de la piste pour réduire la piste parce que c’est bien trop dangereux et ce sera vraiment les meilleurs mondiaux.

Vous êtes papa: est-ce que la naissance de votre fils a changé quelque chose dans votre approche de la course ?

Oui et non. Certains qui ont des enfants disent qu’on pense aux enfants, qu’on a peur du risque, qu’on a tendance à se stresser, à se bloquer complétement. Personnellement, je pense que ça me libère un peu, ça me fait plus profiter de la chance que j’ai de pouvoir skier à ces vitesses-là, à ce niveau-là. J’ai tendance à dire qu’il est plus une force pour moi plutôt que quelque chose qui aurait pu me contraindre à arrêter ou me faire perdre mon niveau.

Quels sont vos objectifs cette saison?

Clairement aller chercher le record du monde et le titre de champion du monde, en mars.

Quelle relation avez-vous avec Simon Billy, sachant que vous êtes compatriotes et que vous faîtes partie des meilleurs mondiaux?

Simon, je le connais depuis qu’on est gamins. Nos pères aussi sont amis d’enfance. Le père de Simon était l’ouvreur pendant les Jeux Olympiques d’Albertville. C’est mon père qui l’avait mis en tant qu’entraîneur de l’équipe de France. On a grandi avec cette même passion. On se connaît par cœur donc c’est vraiment un ami proche.

Après c’est vrai que depuis quelques années, la compétition a fait qu’on a eu des périodes où c’était plus compliqué de faire la part des choses parce qu’on veut tous la même chose, on est concurrents directs. On est les têtes d’affiche et ça se joue à chaque fois entre nous donc c’est vrai qu’il y a eu une période où c’était assez dur de faire la part des choses.

Maintenant, on sait que quand on est sur la course, c’est chacun pour soi, chacun ses objectifs, sa performance. Hors course par contre, on oublie tout et on repart à zéro à chaque fois. C’est vrai que c’est quelque chose qui est assez chaud à gérer mais on a trouvé notre rythme comme ça. C’est génial parce qu’une fois que la course est terminée, on est content pour l’autre, qui aura réussi une performance. Sur le moment, c’est la guerre et c’est tout. Chacun essaye de garder ses secrets, de ne rien dévoiler jusqu’au dernier moment.

Quelle relation avez-vous avec votre frère, qui est également dans la discipline?

Jimmy tourne autour des 10-15 mondiaux. Il essaye de nous rattraper et de venir nous titiller sur les grosses courses. Lui m’a vu évoluer dans ce sport donc il a un peu bénéficié de la trace que j’avais faite. Il bénéficie de ce que je fais comme avancée, ce que je crée… En gros, tant qu’il n’est pas dans les trois meilleurs mondiaux, c’est plus facile pour moi parce que je lui fais bénéficier de tout pour lui permettre d’aller chercher des performances plus significatives.

Il a lourdement chuté le 28 janvier: il va mieux?

Oui, mais le problème, c’est qu’une chute, ce n’est jamais anodin. Il est brûlé de partout, brûlé au troisième degré. Il a bien chuté puisqu’on apprend à chuter. Donc il n’a pas d’os cassé. Mais c’est surtout dans le mental que ça va être très dur pour revenir. Il va falloir bosser énormément pour voir s’il est capable de revenir, d’oublier cette chute et de passer à autre chose dans les prochains jours parce que là il est complètement choqué de sa chute et on n’en sort pas indemne.

Y en a-t-il qui ont complètement arrêté le ski de vitesse après une chute ?

Il y en a énormément, encore maintenant. Sur cette coupe du monde, je sais qu’il y en a qui n’ont pas pris le départ. Il y a un néo-zélandais et un belge qui ont chuté l’année dernière. Ils sont revenus mais ils font un ou deux passages sur les qualifications, ils ont les performances pour se qualifier mais ils ne s’élancent pas en demi-finale ou en finale parce que la peur est trop présente et ils n’arrivent pas à la sortir de la tête. C’est quelque chose qui est tellement marquant et déchirant que c’est hyper dur de pouvoir repartir derrière.

"La chute de mon frère m’a complètement déboussolé"

Est-ce plus difficile pour vous de poursuivre la compétition après une chute de votre frère ou de rechausser les skis le lendemain d’une lourde chute?

Je dirais que j’avais mieux réussi – peut-être parce que j’étais plus jeune – à rechausser les skis le lendemain d’une lourde chute. Parce que t’es complètement déboussolé mais tu restes concentré dans ton truc et tu ne te rends même plus compte de la douleur et des blessures. J’étais reparti à 100% comme si de rien n’était. Le surlendemain par contre, j’étais cuit, je n’arrivais plus à m’asseoir. J’étais au fond du sceau.

D’ailleurs, c’est vrai que la chute de mon frère m’a complètement déboussolé. Je n’arrivais même plus à être concentré sur ma course. C’était hyper dur. C’est pour ça qu’on a passé toute la soirée avec ma préparatrice mentale à essayer de me remettre dans une routine positive pour me permettre de me vider la tête au maximum et repartir du mieux possible le lendemain. Pas à 100% par contre. On a travaillé en visualisation notamment pour essayer d’oublier les images.

Pouvez-vous évoquer un peu ce travail avec votre préparatrice mentale?

Je travaille avec elle depuis deux ans. Elle m’a fait énormément évoluer, puisqu’on a commencé à collaborer ensemble au moment où je revenais de blessure. Elle m’a fait gagner cinq ou six ans de préparation. Sans elle, je pense que je n’aurais pas retrouver aussi vite ce niveau-là et j’aurais peut-être arrêté depuis. C'est un travail qui se fait toutes les semaines, tous les mois. Le moindre petit doute, il faut le travailler tout de suite parce que sinon, ça prend une part trop importante et tu ne cours pas.

Par exemple, sur la Coupe du monde à Vars ce week-end, en demi-finale, il y a eu du vent, donc il y a eu des erreurs, des chutes, etc. En finale, il y a une dizaine de personnes qui n’ont pas pris le départ parce que la peur est devenue trop grande et ils étaient incapables de prendre le départ sans risque. Mon frère, qui court avec moi, était dans le Top 20 à peu près sur la demi-finale du samedi. Ensuite, il a chuté juste devant moi en finale. Sauf que pour se remettre de ça, ça ne se fait pas tout seul.

On a l’impression qu’il est difficile de bouleverser la hiérarchie lorsque la saison est lancée. A quoi est-ce dû?

Oui et non. Oui parce que toutes les recherches se font lors de l’intersaison donc on arrive théoriquement à 100% au début de la saison. Après, c’est faux aussi parce que cette année, on ne sera à 100% que pour le championnat du monde et le record du monde. Tout est gardé secret et la hiérarchie va être complètement bouleversée pour ce championnat du monde. Il est vrai que c’est tellement d’années de recherches, de petits détails à peaufiner que c’est très difficile d’arriver et de bouleverser la hiérarchie directement.

Combien de personnes vous entourent et vous aident à performer?

J’ai un staff proche réduit. J’ai un préparateur physique à l’année, une préparatrice mentale et sophrologue à l’année, un technicien qui s’occupe de tous mes skis et de la recherche sur le fart qu’on va mettre sous les skis. Ils me suivent sur les courses. Là, on vient de développer un nouveau casque. Trois personnes sont dessus: une qui fait de la réalisation 3D, une qui fait de l’impression 3D et une qui fait la réalisation finale du casque. Et il en est de même pour les ailerons et les bâtons. J’ai un sponsor qui m’aide pour créer les bâtons en fonction de ce que je leur demande. Au final, le staff est monstrueux. Pareil pour la création des skis. J’ai plusieurs skis en fonction de mes attentes et donc c’est assez difficile de déterminer un réel staff autour.

Est-ce similaire à ce qu’on peut voir en ski alpin ou en biathlon?

C’est complètement différent. Le matériel est "spécifique" à chaque skieur. C’est tellement secret pour aller chercher une performance, ça se fait sur plusieurs années, tu vis sur le long terme donc tu ne peux pas te permettre d’avoir le même staff qu’un concurrent direct. Chacun à son propre staff et en plus de ça, on a un entraîneur officiel de l’équipe de France pour avoir des petits détails, des petites choses à régler mais c’est un peu plus "insignifiant" sur la réelle performance.

Il semble que l’âge importe peu, on peut continuer de performer au niveau international jusqu’à 40, 45 ans: ce week-end que le doyen de la compétition avait 66 ans!

Le doyen de 66 ans, c’est un canadien qui n’a rien à voir avec la coupe du monde. Ce n’est pas quelqu’un qui peut prétendre à se retrouver dans les 30 meilleurs mondiaux. Ce sont des gens qui sont invités pour aller battre le record des plus de 60 ans. Je crois qu’il a fait quand même 180 km/h, à 66 ans donc c’est quand même costaud parce que les risques ne sont pas les mêmes sur une chute. Nous on est entraîné tous les jours pour faire ça. Lui c’est quelqu’un qui s’entraîne tous les jours une heure et demie en salle. Il a le physique d’un homme de 30 ans. Mais ce sont des risques qui sont beaucoup trop importants. Ces gens-là sont présents pour aller chercher un truc ponctuel, ils ne sont pas là à l’année pour performer.

A côté de ça, par contre, la performance met des années à se mettre en place parce qu’il y a beaucoup trop de recherches à faire. Niveau budget, c’est monstrueux, niveau temps, c’est monstrueux et tu ne peux pas arriver du jour au lendemain et appréhender une piste et des vitesses comme ça sans être marqué. C’est pour ça qu’avant 30 ans, tu ne peux pas réellement être performant et à 100%. C’est à partir de là que tu commences à exploiter ton plein potentiel. Mais le problème c’est que plus l’âge avance, plus ton cerveau va commencer à réfléchir, et plus la dimension mentale va prendre le dessus parce que tu vas avoir conscience du risque, peur de la chute et ça va être beaucoup plus de boulot pour essayer de te remettre dans le bain.

Y a-t-il un âge de bascule?

On peut performer plus longtemps mais à un moment donné, le mental va trop prendre le dessus et on va être obligé d’arrêter ; ou alors, c’est le physique aussi parce qu’arriver à garder un physique de 25 ans, quand t’as 40 ans, c’est des sacrifices toute l’année (en salle notamment), pour rester aussi performant voire plus performant et ne pas lâcher physiquement. A partir d’un certain âge, t’as plus envie de rester tranquille chez toi plutôt que de partir le matin sous n’importe quel temps, t’entraîner des heures et des heures pour une performance qui dure 30 secondes sur une année.

La discipline est peu exposée médiatiquement, elle n’est pas aux Jeux olympiques (seulement en démonstration en 1992): est-ce un regret de ne pas pouvoir participer aux JO, ni aux X Games?

Clairement parce que ça reste un rêve d’enfant de participer aux Jeux Olympiques. Après, ça ne devrait pas tarder à sortir mais il y a de très grandes chances pour qu’on soit sur les prochains Jeux, à Milan, en 2026.

Ce serait le grand retour aux Jeux Olympiques. C’est en très bonne voie. Ce n’est pas encore officiellement déterminé mais de sources proches des décideurs, ça devrait revenir. Ça reviendrait en tant que sport de démonstration et ce serait officiel pour les prochains Jeux, en 2030.

C’est quelque chose que vous visez, de rester au plus haut niveau pour ces deux prochaines échéances?

Complètement. Le problème c’est que tu ne sais pas ce qui peut se passer pendant trois ans, entre les blessures, le mental, les choses comme ça, c’est assez compliqué. Mais quand l’annonce sera officielle, je sais que je m’y consacrerai pleinement, à 2000%, pour réaliser ce rêve-là de participer aux Jeux Olympiques.

Il y a une piste en Italie qui permettrait d’accueillir l’épreuve?

Il y avait une piste à Cervinia, dans le Val d’Aoste, qui allait quasiment à 200 km/h mais il y a trop de modifications à faire. Ils auraient trouvé une piste qui est à Bormio. Donc ils ont une piste assez performante. Et il y aura peut-être une autre petite surprise mais je ne peux pas m’avancer là-dessus parce que ça reste beaucoup trop "secret" et on ne peut pas annoncer ça comme ça…

Quel est votre meilleur souvenir en lien avec le ski de vitesse?

Mon meilleur souvenir… C’est peut-être le fait d’avoir pu partager mon premier podium en senior, avec ma famille. Il y avait mon père qui était là, mon frère aussi qui n’était pas encore en senior. Je sortais de junior et forcément il y avait un temps d’adaptation. Entre junior et senior, ce n’est pas du tout le même matériel. Durant cette année de transition, je ne savais pas si j’allais arrêter ou pas, c’était beaucoup trop compliqué et je ne décollais pas d’un Top 30. Et du jour au lendemain j’ai performé, j’ai fait un podium aux championnats du monde. C’est le truc qui m’a le plus marqué, qui m’a ouvert les portes du haut niveau en ski de vitesse pour les prochaines années et qui m’a fait perdurer jusque-là.

Comment cela a-t-il changé du jour au lendemain?

Je pense que c’était dans la tête. Il y a le physique parce que quand tu sors de junior, il faut avoir le physique pour concurrencer les seniors. Mais j’étais bloqué sur tout et en me disant que c’était peut-être ma dernière année, qu’il fallait que je lâche tout pour voir ce que ça donne, je me suis libéré d’un coup. J’étais même surpris du résultat. Les résultats ont perduré derrière et je n’ai jamais lâché les meilleures places mondiales donc ça a vraiment été un déclic dans la tête qui m’a permis d’en être où je suis maintenant.

Votre pire souvenir en lien avec le ski de vitesse ?

Il n’y a pas vraiment de pire souvenir. Même les chutes. Sur le moment, t’es complètement déboussolé, tu ne t’en sors pas. Mais elles m’ont fait rebondir à chaque fois. Elles m’ont permis d’élever mon niveau, elles m’ont apporté du positif. Donc avec du recul, cette discipline ne m’a apporté que du bonheur et des bonnes choses.

Que peut-on vous souhaiter pour la suite?

Le record du monde c’est sûr et derrière de continuer à prendre du plaisir le plus longtemps possible.

On espère vous voir aux JO 2026 et 2030…

Complètement. Enfin 2030 c’est encore un peu plus loin mais 2026, quand l’annonce sera officielle, c’est certain.

Yannis Passerel