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"A part de l'argent, le résultat n'apporte rien": l'entraîneur de l'équipe de France de ski freestyle pas convaincu par la compétition organisée en Arabie saoudite

Jusqu’à jeudi se déroule une compétition de ski freestyle en Arabie saoudite. Au thermomètre, plus de 20 degrés, pas de femmes engagées, mais un voyage tous frais payés, et de gros prize money pour les athlètes… Autant dire que l'événement fait parler. Grégory Guenet, l’entraîneur de l’équipe de France, suit cette compétition depuis chez lui et se livre à RMC Sport.

Grégory, vous n’êtes pas parti en Arabie saoudite, vous êtes resté en France. Pour quelles raisons ?

Il y a deux raisons. La première c’est que c'est un événement privé, qui sort un peu du cadre traditionnel de notre sport, dans le sens où ce n'est pas une compétition "officielle". Je suis resté ici parce que j'ai des athlètes aussi qui sont en France dont je dois m'occuper. Et la deuxième, c'est que c'est un premier jet d'un événement qui va se poursuivre dans les années futures. Je n’ai pas envie de prendre du temps sur ce qu'on a à faire pour notre saison en cours pour aller là-bas alors que je ne sais pas exactement ce que ça va être.

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Quels sont les premiers retours de vos athlètes sur place ?

Ils n'ont pas vu grand-chose, encore. Là pour l'instant, ils m'ont juste dit qu'ils ont été bien accueillis. Ils ont volé hier, ils ont dormi un peu ce matin. Ils sont allés voir le site. Pour l'instant ils n'ont pas plus de choses à partager que ça.

Quand vous avez appris l'organisation de cette compétition en Arabie saoudite, vous vous êtes dit quoi ?

Personnellement, j'ai mes convictions. J'ai 50 ans. Je me fais mon propre avis sur tout ça. J'ai peut-être un peu plus de recul que mes athlètes. Forcément, je suis un peu perturbé, déjà par l'image que l'on a ici. On sait que ce n’est pas non plus le pays des droits de l'homme, qu'il y a des problèmes d'écologie. C'est compliqué, tout ça. Pas une priorité pour moi d'aller faire un truc là-bas. Si maintenant, ça comptait pour un circuit officiel et que les résultats de notre saison en dépendaient j'y serais allé parce que c'est mon métier. Comme je suis allé en Chine pour les JO. Je vais aussi aux États-Unis faire des compétitions et ils ne sont pas non plus irréprochables sur tout. Je ne peux pas penser à tout ça alors que j'ai des athlètes qui eux s'entraînent toute l'année, prennent en charge leur saison complètement. Eux, ils ont des objectifs sportifs et ils n'ont pas le choix que d'y aller, finalement.

Parce que le prize money est conséquent...

Les athlètes français partis là-bas, ce sont des jeunes que j'entraîne à l'année. Ce sont de bonnes personnes, des gars gentils, lucides avec la tête sur les épaules. Mais vu qu'ils prennent en charge l'intégralité de leur saison, pour aller faire des coupes du monde ils prennent en charge leur frais. Donc forcément quand on leur propose une compétition où tout est pris en charge et qu'en plus, si tout se passe bien et qu'ils font des résultats, ils vont revenir avec de l'argent... Forcément, ça peut changer la manière dont ils vont aborder la saison en cours ou les prochaines. Ils essayent de tout donner pour vivre leur rêve et atteindre leurs objectifs sportifs. Comme pour n'importe quel autre sport, l'aspect financier est non négligeable. Et encore plus pour nous. Le ski freestyle, les athlètes se prennent en charge entièrement. Quand il y a une opportunité de gagner des sous et beaucoup là-bas, ils ont envie de tenter le truc parce qu'encore une fois ça va leur permettre de faire des résultats, de s'entraîner plus, d'aller aux JO...

Est-ce qu'aller là-bas a été un sujet de discussion avec vos athlètes ?

Oui, bien sûr. Il s'est dit tout ça. Que pour eux c'est difficile de refuser une telle opportunité. Mais qu'ils savent très bien que ce n'est pas idéal de partir là-bas. Mais ce n’est pas juste d'aller chercher des sous comme un footballeur. Là ce n’est pas la même chose, ce sont des gamins qui s'entraînent, pour qui ça coûte cher. S'ils arrivent à avoir un peu de sous pour les aider dans leur parcours sportif et leur rêve sportif, on ne peut pas leur en vouloir. Ils sentaient qu'il y avait un côté pas bien d'aller là-bas mais en même temps je comprends...

Dans le ski, on parle de plus en plus de l'écologie, est-ce que là on se dit que c'est aberrant ? Faut-il s'inquiéter ?

Nous, dans le ski freestyle on fait déjà des coupes du monde en ville sur des échafaudages, depuis bientôt 10 ans. On est déjà concerné un peu par tout ça. On sait à peu près ce que c'est. Là c'est poussé à l'extrême, parce que j'imagine que là-bas il n'y a jamais eu un grain de neige qui est tombé. Certes c'est stupide. On touche un truc stupide. Mais en me mettant à la place des athlètes que j'entraîne qui rêvent des JO, quand on voit les moyens qu'ils se donnent, ils n’ont rien pour le faire donc s'ils peuvent trouver un peu d'aides, je les comprends et je pense que si j'avais eu 20 ans, dans leur situation j'aurais fait la même chose.

Dans cette compétition, les femmes n'ont pas été invitées....

J'entraîne aussi les garçons que les filles, je suis concerné. J'ai eu les deux sons de cloche. On en a parlé. C'est aussi un aspect dérangeant de cet événement. En plus de l'écologie et de tout ça. Ça arrange encore moins les choses. Mais je sais que les filles que j'entraîne n'y seraient pas allées.

Elles vous l'ont dit ?

Non mais je sais qu'elles sont sensibles à tout ça. Je suis quasi sûr qu'elles n'y auraient pas mis un pied.

Est-ce qu'il y a quand même un objectif de résultat sur cette compétition ? 

Oui mais encore une fois vu que ce n'est pas une compétition officielle, le résultat, à part de l'argent, n'apporte rien. Ce n’est pas comme si ce résultat-là allait servir à une éventuelle sélection pour une coupe du monde ou les JO. Là c'est vraiment un moyen pour eux de continuer à s'inscrire sur des coupes du monde, à pratiquer leur sport, s'entraîner beaucoup pour pouvoir avancer.

Propos recueillis par Léna Marjak