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Coline Mattel, le poids du saut

Coline Mattel

Coline Mattel - Icon Sport

DANS L’ASSIETTE DES ATHLETES (4\/5). Toute la semaine, RMC Sport vous propose une série sur les habitudes alimentaires des sportifs de haut niveau et la recherche permanente du kilo en moins ou en plus. Ce jeudi, place au saut à skis, discipline où le poids joue un rôle essentiel dans la performance. Seule médaillée olympique de l’histoire de son sport en France, et aujourd’hui retraitée des sautoirs, Coline Mattel nous livre un passionnant et poignant témoignage sur les difficultés psychologiques de la bataille contre la balance menée durant sa carrière.

Pour la revoir à l’œuvre, il faudra se tourner vers les planches. Etudiante en deuxième année de théâtre au cours Florent à Paris, Coline Mattel vit une nouvelle vie "formidable" qui doit la mener sur scène. Loin des tremplins d’où la jeune femme s’envolait il y a quelques années. Coline Mattel a pris sa retraite du sport de haut niveau à vingt-deux ans seulement, fin mars 2018, "sans regret ni remord" comme l’indiquait alors son communiqué. Son palmarès était bien garni, une médaille mondiale en 2011, une médaille olympique en 2014, du bronze à chaque fois pour deux premières dans l’histoire du saut à skis français, sans oublier deux victoires en Coupe du monde, mais la championne du monde juniors 2011 n’a pas quitté les sautoirs pour cause de trop-plein de couronnes. Derrière son choix, il y avait la "rigueur extrême" d’un sport où l’implication doit être totale. Et un peu la course aux kilos, aussi. "Ça fait partie de ce qui a motivé ma décision, confie-t-elle à RMC Sport. C’était le point principal auquel était liée ma progression." 

Barbecues sans saucisses ni bière

Dans le saut à skis, la légende (confirmée par des études) veut qu’un kilo en plus sur la balance coûte jusqu’à trois mètres à l’arrivée. Alors il faut faire des efforts, encore, toujours. Plus que d’autres. "Il faut être léger donc tout le travail physique est axé de manière à ce qu’on soit le plus explosif possible mais sans prendre trop de masse musculaire, explique l’ancienne sauteuse française. La charge d’entraînement technique n’est pas très conséquente non plus car on ne peut pas sauter tous les jours, on a besoin de repos et d’assimiler ce qu’on a fait. Avec ça, on élimine beaucoup moins par notre charge d’entraînement que le commun des athlètes. Le travail de l’alimentation est donc en plus, quotidien. On doit tout le temps penser à l’hygiène de vie. C’est beaucoup de travail mental, un côté ascète de rigueur constante malgré un cadre assez libre. On passe beaucoup de temps à s’ennuyer quand on est sauteur à skis parce qu’on a beaucoup de temps libre et qu’on ne peut pas l’occuper comme les autres le feraient avec des barbecues ou des choses comme ça. Enfin si, on peut, mais on ne mange pas de saucisses et on ne boit pas de bière. (Rire.)"

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Coline Mattel sur un sautoir en décembre 2017, quelques mois avant sa retraite
Coline Mattel sur un sautoir en décembre 2017, quelques mois avant sa retraite © Icon Sport

Quand on cherche à lire sur le sujet saut à skis et alimentation, un mot revient souvent: anorexie. On dit que beaucoup de sauteurs et sauteuses flirteraient avec. On raconte surtout l’histoire de Sven Hannawald. Premier auteur du Grand Chelem dans la Tournée des Quatre Tremplins en 2002, le champion allemand avait choqué son pays en 1999 avec une photo de lui à la plage où on pouvait voir son corps décharné de 1,84 mètre pour 60 kilos. Il avouera plus tard une "anorexie volontaire" dans la recherche de la performance et finira sa carrière en burnout et dépression. 

"On essaie de jouer avec la limite"

Cas à part? "Hannawald en était un vrai mais il n’y en a pas eu une multitude non plus, nuance Emmanuel Chedal, l’ancien sauteur tricolore monté sur un podium de Coupe du monde en décembre 2009 et aujourd’hui entraîneur-adjoint de l’équipe de France femmes. Comme dans tout sport de compétition, on essaie de jouer avec la limite pour être au max de la performance. Une telle exigence face au poids est souvent liée à d’autres facteurs, qui peuvent être mentaux, familiaux, etc. Ce sont souvent des athlètes qui avaient du mal à faire un travail continu sur l’alimentation et à garder un poids constant et qui se disaient qu'ils devaient perdre du poids quand ils arrivaient sur les grandes échéances. Vu l’évolution du sport, ça arrive de moins en moins. Pour être performant, il faut pouvoir s’entraîner à son poids de forme toute l’année donc il y a moins d’effet yo-yo. Et de plus en plus d’athlètes travaillent avec des nutritionnistes sur un programme pointu pour optimiser l’apport énergétique et le poids. Après, il y a certaines personnes pour qui ça peut demander plus d’efforts."

"J’étais arrivé au point où je ne ressentais carrément plus la faim"

"Hannawald a fait un blocage sur la nourriture mais c’est l’un des rares du circuit. Dans les faits, il n’y a eu qu’un ou deux cas isolés", expliquait Nicolas Dessum, premier vainqueur français en Coupe du monde en 1995, dans les colonnes de L’Humanité en février 2002. L’Allemand n’a pourtant pas été le seul à témoigner. Son compatriote Martin Schmitt, deux fois fois vainqueur de la Coupe du monde (1999 et 2000), quadruple champion du monde et champion olympique par équipes, avait avoué au quotidien Bild en 2010 se cantonner "à un poids extrêmement limite depuis des années" (il était alors à 1,82 mètre pour 63 kilos): "Pour me sentir bien et m’entraîner sans me sentir vanné, je devrais peser quatre kilos de plus. Mais pour faire partie de l’élite mondiale, il faut être compétitif sur son poids." Le Finlandais Janne Ahonen, lui aussi double vainqueur de la Coupe du monde (2004 et 2005) et quintuple champion du monde, avait fait un break pendant un an et demi entre 2008 et 2009 et se réjouissait alors "de ne plus avoir à contrôler sans cesse" ce qu’il mangeait: "Quand j’étais en compétition, matin et soir, je prenais du muesli, un yaourt maigre, beaucoup de café et rien d’autre".

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L'Allemand Sven Hannawald en 2003
L'Allemand Sven Hannawald en 2003 © Icon Sport

Son compatriote et grand copain Ville Kante, deux fois vainqueur en Coupe du monde, avait pour sa part raccroché les skis en 2004, à vingt-six ans, lassé des privations et régimes draconiens alors qu’il était descendu à 51 kilos pour 1,74 mètre: "Je me suis détruit moi-même, ainsi que ma carrière. J’étais arrivé au point où je ne ressentais carrément plus la faim. Je ne dormais plus car mon corps ne fonctionnait plus correctement." Interrogé par L’Huma en 2002, le Français Rémy Santiago admettait lui aussi avoir été "un cas limite par rapport à l’anorexie". Sans oublier le destin tragique de Régis Bajard, talentueux sauteur tricolore qui a mis fin à ses jours au début des années 2000 après avoir été hospitalisé à plusieurs reprises pour anorexie sévère (une compétition d'été a pris son nom chez lui, à Courchevel).

IMC et pénalité

Il n’y avait pas que Sven Hannawald, donc, et la Fédération internationale (FIS) a fini par agir en 2004 en fixant un seul d’indice de masse corporelle (IMC) sous lequel les sauteurs étaient pénalisés avec des skis plus courts que la longueur maximale autorisée qui diminuaient leur portance sur l’air. "Il y avait le désir d’encadrer ça pour qu’il n’y ait pas de dérives", confirme Emmanuel Chedal. Une règle toujours en place même si elle a été amendée il y a quelques années avec une taille calculée jambes écartées pour une question de contrôle des combinaisons, ce qui rapetisse les athlètes et leur permet de perdre quelques kilos en plus pour le même IMC (la rumeur veut que les grandes nations de la discipline aient joué de leur influence pour ce changement). Au micro de la RTS en 2017, le médecin de l’équipe de France, Arthur Brulé, s’inquiétait ainsi d’un retour "vers une quête de la maigreur".

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Coline Mattel lors des Jeux d'hiver de Sotchi en 2014
Coline Mattel lors des Jeux d'hiver de Sotchi en 2014 © AFP

Mais avant cela, pour Emmanuel Chedal, le problème a été... inverse, provoquant en partie la fin de sa carrière en décembre 2012: "L’arrivée de l’IMC a été problématique pour moi car j’avais du mal à prendre du poids ou de la masse, et du coup je me retrouvais avec des skis plus courts. Ça me changeait beaucoup techniquement et j’ai eu du mal à m’adapter." Le Suisse Simon Amman, quadruple champion olympique et vainqueur de la Coupe du monde en 2010, avait lui aussi dû se remplumer de six kilos pour être dans les clous. L’équation est donc bien plus complexe qu’un simpliste "les sauteurs jouent avec l’anorexie". Et Coline Mattel en est la preuve. 

"J'ai commencé à en faire une obsession"

Quand on discute avec la future actrice du combat contre la balance, c’est la psychologie qui revient en boucle. Phénomène de précocité sportive, celle qui a débuté son sport à sept ans, disputé ses premières épreuves de Coupe continentale à onze et remporté sa première médaille mondiale juniors à treize (celle chez les "grandes" arrivera à quinze) n’avait pas tout de suite compris la bataille psychologique qu’elle allait devoir mener contre la balance. "J’ai commencé très jeune, encore avec un corps d’enfant et sans ces préoccupations, se souvient-elle. Tout marchait et je n’avais pas besoin de faire d’énormes efforts. C’est un peu ce qui m’a piégé, entre guillemets, car au bout de quelques années est arrivée la puberté. Vers quatorze-quinze ans, le corps change. Mon entraîneur a commencé à m’en parler de manière de plus en plus insistante. Il me disait: 'Il va falloir faire attention, tu ne peux plus faire comme avant'. Ce n’était pas un problème au départ mais ça l’est devenu car j’ai commencé à en faire une obsession."

"Un cercle vicieux, entre l’anorexie et la boulimie"

Elle explique que c’était "autre chose" que de l’anorexie et parle de "refus dans la tête". "Les entraîneurs, le monde du sport et moi-même, on m’a fixé un cadre qui est devenu une frustration. J’ai fait des aller-retours constants entre ‘Oh la la, c’est tellement dur ce qu’on me demande, je ne le fais pas’ et des moments où je réalisais qu’il fallait du coup que je travaille encore plus. C’est là que ça rentre un peu dans un cercle vicieux, entre l’anorexie et la boulimie." Coline Mattel n’était pas seule pour faire face. Mais "peut-être mal aiguillée" comme elle le raconte. Et son sexe n’aidait pas. "Mon coach, et je ne le blâme pas, n’avait entraîné avant nous que des hommes et de jeunes adultes. Là, il se retrouvait avec des femmes en pleine adolescence. Peut-être qu’il y a un discours à travailler au niveau des encadrements parce qu’on ne s’adresse pas de la même manière, surtout dans la société actuelle, à des jeunes filles qu’à des hommes qui ont la vingtaine. Le discours un peu moralisateur, un peu culpabilisant, m’a peut-être fait rentrer dans ce truc où j’en ai fait une obsession, et c’est devenu mon principal frein et en même temps la clé de la réussite car je savais que si je perdais deux kilos, non seulement je volerais mieux mais je serais beaucoup plus performante mentalement car j’aurais plus confiance en moi."

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Coline Mattel (à droite) sur le podium des JO de Sotchi en 2014
Coline Mattel (à droite) sur le podium des JO de Sotchi en 2014 © Icon Sport

La bataille était personnelle. Mais le regard sur les autres se révèle parfois pesant. "Il y avait une de mes coéquipières en équipe de France, que je ne blâme pas non plus, pour qui c’était assez facile d’avoir cette rigueur alimentaire car elle n’en avait pas fait un drame, c’était instinctif pour elle, plus une corvée. C’était compliqué pour moi de la voir évoluer car j’avais l’impression de me frustrer constamment. Une autre fille de l’équipe pouvait manger trois paquets de gâteaux et perdre 500 grammes. Il y avait donc cette comparaison constante. Il y a une espèce de compétition malsaine qui peut s’instaurer, des trucs du genre: 'Ah oui, tu n’as pas pris de dessert? Eh bien moi demain je ne prendrai pas de purée avec mes légumes'. C’est extrêmement compliqué de parler du poids à des athlètes, et encore plus à des jeunes qui sont encore en train de décider s’ils sont capables de faire tout ce que demande la vie d’un athlète de haut niveau." 

Pas de produits laitiers... ou de tomates

La règle de l’IMC existe aussi pour les femmes, mais "avec un pourcentage différent car un homme peut être à 5% de masse grasse alors qu’une femme ne peut théoriquement pas descendre en-dessous de 10 ou 12% sans être en danger de mort" explique la médaillée olympique. "Je n’ai pas eu le problème de m’inquiéter d’être trop légère et pénalisée, à part quand j’étais toute jeune, constate-t-elle. Dès quatorze-quinze ans, le but du jeu était plutôt de se rapprocher au maximum de la limite du bas." Surtout avant l’échéance de sa vie, les JO, qui accueillaient le saut à skis féminin pour la première fois en 2014. A Sotchi, une des rivales de la sauteuse des Contamines-Montjoie, la Japonaise Sara Takanashi, pesait par exemple 40 kilos pour à peine 1,50 mètre. De quoi motiver à lancer une mission régime. "Elle s’est beaucoup privée de desserts", s’en amusait sa mère dans 20 Minutes après sa médaille. Pas seulement. "J’avais été assez assidue pendant tout l’été et la préparation de l’automne, je mangeais moins et je faisais beaucoup d’aérobie pour perdre du poids, se souvient l’intéressée. Mais à la première Coupe du monde de l’hiver, j’étais encore au-dessus et avec mes entraîneurs on a consulté une diététicienne qui m’a fait un programme."

Colie Mattel à l'entraînement lors des Jeux d'hiver de Sotchi en 2014
Colie Mattel à l'entraînement lors des Jeux d'hiver de Sotchi en 2014 © Icon Sport

Avec quelques particularités. "On avait fait des tests et il y avait certains aliments que mon corps assimilait mal et qui étaient tout de suite stockés. Par exemple, j’ai complètement arrêté de manger des produits laitiers ou des tomates. J’allais aussi faire trente à quarante-cinq minutes de footing à jeun tous les deux jours, le matin en me levant, et je ne mangeais que de très petites quantités. J’avais fait un régime qu’on appelle dissocié, c’est-à-dire féculents le matin, des céréales, du pain avec de la farine non raffinée ou du muesli, tout en farine complète, des légumes cuits à la vapeur le midi et de la viande blanche le soir." Elle "n’a pas pesé (s)es aliments" mais n’en était "pas loin". A l’hôtel, elle ramenait ses petits déjeuners, "des Cracottes au sarrasin et du lait d’avoine" agrémentés "de thé mais pas de café". 

Le vertige en se levant? "Ah super!"

"Le jus d’orange, ça dégage car souvent ce ne sont pas des oranges pressées, poursuit-elle. Il y avait aussi une réflexion sur les associations des aliments: est-ce que je peux manger ceci avec cela? Comment ce sera assimilé? C’était extrêmement précis. Ce qui est terrible là-dedans, c’est que je me sentais incroyablement bien. Quand je me levais pour aller faire mon footing, j’étais tellement fière de moi et de cet effort que j’arrivais à m’astreindre à faire que j’étais une pile électrique. Aux JO, je n’ai pas mangé grand-chose pendant la semaine de la compétition mais tous les matins je faisais mes footings à jeun et ça me donnait une énergie incroyable. Je ne pense pas être le genre de personne qui pourrait aller jusqu'à tomber vraiment dans l’anorexie mais je me rappelle avoir été galvanisée par cet état. Par exemple, je m’étais levée trop vite de ma chaise après avoir fait une journée d’entraînement intense et ne pas avoir mangé grand-chose, j’avais eu le petit vertige habituel dans ce cas-là et je m’étais dit: 'Ah super, je vais dans le bon sens'. Je ne me suis jamais inquiétée de me dire que ça allait trop loin mais avec le recul, je me rends compte que ce n’était quand même pas très sain. Je me suis jamais mise en danger, c’était assez extrême pour les JO mais j’avais encore de la marge, mais ce que ça raconte sur l’état psychologique des athlètes à ce moment-là, ça peut être inquiétant."

"Tous les efforts que j’avais faits pour Sotchi m’ont terrifiée"

La médaille de bronze olympique était au bout des sacrifices. Mais c’était aussi le début de la fin. "Après les Jeux, physiologiquement, elle a eu du mal à tenir son niveau de poids, expliquait Thierry Revillod, son ancien entraîneur, en février 2018 pour 20 Minutes. A la longue, ce n’est pas soutenable." Après tant d’efforts, maintenir la jauge se conjuguait à l’impossible. Le craquage post-JO est logique, humain. La suite aussi, finalement. "Ce n’est pas glorieux mais au lendemain des Jeux, au petit déjeuner, où il y avait un buffet assez fou au village olympique, on s’est fait péter le bide avec de la pizza ou des bonnes choses grasses comme ça. En soi, ce n’est pas très grave. Mais si ça persiste, ça devient chiant. C’est ça que je n’ai pas réussi à gérer. J’ai toujours été frustrée par la privation donc après les JO, et alors que la saison n’était pas terminée et que j’aurais encore pu faire des podiums en Coupe du monde ou gagner des épreuves, sans dire que j’ai pété les plombs complet, car je n’ai pas non plus enchaîné trois fondues et six cassoulets, j’ai eu du mal... Tous les efforts que j’avais faits pour Sotchi m’ont terrifiée car je savais que pour continuer à être performante, il fallait que ce soit quotidien. Du coup, au lieu de faire un juste milieu, je suis repartie dans l’excès."

Coline Mattel lors d'une épreuve de Coupe du monde en février 2016
Coline Mattel lors d'une épreuve de Coupe du monde en février 2016 © Icon Sport

Même les bons conseils ne changeront rien. "Mon coach, Jacques Gaillard, m’avait prévenu. Quand il a arrêté sa carrière après Sotchi, il m’avait dit plusieurs fois: 'Si jamais tu ne continues pas ce qu’on a commencé pour Sotchi, ta carrière est finie'. Je me suis voilée la face en me disant: 'Mais non, ça va passer...'. Résultat, il avait raison." Les mauvais hivers s’enchaînent, 22e de la Coupe du monde en 2015, 33e en 2016, 32e en 2017. "J’ai fait trois années catastrophiques, où le yo-yo allait trop dans un sens. Je faisais trop d’excès donc je me privais de manière extrêmement drastique, ça durait deux jours puis ça revenait. J’ai vraiment fait une sorte d’aller-retour qui m’a emmené de plus en plus loin de la performance." Mais Pyeongchang et les Jeux d’hiver 2018 se rapprochent. Alors Coline tente un dernier "all-in". 

Que des légumes cuits à la vapeur

"J’ai eu une grosse remise en question à la fin de l’hiver 2017, où j’ai changé plein de choses, notamment mon équipe. Je me suis demandé si je voulais vraiment faire ça et comme j'ai répondu oui, je me suis dit que j'allais tout mettre en place pour ce qui pouvait être ma dernière saison. Et c’est la première fois où j’ai été aussi assidue et investie sur une aussi longue période. J’ai fait quelque chose de drastique à l’été-automne: je ne me suis nourrie pendant très longtemps que de légumes cuits à la vapeur, sans sel et sans huile. Ce n’était pas dingue. (Rire.) On redécouvre bien la saveur des aliments mais c’est vite lassant. Théoriquement, il faudrait que ça dure quatre ans entre deux JO, mais je ne pense pas que j’avais cette force mentale-là. En tout cas, sur quasi une année, j’ai été hyper impliquée et j’ai perdu beaucoup de poids car je ne voulais pas retourner aux Jeux pour faire de la merde. Le plan a très bien fonctionné et j’étais très en forme mais on ne reconstruit pas un mental en un an. Quand la première étape de Coupe du monde est arrivée et que j’ai pris trois raclées consécutives, ça m’a mis un gros coup au moral et je me suis dit: 'Tout ça pour ça?'. Mais en même temps, je me suis aussi dit: 'J’ai tout mis en place sur cette année et ça ne fonctionne plus, c’est le moment de partir'."

Coline Mattel lors des JO de Sotchi en 2014
Coline Mattel lors des JO de Sotchi en 2014 © Icon Sport

Elle ne verra pas Pyeongchang, non qualifiée, et n'ira pas plus loin. "Sans regrets", comme elle dit. Dans la tête comme pour le corps. "Maintenant que j’ai arrêté et que je n’ai plus cette préoccupation, non seulement je n’ai plus des envies de boulimie comme à l’époque mais en plus, je perds du poids. Je fais beaucoup moins de sport donc je perds aussi de la masse musculaire, mais là je suis arrivée à un poids stabilisé que je ne surveille pas et qui me montre que je suis en bonne santé. A partir du moment où ce n’est plus un problème, on arrête d’y penser. C’est ce que je n’ai pas réussi à faire pendant ma carrière, me dire: 'C’est la clé de la réussite mais il faut arrêter d’en faire une obsession car c’est ce qui va me perdre'. J’aurais aimé en avoir conscience. Les choses auraient peut-être été différentes."

"On ne nous a jamais encouragés à arrêter de nous alimenter complètement"

Les mots sont forts et sans filtre, à l’image de la carrière de celle qui s’est beaucoup impliquée dans l’intégration du saut à skis féminin au programme olympique et qui aimerait voir disparaître "une forme de discrimination et de sexisme encore palpable" dans son sport, "par exemple quand on interdit aux femmes de sauter sur les tremplins de vol à skis ou que les primes sont différentes, ou quand ils ont établi des normes au niveau des combinaisons pour sauter et qu’ils ont changé la coupe pour les femmes, avec une couture qui dessinait la hanche dans l’idée de promouvoir le saut à skis féminin en montrant qu’on n’avait pas les mêmes corps alors que c’était inutile".

Effet yo-yo

A moindre niveau, la course aux kilos fait partie de tout ça. Mais c’est avant tout un combat contre soi-même. Seule face à l’assiette. "Je me suis beaucoup plus blâmée qu’inquiétée pour ma santé, dans le sens de ne pas réussir à faire les efforts car j’étais plus souvent dans l’excès vers le haut que vers le bas, conclut Coline Mattel. Comme j’avais envie d’être performante et que je savais que j’avais toutes les clés pour le faire, j’étais frustrée car je me disais que ce n’était pas si compliqué. Avant de m’affamer, certaines fois, ça passait juste par revenir à quelque chose de plus sain, certes dans la privation mais pas la plus extrême. On ne nous a jamais encouragés à arrêter de nous alimenter complètement. Au contraire, les entraîneurs étaient bons pour ça. C’est moi, dans ma méthodologie, qui ai mal commencé et alterné entre des énormes excès et des grosses périodes de privation. C’était vraiment un yo-yo et j’ai mal géré." Pour aller chercher sa médaille olympique, Coline Mattel n’avait pas seulement battu des adversaires. Elle avait réussi à vaincre le poids du saut. 

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Alexandre HERBINET (@LexaB)