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Boxe: Comment Ryan Garcia est passé de "golden boy" à fou furieux

Star des réseaux sociaux, Ryan Garcia fait face à un gros défi ce samedi au Barclays Center de Brooklyn en défiant le champion WBC des super-légers (et ancien champion incontesté des légers) Devin Haney. Un choc brouillé par le comportement erratique, pour ne pas dire plus, du boxeur californien qui a multiplié les dingueries ces dernières semaines et semble afficher un état mental peu rassurant.

"Quelque chose ne va pas avec cet enfoiré! Toute cette merde n’est pas normale…" En quelques mots, lancés cette semaine en conférence de presse, Devin Haney (25 ans; 31-0, 15 KO) a résumé l’état d’esprit des fans de boxe avant la défense de son titre WBC des super-légers contre Ryan Garcia (25 ans; 24-1, 20 KO) ce samedi au Barclays Center de Brooklyn. Contre l'avis de son père présent à ses côtés, Garcia venait de parier 500.000 dollars par pound supplémentaire au-delà de la limite en cas de pesée ratée (de grosses rumeurs tournent sur son incapacité à faire le poids en raison d’une consommation excessive d’alcool) puis de démarrer une guerre verbale avec une personne présente dans le public en insultant sa mère avant de lui dire qu’il allait "mettre (s)a b*** dans (s)a bouche".

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La suite d’une semaine qui ressemble bien au "King Ry" des derniers mois. Lundi soir, à cinq jours du combat, on a pu le voir torse nu au micro avec un DJ dans un club new-yorkais. Sur la plateforme X, il a cité Jon Jones, le champion des lourds de l’UFC et légende du MMA, en se demandant ce qui se passerait s’ils s’affrontaient "en prenant de la coke tous les deux". Il y a aussi eu sa réaction lunaire, pour rester gentil, après avoir été poussé par Haney (dont il insultait la mère) lors d’un face-à-face au sommet de l’Empire State Building: "Devin m'a touché sans mon consentement, je le poursuis pour avoir posé ses mains sur moi. Je m’identifie en tant que femme. Il m'a touché en tant que femme adulte. De plus, je fais partie de la communauté LGBTQ+. Donc il s'agit d'un crime haineux."

De mémoire de suiveur du noble art, difficile de se souvenir d’une approche de gros combat plus bizarre. Ryan Garcia est-il devenu fou? Son état mental est-il compatible avec un gros combat face à l’ancien champion incontesté (toutes les ceintures) des légers monté conquérir une nouvelle catégorie en fin d'année dernière? Des questions plus que légitimes pour ceux qui ont suivi son actualité ces dernières semaines. Un enchaînement de dingueries. Il y a eu ces messages où il prétend qu’on l’a attaché pour l’obliger à regarder des scènes d’attouchements (et plus) sur des enfants et qu’il en a lui-même été victime dans le passé. Il y a eu l'annonce de... sa mort, gorge tranchée, sur les réseaux sociaux avant une vidéo censée rassurer mais qui produira tout le contraire.

"Je ne suis pas en possession de mon téléphone, je ne peux pas accéder à mon Instagram, lançait-il à la caméra. Mes cartes sont verrouillées. (…) Je voudrais simplement envoyer une vidéo aux gens qui m'aiment et à mes fans, à ma famille qui s'inquiète du fait que je vais bien. Je ne suis pas mort, je crois en Jésus, toutes ces rumeurs sont des mensonges. (…) Ils essaient de me mettre en prison, ils ont bloqué mes cartes, je n'ai pas accès à mon argent, personne ne me répond. Je ne sais pas ce qui se passe, mais sachez simplement que je vais bien."

Pour éviter un roman, on arrêtera là cette liste tout sauf exhaustive de déclarations plus folles (voire carrément complotistes) les unes que les autres. Son ex-femme Andrea Celina, dont il est divorcé depuis janvier, résumera la situation façon sonnette d'alarme: "Il peut sembler bien mais ce n'est pas le cas". Boxeur très doué et symbole de la nouvelle génération avec une popularité XXL cultivée à coups de vidéos virales sur les réseaux sociaux, où il compte notamment 11 millions d’abonnés sur Instagram et 7 millions sur TikTok, le beau gosse californien connu pour sa vitesse de frappe et son crochet du gauche dévastateur est passé aux yeux de beaucoup du statut de "golden boy" des rings à celui de fou furieux instable. Inquiétant quand on sait que le garçon avait fait un break des rings de quinze mois pour soigner sa santé mentale entre 2021 et 2022. Mais est-il vraiment sérieux?

L’intéressé, qui a rassuré les médias en précisant qu’il avait passé (et réussi) un test mental pré-combat devant la New York State Athletic Commission qui supervise ce choc, a répondu cette semaine lors de son entraînement public au Gleason’s Gym de Brooklyn (où il est encore arrivé torse nu malgré le froid) en évoquant une "performance artistique". "Je trolle tout le monde. C’est une grande blague pour moi. C’est du divertissement. Je fais des choses stupides et les gens disent:'Oh mon Dieu, il est fou!' Jim Carrey fait des trucs comme ça tout le temps et vous ne dites rien. Vous ne connaissez rien au jeu d’acteur." Le tout avant de reproduire une scène de Scarface – film où le "héros" termine seul et ravagé psychologiquement, pour rappel – et de conclure: "Tout va bien, tout est normal".

"Il est concentré et sérieux à 1000%, ajoute son promoteur Oscar De La Hoya. Ce qu’il fait sur les réseaux sociaux ne lui prend que quelques secondes. Il a travaillé très dur ces deux derniers mois." Si Garcia dit vrai, ce dont on peut clairement douter, une autre question tombe. Pourquoi ce comportement? La première hypothèse est commerciale. Provoquer des clics. Vendre des tickets. Faire monter la hype pour qu’elle rapporte, quoi. De La Hoya affirme que la salle sera pleine et promet "un des dix plus gros pay-per-views de l’histoire" sur le plan des achats. Difficile à croire quand on a vu passer les faibles taux de remplissage du Barclays Center à moins de deux semaines de l’événement. Ce côté fou a même pu freiner certains fans, pas certains que Garcia – qui voulait placer le combat de Brooklyn à Las Vegas – serait bien présent dans le ring vu son comportement. "Tu n’as pas construit une animosité pour vendre le combat, constate l’Américain Paulie Malignaggi, ancien champion du monde dans deux catégories, dans l’émission Deep Waters. Tu fais juste des tas de trucs bizarres."

L’autre hypothèse est celle d’un "King Ry" qui tente de déstabiliser "The Dream". Après la tension sur l’Empire State Building, De La Hoya voit même la chose comme une mission accomplie: "Ça me donne confiance sur le fait qu’il ait réussi. Je n’avais jamais vu Devin comme ça. Il était secoué. Ryan me rappelle la façon dont Floyd Mayweather rentrait dans votre tête pour vous sortir de votre plan." L’ancienne star des rings pense que Haney sera trop agressif pour cette raison et que Garcia lui fera payer. "Je suis un peu fou mais je suis prêt à détruire cet enfoiré", sourit ce dernier. Mais le clan du champion paraît serein. "Toutes les bouffonneries de Ryan me passent au-dessus, annonce Haney. Je suis un vrai professionnel. Je vais faire mon job. Peu importe ce que je ressens ou ce qu’il dit. Il peut dire ce qu’il veut. Je vais faire parler mes mains dans le ring."

Bill Haney, son père, coach et promoteur, appuie l’analyse et promet de lui faire payer son attitude: "Tous ces jeux n’ont pas marché avec Devin et moi. On reste concentré. Aucune excuse. Ce samedi soir, mettez vos enfants au lit. C’est interdit aux moins de 18 ans. Car ce que j’envoie Devin lui faire ne devrait pas être diffusé à la télé. Ryan a manqué de respect à la boxe, à la religion. A cause de tout ça, il n’y a pas de limite. (…) Son comportement a changé le plan, bien sûr. Au départ, je voulais juste que Devin le batte. Désormais, je veux qu’il le tue." Cette approche de combat si erratique a surtout une conséquence néfaste: faire oublier la qualité du choc proposé entre deux des plus grands noms de la nouvelle génération de la boxe américaine.

Alors que les deux hommes ont partagé six fois le ring chez les amateurs, pour trois victoires chacun, leurs retrouvailles chez les pros donnaient très envie. Favori des bookmakers, plus habitué à des adversaires d’élite, Haney propose une boxe solide, sérieuse et efficace, ancrée sur un jab de qualité, qui lui permet d’engranger les rounds pour construire ses victoires. Garcia, qui connaît bien la lumière médiatique, est lui aussi un excellent combattant malgré des défauts dans sa boxe notamment mis en lumière lors de sa première défaite chez les pros il y a tout juste un an face à Gervonta Davis (KO au septième round) dans un combat qui avait entraîné 1,2 million de ventes en pay-per-view. Et si le Garcia version avril 2024 reste aussi bon boxeur qu’il prétend être bon acteur, son rival pourrait être surpris.

"Vous ne pouvez pas nier le travail fait par Derrick James (son coach, ndlr) et moi. Ma technique est meilleure. Mes mains sont hautes, mon menton baissé, qu’est-ce que vous avez à dire sur ça? C’est le combat le plus important de ma carrière et je ne quitterai pas ce ring sans la victoire." "Ryan a peut-être la vitesse mais j’ai le timing, répond Haney. Je veux montrer que je suis plusieurs niveaux au-dessus de ce gars. Ryan est un combattant moyen mais avec un nom connu. J’ai prouvé que j’étais un champion face à certains des meilleurs combattants de la planète. Je suis là pour une raison." Garcia a l’occasion de retrouver de la crédibilité sportive face à Haney. Avec ses délires, il a encore gagné des followers mais perdu du crédit aux yeux des fans, puristes et glorieux anciens ddu noble art.

"On peut voir la différence entre le Ryan du passé et la réalité de celui d’aujourd’hui, constate le Vénézuélien Jorge Linares, champion du monde dans trois catégories. C’est de la merde. C’est mauvais. C’est toxique. Être sur les réseaux sociaux comme lui est plus mauvais que bon. Si ma fille voulait devenir fan de lui, je lui dirais non. Il dit qu’il fume tout le temps de l’herbe et plein de choses comme ça. Pourquoi ? Où est ton professionnalisme? Où est ton équipe? (…) On peut le voir dans ses yeux: il est vraiment perdu." Jusqu’à une question finale: Ryan Garcia aime-t-il encore la boxe? 'On sait combien être dedans à 100% est essentiel dans ce sport, rappelle Paulie Malignaggi. Une fois que j’ai arrêté d’aimer la boxe, j’ai arrêté de m’améliorer. Est-ce que Ryan Garcia aime juste être célèbre?" Début de réponse dans le ring du Barclays Center. Si rien n’arrive d’ici là…

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport