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Boxe: Tony Yoka, critiques et réalité

Pour son huitième combat pro, et un an après son dernier passage sur un ring, Tony Yoka passe "une grosse étape" dans sa quête d'une ceinture mondiale des lourds ce vendredi soir à Nanterre face à son compatriote Johann Duhaupas. L'occasion de revenir sur les critiques qui ont trop souvent émaillé le début de carrière du champion olympique 2016. RMC Sport a interrogé plusieurs témoins et acteurs du noble art pour décrypter ce désamour entre le grand espoir tricolore et une partie du grand public.

Il le répète à tous les micros. Cette fois, on y est. En affrontant ce vendredi soir Johann Duhaupas, longtemps considéré comme le meilleur poids lourd français, Tony Yoka passe "une grosse étape". Une marche qui doit, si tout va bien, lui faire "gagner de la crédibilité à l’international" et mener le champion olympique des super-lourds 2016 vers des combats contre des membres du top 10-15 planétaire sur la route de son ambition toujours proclamée de ceinture mondiale. Une bascule aussi, peut-être, dans la partie non négligeable de l’opinion qui s’amuse à le dénigrer depuis ses débuts professionnels en juin 2017.

"Ils font beaucoup de bruit derrière le clavier"

Avec le robuste et vaillant Duhaupas (38-5, 25 KO; 39 ans), avec qui il échange des mots doux depuis plusieurs mois, le technique et rapide Yoka (7-0, 6 KO; 28 ans) passe à du lourd et ne pourra plus être accusé de défier "des videurs de boîte de nuit", comme on peut trop souvent le lire sur les réseaux sociaux. "Dire des choses comme ça, c’est honteux, estime Nordine Oubaali, champion du monde WBC des coqs. Ce n’est pas que le boxeur en face n’était pas assez fort, c’est que Tony était plus fort. Il s’est entraîné pour ça. Mais ils préfèrent se dire que le mec en face est bidon…" "Ils font beaucoup de bruit derrière le clavier mais ce sont des mecs qui connaissent pas la boxe et qui ont la critique facile", confirme Souleymane Cissokho, autre membre de la "Team Solide" de Rio qui a partagé de nombreuses cartes professionnelles avec lui. 

Facile, d’accord, mais légitime? Oh que non. Ses trois premiers adversaires chez les pros, Travis Clark, Jonathan Rice et Ali Baghouz, en 2017, n’avaient pas un physique de Dieu grec. Mais un lourd reste un lourd. "Peu importe qui tu as en face, quand ça fait autour de cent kilos ou plus, ce sont des gars qui s’entraînent et qui peuvent renverser une situation", rappelle Brahim Asloum, champion olympique en 2000 puis champion du monde chez les pros. Le lot normal, surtout, d’un boxeur en apprentissage. "Il ne faut ne pas se précipiter, bien apprendre son métier, monter crescendo", explique Cissokho. Tous nos témoins sont d’accord: Yoka a signé un début de carrière pro tout ce qu’il y a de plus logique. Il fait ce qu’il faut pour avancer dans la bonne direction, sans prendre trop de risques trop vite.

Tony Yoka lors de la pesée avant son combat contre Johann Duhaupas en septembre 2020
Tony Yoka lors de la pesée avant son combat contre Johann Duhaupas en septembre 2020 © AFP

Mais alors, d’où vient l’incompréhension? "C’est une question d’impression, tranche John Dovi, manager de l’équipe de France olympique qui l’a accompagné dans sa carrière amateur. Tony a été surmédiatisé et les gens pensaient qu’à son premier combat il allait affronter quelqu’un comme Anthony Joshua." Asloum tire un parallèle: "Si tu sors major d’une promotion et que tu rentres dans une grosse société, on ne va pas tout de suite te donner les plus gros dossiers mais des petits pour que tu te fasses les dents. Lui, c’est pareil. Il a fait avec ce qu’on lui a donné. Et maintenant, il en demande plus." Après son titre olympique, Tony Yoka a été livré à une médiatisation comme seul Brahim Asloum en avait connu dans la boxe française ces vingt dernières années. Il a fait la tournée des plateaux avec Estelle Mossely, sa compagne, le couple en or du noble art à Rio.

"On a voulu faire du cash tout de suite"

Canal et Cyril Hanouna l’ont pris sous leur aile. On a monté "La Conquête", chasse à la gloire mondiale scénarisée par son diffuseur et son promoteur, Ringstar. Les gens ont vu Yoka, encore et encore, avec son discours ambitieux qui a toujours du mal à passer dans le pays où on a préféré Raymond Poulidor à Jacques Anquetil, et les premières attentes se sont révélées trop difficiles à assumer pour un public tricolore "qui redécouvre la boxe" (Cissokho) et très exigeant avec son médaillé d’or. "On le suit quand il va manger, faire pipi, quand il va chez ses proches, pointe Jérôme Le Banner, légende française du kickboxing qui sera ce vendredi dans le coin de son ami Duhaupas (qu’il a aidé à l’entraînement). Il y a eu une concentration médiatique sur lui. C’est normal que les gens le sifflent, mais ce n’est pas de sa faute. On a voulu faire du cash tout de suite. Les gens autour de lui auraient dû lui permettre de commencer sa carrière tout doucement." 

"Le grand public s’est dit qu’il aurait bientôt un champion du monde, développe Cissokho. Il n’a pas compris le plan de carrière derrière. Il y a eu des petites erreurs au niveau de la communication et c’est ce qui a fait qu’il y a eu une critique facile autour de lui. Peut-être que le choix stratégique du premier combat a pu jouer aussi." "La grosse erreur, c’est le côté marketing, analyse Oubaali. On disait au public que son combat allait être énorme alors que ce n’était pas le cas. C’est tendre le bâton pour se faire battre aux gens qui aiment critiquer et il n’a pas été très aimé par monsieur et madame tout-le-monde. Mais ce n’est pas son choix, c’est celui de son promoteur. On aurait dû prendre exemple sur le parcours d’un Joshua."

Tony yoka (à gauche) lors de son deuxième combat pro face à Jonathan Rice en octobre 2017
Tony yoka (à gauche) lors de son deuxième combat pro face à Jonathan Rice en octobre 2017 © AFP

Si on compare les débuts de carrière avec les champions actuels des lourds, Yoka est pourtant "en avance" dixit Cissokho. Vrai. Que ce soit "AJ", Tyson Fury ou Deontay Wilder, les trois cracks actuels de la catégorie, les sept premiers adversaires de Yoka présentaient un meilleur bilan global que les leurs: 116-22-7 contre 91-52-1 pour Joshua, 95-67-5 pour Fury et 17-29-4 (!) pour Wilder. Ses trois derniers adversaires, David Allen, Alexander Dimitrenko et Michael Wallisch, pour autant de victoires, ne sont pas le gratin mais pas du menu fretin non plus. "C’est juste qu’on ne les connaît pas en France", explique Yoka. Et son huitième combat, Duhaupas, est d’un meilleur niveau que les huitièmes combats du trio Joshua-Fury-Wilder, même si on peut argumenter pour Fury qui disputait le titre britannique des lourds. Mais il y a une énorme différence: Yoka dû faire ses armes dans le rôle du main event (combat principal) à un moment où le niveau de l’opposition ne le méritait pas. 

"C’est compliqué de me mettre en main event, oui, mais tu mets qui derrière moi?"

"Celui qui a le plus gros palmarès devrait être main event, c’est ce qui a toujours été fait, rappelle Cissohko. Ça n’a pas été le cas car la vague médiatique était vraiment autour de lui et pas des autres." "C’est l’erreur car les gens ne viennent que pour ce combat, estime Duhaupas. Et comme les combats ne durent pas ou n’ont pas de suspense, les critiques sortent." "Les Joshua, Fury ou Wilder ont boxé dans des soirées où ils n’étaient pas main event, explique Dovi. Des soirées où les promoteurs avaient déjà des gros combattants." Joshua, champion olympique en 2012, avait par exemple combattu sur des cartes avec Kell Brook, Terence Crawford, le choc Carl Froch-George Groves ou encore Tony Bellew. Yoka expliquait la chose avec ses mots dans une interview à la chaîne YouTube Boxe Attitude en février 2019: "On n’a pas ça en France. Tu mets Tony Yoka sur une affiche, les gens viennent, tu me fais boxer en deuxième, je fais mon combat et tout le monde part. Tu le prends comment? Car les gens viennent regarder qui? C’est ça le problème!" 

L’espoir français des lourds admet avoir demandé à son diffuseur et son promoteur de ne pas être en combat principal trop vite, conscient qu’il n’avait pas à l’être sportivement. Mais difficile de faire autrement. "Je leur avais dit: 'Nordine Oubaali fait une ceinture WBC Silver, mettez-le à la fin avec des confettis et tout!', confirmait-il en début d’année dernière. Ben non. Parce que je vais boxer mais qu’on ne sait pas ce que le public va faire après. C’est compliqué de me mettre en main event, oui, mais tu mets qui derrière moi?" Les mots sont francs, sans doute trop dans un pays où on fronce les sourcils devant un sportif qui ne les mâche pas. Mais ils touchent juste. Diffuseur et promoteur n’ont pas pu se permettre de ne pas exploiter la nouvelle poule aux œufs d’or. La boxe française, en manque de tête de gondole médiatique, en avait aussi besoin.

Tony Yoka dans l'ombre, tout l'inverse de son début de carrière professionnelle
Tony Yoka dans l'ombre, tout l'inverse de son début de carrière professionnelle © AFP

Le garçon a toujours voulu redonner à son sport, "redevable" et désireux de faire renaître le noble art. On descend Yoka car il est trop dans la lumière. Mais on le descendrait tout autant s’il n’utilisait pas sa notoriété pour aider sa discipline chez lui. Il aurait pu signer aux Etats-Unis en début de carrière. Il a préféré privilégier son pays, et on peut l’en remercier. "C’est lui qui pouvait être le chef de file de la relance de la boxe en France, rappelle Cissokho. Il en avait le profil, le charisme, l’attrait médiatique. Il aurait pu ne pas être main event, c’est vrai, mais c’est le choix stratégique que la télé et les promoteurs ont fait. C’est lui qui a plus ou moins relancé la boxe en France. Il y a des stars dans la salle, énormément de monde vient. Ils ne viennent pas que pour lui mais une bonne partie si. Il a redémocratisé la boxe. Qu’il soit main event ou pas, je ne vois pas pourquoi ça pose un problème. Si on avait d’autres champions aussi connus et médiatisés, je ne dis pas, mais..." 

"Tony aime la lumière mais ça lui aurait fait du bien"

"Souley" a raison. "Il a manqué des boxeurs d’expérience pour combler les soirées, confirme Asloum. Il portait trop l’événement sur ses épaules." On peut toutefois objecter un nom: Nordine Oubaali. Le champion WBC des coqs a partagé les trois premières cartes de Yoka en 2017. Sur les deux premières, il disputait une ceinture WBC Silver. Cela aurait dû suffire pour piquer, pour un temps, la place du champion olympique en main event. "On en a parlé ensemble et même Tony le dit, répond Oubaali. Mais ce n’est pas lui qui organise. Ça m’importait peu mais c’est aussi ce qui fait que ça dévalorise la discipline. Si tu ne mets pas en avant un mec qui fait une ceinture mondiale, ce n’est pas bon. Tu fais comprendre au public que ce n’est pas au-dessus. Ce n’est pas cohérent. Sur mes premiers combats, je n’aurais jamais accepté ça, ou seulement s’il n’y avait vraiment pas de carte autour. Quand tu as d’autres combats pour des ceintures, tu ne peux être main event."

John Dovi, qui connaît bien les deux, approuve: "Tony aime la lumière mais ça lui aurait fait du bien. Les lumières auraient été un peu moins braquées sur lui, même si quoi qui se passe les gens viennent pour lui. Ça aurait été moins de pression, moins d’attente. Si on n’avait pas un Nordine Oubaali, qui était à la porte d’un championnat du monde et spectaculaire, ça aurait été explicable. Mais je ne vais pas parler d’erreur car j’aurais sûrement fait pareil. C’est Tony qui était bankable, Tony qui vend. Il était la lumière. Mais qu’il fasse l’avant-dernier combat avant Nordine n’aurait pas changé grand-chose. On l’aurait très bien compris. Je suis persuadé que les gens qui organisent, les promoteurs, ne feraient pas la même petite erreur aujourd’hui."

Tony Yoka à l'entraînement en juillet 2019
Tony Yoka à l'entraînement en juillet 2019 © Icon Sport

Et Brahim Asloum de compléter avec son œil de promoteur: 'Il n’y avait pas le choix. C’est ce qu’il fallait faire. Si on essuie des critiques, ça fait partie du jeu. On ne peut pas le mettre en milieu de réunion, tu es obligé de le laisser le plus tard possible. Mais si tu avais mis Nordine derrière, je ne suis pas sûr que tout le monde parte. Est-ce qu’ils avaient assez exposé Nordine pour intéresser le public? C’est la question. Ce ne serait plus pareil aujourd’hui car Nordine a pris une notoriété qu’il n’avait pas à l’époque." Parler de Tony Yoka avec Asloum pousse au parallèle. Deux champions olympiques chouchous des médias à seize ans d’écart qui ont fait le choix de boxer sur leur terre chez les pros, d’y afficher leurs ambitions, et n’ont pas toujours été prophètes en leur pays malgré la place au milieu du poster. "On aurait dû apprendre de l’erreur de Brahim, qui était un très grand boxeur, mais qui a été trop pollué par les critiques, et prendre exemple sur un parcours comme celui de Joshua, qui a pris le temps de gagner le cœur du public avant d’être mis en tête d’affiche et qui maintenant peur remplir des stades de 90.000 personnes, estime Oubaali. Là, certains sont plus venus voir Tony avec un côté critique que soutien."

"Tony a pris du retard"

"Brahim était parfois sifflé à la fin de ses combats, c’était dur", rappelle Dovi. "On pensait que j’allais faire un championnat du monde juste après mon titre olympique, se souvient Asloum. J’avais essayé d’expliquer tout ça mais le grand public et les médias n’ont pas envie de connaître la recette. Ce qu’ils veulent, c’est l’événementiel. La première année, je ne pouvais pas leur en vouloir car moi aussi je croyais que j’en étais capable. Il a fallu que je prenne des coups à l’entraînement et que je me rende compte de ce qu’était le niveau chez les pros pour accepter de prendre le temps. Je ne pouvais pas répondre à toutes les critiques mais j’essayais de leur donner en étant meilleur tous les jours à l’entraînement. Je savais ce qu’on disait sur moi et je l’ai aussi pris aussi comme moteur. Tout le monde a le droit de penser ce qu’il veut. Mais ça ne veut pas dire qu’ils ont raison. A moi de montrer qu’ils ont tort, comme Tony. Mais même si j’étais en tête d’affiche, je boxais dans des soirées avec Tiozzo, Thiam, Girard. Je n’étais jamais isolé. Si mon combat n’était pas à la hauteur, il y avait des combats de qualité autour. Ça atténuait la pression. C’est ce qu’on n’a pas assez fait autour de Tony."

Asloum, qui a "toujours parlé" avec Yoka "avant, pendant et après les Jeux" pour lui donner des conseils si besoin, sait la marche à suivre pour son successeur olympique: "Il ne doit pas faire attention aux critiques. Faire taire les mauvaises langues, c’est valorisant pour son égo. Mais ce n’est pas son but. Ceux qui ne veulent pas le suivre, c’est leur droit." Cela tombe bien, Tony répète qu’il n’est pas là pour fermer la bouche des persifleurs "qui n’y connaissent rien" et leurs critiques "injustifiées". Il "trace (s)on chemin", conscient "d’avoir raison" et de savoir où il va, même si personne ne peut rester insensible à un certain désamour. "Bien sûr que ça touche un peu, confie Cissokho. Mais il a compris qu’il fallait être au-dessus de ça. Il va vivre avec et il le sait. La meilleure façon de répondre est d’assumer son objectif de devenir champion du monde."

Tony Yoka (à gauche) lors de son combat contre Michael Wallisch en septembre 2019
Tony Yoka (à gauche) lors de son combat contre Michael Wallisch en septembre 2019 © AFP

Pour le public comme pour lui, la frustration est aussi sportive. Entre son année de suspension pour trois "no-show" à des contrôles antidopage, dont il est responsable même si ce n’était pas volontaire, et la pandémie de Covid-19 qui l’a empêché de monter sur le ring depuis près d’un an (28 septembre 2019) alors qu’il devait boxer en décembre, en mars puis en juin-juillet, "Tony a pris du retard" (Dovi) sur les autres grands espoirs de la catégorie, les Britanniques Daniel Dubois et Joe Joyce, le Croate Filip Hrgovic ou le Nigérian Efe Ajagba, qui ont tous débuté leur carrière pro la même année (2017) mais comptent plus de combats, sont plus hauts dans les rankings que le Français, vingt-sixième mondial pour le site spécialisé BoxRec et classé onzième par l’IBF (aucune autre des quatre grosses organisations ne l’a dans son top 15), et ont la chance d’être adossés à de grosses cartes internationales. "J’ai vingt-huit ans, je ne pense pas être en retard sur mes objectifs", nuance l’intéressé. 

Ajagba en 2021 pour un choc de prospects?

"Il a raté entre quatre et huit combats, calcule pourtant Cissokho. Il serait déjà à la porte d’un championnat du monde. Mais il va rattraper ce retard. Voir des gens qu’il a battus chez les amateurs au-dessus de lui dans les classements est une motivation supplémentaire." "Souvent les poids lourds viennent tard à la boxe mais Tony boxe depuis longtemps, il était en mi-lourds en juniors, précise Dovi. Contrairement à d’autres, il peut se permettre inactivité qu’il comble par l’expérience depuis des années. Mais il doit aussi acquérir plus d’expérience chez les pros, les accrochages, la gestion du ring, la gestion des rounds." "Durant ces deux ans, est-ce qu’il est resté dans son coin ou est-ce qu’il a travaillé? Il a travaillé, lance Asloum. Ce n’est pas autant perdu que ça." 

Dubois et Joyce, qui partagent le même promoteur, vont s’affronter en novembre. Yoka, qui a la chance d’être dans une catégorie à maturité tardive, pourrait avoir un beau choc en perspective avec Ajagba, signé comme lui chez Top Rank (contrat de co-promotion pour le Français, qui aurait dû boxer au Theater du Madison Square Garden en mars dernier). "Ce serait parfait, juge Dovi. S’il le bat, ce que je pense, ça lui ferait combler son retard." Yoka, qui affirme qu’il est aujourd’hui "mieux pour sa carrière d’affronter Duhaupas que Ajagba", ce qui peut se débattre, a aussi déclaré que remettre ça avec Joyce, qu’il a battu en finale des Jeux et qu’il n’aime pas, lui plairait. Il y a des perspectives, quoi. Pour une chance mondiale dans les deux ans alors qu’il l’aimerait dans l’idéal au "deuxième semestre de 2021 si tout s’enchaîne"? "Attention, il y a du monde! Et il faut encore de l’évolution à Tony, répond Dovi. Les deux prochains combats vont être déterminants pour la suite. Il y a plusieurs couches auxquelles il doit se frotter pour montrer qu’il peut aller taquiner les cadors."

Tony Yoka après sa victoire sur David Allen en juin 2018
Tony Yoka après sa victoire sur David Allen en juin 2018 © AFP

"S’il fait un combat qui reste dans les mémoires contre Duhaupas, il marquera de gros points, il enverra un message et les choses peuvent s’accélérer très vite, renchérit Asloum. Il démontrera qu’il fait partie de l’élite et Bob Arum va savoir le vendre. Il est champion olympique. C’est un passeport diplomatique." "Il a toutes les qualités que j’aime", appuie l'Américain, patron de Top Rank. Nos témoins demandent "de la patience", car il faut de l’expérience pour s’attaquer aux gros, et "du soutien". Ils croient tous à ses chances de couronne mondiale, à son potentiel de futur crack. "Je l’ai vu mettre les gants avec des membres du top 10 mondial et il était même au-dessus, raconte Cissokho. Mais sur le ring, c’est encore autre chose. Et pour ça, il faut boxer, il faut du temps." La quête reprend pour celui qui a "hâte de reprendre" et a conscience de "la pression autour de (lui)". Et vu le niveau des adversaires à venir à commencer par Duhaupas, même si en trouver va se compliquer de plus en plus entre les demandes financières des uns et le manque de volonté d’affronter un tel talent des autres, elle devrait plus se faire en communion avec un public qui ne sera plus frustré. 

"Tony a changé son comportement et il y a une meilleure relation avec le public, confirme Oubaali. On arrive dans la partie intéressante de sa carrière car là il va commencer à prendre de des risques et il va y avoir des incertitudes. Il faut que toute la salle soit unanime, pas que la moitié veuille qu’il perde et l’autre qu’il gagne. C’est malsain." On connaît pourtant une légende de la boxe, Floyd Mayweather, qui a rempli son compte avec un personnage clivant qui attirait autant de gens pour le voir perdre que pour le voir gagner. Yoka assumait presque le parallèle en 2019: "En France, ça doit être du 50-50. Je le vois quand je jette un coup d’œil sur mes réseaux sociaux. Je ne vais pas m’en plaindre. J’ai beaucoup de détracteurs mais aussi de supporters sinon les salles ne seraient pas pleines. Qu’on m’aime ou qu’on ne m’aime pas, on me regarde, on paie son ticket pour aller dans une salle et ça fait du bien à la boxe. Et ce n’est que le début." 

"A la fin, tout le monde sera derrière lui"

"On pourrait en arriver à ça car il y a beaucoup de gens qui le détestent, analyse Dovi. C’est bizarre mais typiquement français car les gens l’ont adulé quand on est sorti des Jeux. Peut-être que les stars sont aussi faites pour être détestées, comme Joshua." Le manager de l’équipe de France olympique conclut avec un parallèle qui touche juste: "Quand on regarde, Joshua a fait la conquête sans faire La Conquête. Sa carrière est une conquête. Sauf qu’il ne l’a pas déclaré." Celui qui veut "réussir dans la vie pour faire profiter (s)a famille" a sans doute trop parlé pour la mentalité de son pays. "Mayweather ou McGregor, s’ils étaient français, ils se feraient descendre tous les jours, lançait-il au site La Sueur en septembre 2019. Comme ils sont américain et irlandais, ça passe bien. Ici, c’est limite tabou de dire que tu veux gagner. On va dire que tu te la pètes." "Ce que tu fais aux Etats-Unis ou en Angleterre, tu ne peux pas le faire en France, confirme Dovi. Est-ce qu’il faut se le faire à l’américaine, faire le show et dire que je que je vais taper tout le monde, ou rester plus humble pour que ça ne soit pas pris pour de l’arrogance? Il faut trouver le juste dosage. Que Tony n’a peut-être pas encore trouvé. Mais faire l’inverse ne collerait pas à sa personnalité." 

Mentalité locale oblige, Asloum pense même qu’une défaite lui permettrait sans doute de réunir plus de monde derrière lui. Pas faux. La suite et la fin de sa quête passeront sans doute par l’étranger – il souhaite notamment boxer en Angleterre et aux Etats-Unis et avoir un diffuseur derrière lui aidera à s’exporter, mais le timing possible reste flou avec la crise sanitaire – et entraîneront peut-être une autre frustration du public français s’il doit se lever dans la nuit pour le voir face à des cadors. Lui espère à terme les ramener sur son sol. "A la fin, tout le monde sera derrière lui quand ils vont se rendre compte qu’il a assumé ses paroles et qu’il est devenu champion du monde", prophétise Cissokho. "Le public est versatile et la tendance peut vite changer dans un sens ou dans l’autre", appuie Dovi. Cela passe par Duhaupas. Un "gros combat", comme il le voulait. Un risque, aussi, même si Dovi rappelle que "quand ils mettaient les gants ensemble, il fallait demander à Tony d’y aller doucement". Les ambitieux à gros talent en prennent toujours. 

Alexandre HERBINET (@LexaB)