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"La Marseillaise, c'est un hymne qui motive": la Russe Varvara Gracheva veut obtenir la nationalité française... et pourrait devenir numéro 2 tricolore

Née à Moscou mais résidant sur la Côte d'Azur depuis plusieurs années, Varvara Gracheva (22 ans) s'apprête à obtenir la nationalité française. Pour RMC Sport, la 44e mondiale - qui pourrait être la numéro 2 française derrière Caroline Garcia - se confie sur ce long processus et son espoir d'être sélectionnée avec les Bleues.

Varvara, vous vous entraînez depuis 2016-2017 à l'Elite Tennis Center de Cannes. Comment ça se passe ?

Très bien. Je dis à mes amis que quand je venais ici avant c'était dur pour moi parce que je n'avais pas envie de m'entraîner. J'étais avec mon ancien coach, je me sentais mal. C'était dur mais Jean-René Lisnard m'a accepté comme cela et on a fait énormément de travail pour que je sois ce que je suis maintenant. Tout le monde s'est bien occupé de moi, on fait un grand travail et je suis très contente d'être ici.

Qu'est-ce qui a changé depuis votre arrivée ici ?

C'est vraiment l'envie de devenir plus sociable, plus ouverte pour les rendez-vous, avec de nouvelles personnes. Et sur l'aspect du tennis, c'est beaucoup de travail. Ici avec le professionnalisme et le sérieux, on bosse tous les jours mais on est heureux. C'est plus intéressant dans cet état d'esprit.

A quand remontent vos premières démarches pour obtenir la nationalité française ?

D'abord, ça a été pour avoir le passeport. J'habitais ici depuis trois ans, on était juste avant le Covid, et on s'est dit : si je veux avoir "ma base" ici, on peut faire la carte de séjour. Depuis ce moment j'ai fait toutes les déclarations pour avoir cette base stable.

Le contexte actuel autour de la Russie a-t-il renforcé votre volonté d'être naturalisée française ?

Cette situation peut donner une mauvaise impression de moi. Parce que je veux changer, parce que c'est la guerre... Mais non ! On a pris cette décision avant et la naturalisation c'est une question de temps. On ne s'est pas dit "ah il y a la guerre, on change !" On a pris les décisions avant. Honnêtement je me sens un peu mal à l'aise. Après, c'est mon travail, ma vie, ma qualité de vie, mon futur... Donc oui honnêtement je dois penser à ça aussi, c'est important.

Qu'est-ce que cela changera pour vous ?

Presque rien, je vais travailler comme je travaillais ! Ça me permettra de voyager, avoir l'opportunité de participer à la Fed Cup que je n'ai jamais jouée... Si la Fédération française de tennis veut me voir moi dans l'équipe, j'y vais avec plaisir ! S'ils ne veulent pas, je ne veux pas (rires). J'accepte les choses comme elles arrivent.

Quels sont vos rapports avec Julien Benneteau, le capitaine des Bleues ? Vous le connaissez ?

Juste un peu. On a parlé quelques fois. Il est vraiment sympa. On s'est rencontré à Indian Wells je crois et une fois aussi avant. Il est vraiment sympa, il ne m'a jamais rien dit de mal. Moi je suis calme. Ça va être intéressant de travailler ensemble, peut-être. On verra !

Connaissez-vous Caroline Garcia et Alizé Cornet ?

Avec Caroline, j'ai fait un entraînement avec elle l'année dernière. Elle était sympa, simple. C'était un très bon entraînement. Alizé, je la connais depuis quelques années. On joue ensemble des fois. Ce sont des relations professionnelles.

Vous n'avez pas parlé avec elles de votre naturalisation ?

On a vraiment pas parlé de ça, avec Caroline Garcia non plus. C'était l'année dernière, je savais que j'avais cette procédure mais je ne pensais pas que j'aurais ça. Ça ne prend pas de place dans ma tête, pas beaucoup.

Quel rôle a joué la fédération dans cette naturalisation ?

La fédération joue un rôle pour la naturalisation. Je dois faire quelques lettres pour dire que je veux participer avec l'équipe française. L'argent ? Je ne pense pas à ça du tout. Je gagne ma vie moi-même.

La démarche vient de la fédération ou de vous ?

Non c'est un projet avec Philippe Rome et Jean-René Lisnard. Ce n'est jamais sûr. Maintenant, j'imagine aussi que la réponse peut être négative. C'est quelque chose qu'on essaye de faire. Mais ce n'est pas moi qui décide.

Vous sentez-vous déjà française ?

Pas vraiment. Je dois apprendre beaucoup de choses culturelles et la langue évidemment.

Quand cette naturalisation sera-t-elle effective ?

J'espère pour cet été, mais je ne sais pas. Ça peut être entre deux mois ou deux ans. Ça c'est difficile.

Vous imaginez-vous participer cette année à Roland-Garros en tant que française ?

Non. Pour cette année, ce ne sera pas possible, peut-être pour le prochain. Mais jouer Roland-Garros avec la nationalité française, honnêtement j'y pense, mais je ne peux pas me préparer à ça. C'est quelque chose de différent, une expérience très différente.

A quel accueil vous attendez-vous de la part du public français ?

Je ne sais pas ! Tout est possible. Je dois tout accepter.

Les Jeux de Paris 2024 sont une motivation pour vous ?

Honnêtement, je ne pense pas vraiment à ces JO. Je n'ai jamais eu cette expérience et ce n'est pas vraiment une motivation. Ma motivation, c'est de faire le maximum et si grâce à mon travail et celui de mon Team, on peut participer aux JO, pourquoi pas ! Vraiment. Je ne peux pas vous donner les noms de personnes qui ne voudraient pas participer aux JO.

Vous avez intégré le top 100 puis le top 50 mondial. Quel regard portez-vous sur cette année 2023 ?

Je n'ai pas d'objectif précis. Je veux gagner le plus de places possibles, peut-être gagner un titre mais je n'attends pas grand chose. C'est le sport.

Sur quels aspects souhaitez-vous progresser ?

Je peux progresser sur tous les aspects : le tennis, la communication. Tout ça. Je peux beaucoup progresser. JR (Jean-René Lisnard, ndlr) me dit souvent que je peux progresser partout. S'il dit ça, je lui fais confiance et après on doit travailler et s'améliorer. Sky's the limit ("Le ciel est la limite").

Etes-vous prête à chanter la Marseillaise ?

Ah, je dois l'apprendre ! Si je veux vivre ici, oui je dois l'apprendre. J'ai déjà entendu La Marseillaise, c'est un hymne qui motive, pour aller à la guerre.

Qu'est-ce qui fait que vous vous sentez française ?

Peut être que c'est la communication avec les gens, la façon de parler ici. Un peu de "slang" ("argot") aussi. Parce que j'entends beaucoup de "slang" ici. Après si on parle en termes de nourriture, j'aime beaucoup (rires). La cuisine française, c'est exceptionnel pour moi.

Comment vivez-vous cette attente de la naturalisation ?

J'attends. C'est comme ça. Je dois attendre, je n'ai pas d'autre choix. Est-ce que ça a un impact sur mon tennis ? Peut-être mais j'essaie de prendre ça comme juste une partie de ma vie. Je dois me préparer comme si c'était normal. On a commencé les démarches en 2018 ou 2019, avant le Covid. Après le confinement, j'ai rencontré mon premier agent qui était en charge de devoir faire ma carte de séjour.

Que pensent les Russes de votre démarche ?

Honnêtement je ne sais pas. J'ai fait quelques sélections de jeunes en Fed Cup, en European Cup... Mais après ça il y a eu peu de contacts. Puis j'ai lu un article dans lequel le président de la Fédération, Shamil Tarpischev, disait ne pas être au courant de ma situation. Evidemment, je n'ai dit à personne que je voulais faire ça. C'était juste mon projet privé, personnel. Et donc dans cette interview il dit que si c'est vrai, ce ne sera pas une grande perte. A mon avis il a dit ça parce que dans l'équipe nationale russe il y a encore pour plusieurs années des joueuses comme Ekaterina Alexandrova, Daria Kasatkina, Liudmila Samsonova, et d'autres. Donc oui, que je sois là ou non, je crois que ça ne changera pas grand chose.

Quel regard porte votre famille sur votre demande de naturalisation ?

Ma famille est très contente. Parce que je peux les aider. Ils peuvent par exemple venir ici en vacances près de la mer. Ils sont très contents. Ils vivent au sud de Moscou, à Joukovski, une ville calme. C'était la ville de l'aviation dans le passé. Mais moi je hais l'avion, j'ai peur en avion (rires).

Propos recueillis par Maxime Tilliette