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Voile: "Zidane je l'adore mais il a gâché ma vie!", les confidences de Charles Caudrelier, vainqueur de la Route du Rhum

Après une nuit de sommeil réparateur, Charles Caudrelier, vainqueur de la Route du Rhum, est revenu pour RMC Sport sur sa victoire et ses prochains objectifs. Dès cet hiver il pourrait à nouveau frapper un grand coup en allant chercher le Trophée Jules Verne de Francis Joyon. Un record vieux de cinq ans qui pourrait tomber sous la barre des quarante jours. Entretien.

Comment on se sent 24 heures après une victoire sur la Route du Rhum ?

Là je sens que je suis encore un peu crevé. Mais ça va, on est content. On est apaisé. On se sent bien. C'est surtout comment on se serait senti si on n’avait pas gagné (rires) parce que là c'est se retourner dans son lit et se dire : pourquoi j'ai fait ça? Pourquoi je n'ai pas fait comme ça? Là le mot c'est “apaisé”, comme tout sportif qui a réalisé son exploit et peut se reposer un peu. 

C'est quoi cet état de fatigue? 

C'est dur à calculer. C'est plus une fatigue générale mais souvent tu ne la ressens pas tout de suite. C'est difficile à qualifier. Oui tu es fatigué parce que tu n'as pas beaucoup dormi la dernière nuit. C'est normal mais j'ai l'impression d'être aussi fatigué que les gens qui étaient autour de moi, qui sont venus me voir sur la ligne d'arrivée. Les gens qui travaillent pour moi qui ont été là toute la nuit à veiller mon arrivée. Mais la fatigue va arriver après. Je ne me sentais pas du tout fatigué hier et maintenant je commence à le sentir. il y a un effet du corps derrière la ligne. Un médecin serait sûrement beaucoup plus capable de l'expliquer que moi, toutes les hormones que tu développes. Mais il y a quelque chose qui se passe dans ton corps qui fait que tu as une énergie décuplée. Et quand ça s'arrête ton corps s'écroule.

Avec le recul, comment avez-vous vécu cette Route du Rhum? 

Je suis un peu frustré de mes émotions à l'arrivée. J'ai eu quelques moments très forts mais très brefs. J'étais encore tellement dans ma course que j'ai eu du mal à me relâcher et à prendre conscience de la chose. C'était assez bizarre comme sensation je ne sais pas si c'est avec l'âge, on n'a pas les mêmes émotions. Je me souviens de ma première grande victoire sur la Solitaire du Figaro en 2004 c'était très très fort. Les émotions je les ai plutôt eues avant l'arrivée à me dire “ça y est, tu es en train de faire un truc”. Mais ce n'est pas concret. Quand tu vois les autres le faire je trouve ça impressionnant, quand c'est toi qui le fais tu ne vois pas les choses de la même façon. J'ai presque l'impression d'avoir vécu des émotions plus fortes quand j'ai vu mon pote Franck Cammas gagner la Route du Rhum en 2010 (Caudrelier était le routeur).

C'est peut-être le plaisir d'être dans l'ombre aussi?

Il faut relativiser ça. Ce serait malhonnête de dire que faire la Une d’un grand quotidien national ça ne me fait pas plaisir mais je ne cours pas après. On parle des réseaux sociaux j'essaie de m’y mettre parce que c'est indispensable. C'est pour mon avenir, ça va m'aider en terme de notoriété dans ma carrière d'après sportif. Parce qu'il y a ça aussi qui m'inquiète, mais je ne me sens pas de me prendre en photo, de faire des selfies… Ce n'est pas ma génération. Il y a des gens pour qui je trouve ça très naturel mais moi j'ai l'impression que si je le faisais ça ne passerait pas. Je ne peux pas me mettre en scène moi sur ces réseaux sociaux. En revanche être reconnu comme un grand marin quand on a cherché à être un grand marin ça fait plaisir. Je n'ai pas eu la reconnaissance médiatique parce que je n'étais pas beaucoup en France. Il y a sûrement une frustration quelque part là-dedans de ne pas toujours être reconnu mais la reconnaissance de mes pairs c'est ça qui est important. Mais ça serait malhonnête de dire que ce n'est pas plaisant d'être reconnu dans comme un grand sportif dans sa spécialité.

C’est la faute de Zidane aussi ce manque de reconnaissance!

(sourire) J'ai souvent eu des victoires qui ont été atrophiées par des grands trucs. Quand j'ai gagné la Solitaire du Figaro, ce n'est pas le Rhum, mais pour un jeune skipper c'est un événement, c'est le jour Zidane annonce sa retraite internationale. Quand l'année d'après j'ai regagné une course, il annonce son retour. Et un jour où je suis rentré d'un grand voyage, en arrivant à Lorient ma voiture était à la fourrière parce que Zidane était venu se poser à Lorient et qu'il ne fallait pas se garer là. Mais moi c'était 3 semaines avant ! Zidane je l'adore mais il a gâché ma vie (rires).

Est-ce que participer à un Vendée globe vous trotte toujours dans la tête?

C'est un truc que j'ai voulu faire, mais plutôt par défaut. Car quand tout le monde voulait faire le Vendée Globe moi je voulais faire la Route du Rhum et en multicoque. C'est toujours ce qui m'a attiré. Sans doute aussi parce que je vivais par procuration les victoires de Franck Cammas. Je vivais cette vie de marin par procuration à travers mon pote qui a commencé avant moi et qui a gagné toutes ces courses-là très jeune. J'avais envie de faire comme lui. Après j'ai eu très envie de faire le Vendée Globe. J'ai cherché pour 2016 et je n'ai jamais trouvé. Ma vie s’est retrouvée à faire la Volvo Ocean Race et finalement c'est sans regret aujourd'hui. Ce n'est pas une frustration. Les bateaux du Vendée Globe me fascinent. Ils sont fantastiques  mais je trouve que le plaisir de naviguer sur ces bateaux-là est très dur. Et les témoignages que j'ai de tous les marins à faire un tour du monde dans ces bateaux-là, enfermés dans des boîtes, ça m'intéresse moins. Je crois que ça m’amuserait plus de faire une régate à la journée sur un bateau de 6 m de long avec 80 marins sur une ligne de départ plutôt que d'aller faire un Vendée Globe aujourd'hui. Et puis aller faire un tour du monde en 80 jours alors que je vais le faire en 40... les multicoques volants pour moi c'est ce qu'il y a de mieux.

Vous avez fait une croix sur cette course?

Pour gagner un Vendée Globe il faut une volonté dingue. Là où je n'exclue pas de venir sur un Vendée Globe c'est peut-être sur un projet “aventure”, pas forcément un projet gagnant. J’ai cette envie d'être en mer et passer du temps sans la pression du résultat. Je suis un compétiteur mais le stress de la compétition parfois me frustre un peu du plaisir d'être en mer. Sur cette Route du Rhum je me suis éclaté au début. Après il y a eu une période où c'était très difficile car je sentais que je l'avais en main mais je pouvais la perdre. Ça me bouffe beaucoup du plaisir en mer et j'en ai re-profité les dernières heures. Donc c'est peut-être sur un Vendée Globe aventure… Je ne devrais pas le dire parce que finalement si un sponsor a envie de moi parce que je suis “bankable” plus que jamais! Mais ce serait malhonnête de ma part. Ce n'est pas ce que j'ai envie de faire. Ce dont j'ai envie c'est continuer à naviguer sur ce bateau, aller chercher ce record, et faire ce tour du monde en multicoque. Parce que moi j'aime le côté aventure et l'année prochaine ça va être une vraie aventure. Et après, si le Gitana team se lance dans la construction d'un nouveau bateau comme on en parle… C'est vraiment ce que j'ai envie de faire, et d'accompagner un skipper plus jeune. Car il y a un moment on ne peut plus être aussi performant. Le physique n'est plus au rendez-vous, mais transmettre, comme des gens l'ont fait pour moi, j'adorerais ça. Pour l'instant je crois que j'aurais du mal à ne pas être sur des projets simplement tournés sur la performance. Le dépassement c’est ça que j'aime. C'est aussi le côté développement. Je m'éclate parfois plus à faire ça qu’en mer avec le Gitana team.

On peut donc imaginer qu'avec la construction d'un nouveau bateau en 2025 vous serez sur ces multicoques jusqu'en 2030. Vos sept prochaines années sont tracées?

Je n'ai jamais eu de projet qui durait plus de 3 ans. C'est la première fois que je suis dans une équipe aussi longtemps. On me fait confiance sur la durée. J'ai une vision à long terme. J'ai trouvé l'équilibre parfait que je n'ai pas eu dans ma carrière de sportif, où la famille et les enfants sont importants pour moi. Même si on a voyagé ensemble et fait plein de choses j'étais pendant 10-15 ans un père un peu trop absent à mon goût. Aujourd’hui j'arrive à trouver l'équilibre. Je suis dans une équipe où je me fais plaisir, je navigue sur le bateau le plus dingue avec des compétences autour de moi incroyables. Et le soir j'arrive parfois à être à la sortie de l'école pour aller chercher mes enfants. Je suis un grand chanceux. Si je peux vivre encore 10 ans dans cette équipe et développer des bateaux c'est vraiment ce que j'ai envie de faire, plus que le Vendée Globe.

Comment imaginez-vous le trophée Jules-Verne qui se présente dans quelques semaines?

J'ai hâte de re-naviguer avec l'équipe. De partager avec eux toutes les innovations de cette année: les nouveaux foils… Et on apprend énormément à naviguer avec des gens comme Morgan La Gravière ou Erwan Israël. Moi j'ai un peu mes certitudes, c'est le danger de l'expérience. J'ai des réglages, c'est figé, assez bloqué. Eux n’ont pas ces connaissances là et arrivent avec des idées nouvelles. Il faut que je les laisse. La dernière navigation qu'on a faite avec Morgan et Erwan, ce dernier a voulu essayer un truc. Je lui ai dit non ce n’est pas la peine ça ne marche pas. Il m'a dit on peut essayer quand même? Je lui ai dit oui c'est vrai ça prend 2 secondes d’essayer. Et ça a été un truc très concluant qui m'a beaucoup servi sur le Rhum! Personnellement je n'avais pas vraiment d'histoire avec le Trophée Jules-Verne que j'avais vécu un peu par procuration à travers les copains. Ça ne me faisait pas forcément rêver les records et là avec les trois tentatives avortées ça donne envie d'aller le chercher. C'est devenu une de mes priorités surtout après cette Route du Rhum. J'ai vraiment envie de faire rentrer ce bateau et cette équipe dans la légende. Si on peut ajouter un Trophée Jules-Verne ça pourrait être complètement dingue. Donc on va tout donner. On va y aller !

C’est pour quand?

Les équipiers vont partir dimanche et seront avant le weekend en Bretagne si tout se passe bien. Ils ont une bonne météo et ça va plus vite dans ce sens-là. La dernière fois je suis revenu en 5 jours et demi. On fait un check-up complet du bateau et si on ne trouve rien l'objectif serait d’être prêt à partir avant Noël. Ensuite, la fenêtre de départ peut aller jusqu'en février.

Pierre-Yves Leroux