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Tour, Giro, Mondiaux... Ces trois moments où Thibaut Pinot a failli entrer dans la légende

Au soir du Tour de Lombardie, ce samedi, Thibaut Pinot mettra fin, à 33 ans, à une riche carrière marquée par des succès homériques et des revers tragiques. Retour sur trois courses où le destin du Français aurait pu basculer de l'autre côté.

Janvier 2010. Tout le gratin du cyclisme mondial s'est donné rendez-vous sous la chaleur accablante de l'hémisphère sud. Devenu incontournable, le Tour Down Under donne en Australie le coup d'envoi de la nouvelle saison de vélo. Et il y a du lourd au départ. Sorti de sa retraite un an plus tôt, Lance Armstrong est venu gratter un joli chèque. Alejandro Valverde, George Hincapie, André Greipel et le champion du monde Cadel Evans sont aussi de la partie. Au milieu de ces fauves, un jeune coureur français aux traits juvéniles et aux cheveux en bataille lance son aventure professionnelle. Son nom: Thibaut Pinot.

Près de quatorze ans plus tard, le décor a bien changé. Lassé par les exigences du haut niveau, et désireux à 33 ans de retrouver le calme qu'il chérit tant dans sa ferme de Mélisey, en Haute-Saône, le Franc-Comtois s'apprête à écrire la dernière ligne de sa carrière. Ce sera ce samedi, en Italie, à l'occasion du Tour de Lombardie, sur les terres qui l'ont vu triompher en 2018.

Une ultime représentation avant de tirer le rideau et de retourner chouchouter ses chèvres adorées, loin de la frénésie du calendrier World Tour et de ses sollicitations médiatiques. Sans tristesse ni nostalgie, assure-t-il, convaincu que l'heure n'est plus aux regrets. Son palmarès - 33 victoires dont trois étapes du Tour de France, deux sur la Vuelta et une sur le Giro - lui donne raison, au moins autant que les émotions qu'il aura semées, parfois malgré lui.

Mais au moment de dresser le bilan, difficile de ne pas réveiller de douloureux souvenirs. Dans un pays qui voue un culte aux perdants magnifiques, Pinot lui-même sait que ses défaites tragiques ont grandement contribué à sa popularité.

"Il y a des jours où je préférerais être moins aimé et gagner plus de courses", confiait-il ainsi au micro de Netflix dans le documentaire Tour de France: au cœur du peloton.

Et des défaites, il y en a eu quelques-unes en près de 14 ans de carrière. Retour sur les trois échecs qui ont forgé la légende romantique du coureur préféré des Français.

· Le Tour 2019, le plus dramatique

Difficile de commencer autrement que par le Tour 2019. Car cette année-là, les supporters français, un brin cocardiers, ont vraiment cru tenir le successeur de Bernard Hinault. En lévitation dans les Pyrénées, Thibaut Pinot s'impose en patron en haut du Tourmalet lors de la 14e étape, devant tous les favoris. Et les jambes tournent tout aussi bien le lendemain en haut du Prat d'Albis, où le Haut-Saônois reprend pas loin d'une minute au tenant du titre Geraint Thomas.

Au matin de la 19e étape, Thibaut Pinot occupe la cinquième place du classement général, à moins de deux minutes d'un certain Julian Alaphilippe, épatant porteur du maillot jaune. Mais surtout, les deux étapes alpines qui attendent le peloton semblent taillées pour le coureur de la Groupama-FDJ, qui n'est qu'à 20 secondes du futur vainqueur de l'épreuve, Egan Bernal. Cette fois, pense-t-on, c'est la bonne.

Jusqu’à ce que la malchance s’invite une fois de plus sur le porte-bagages du champion. Alors qu'il peut croire à une place sur le podium, et même rêver à la plus haute, une blessure musculaire vient le mettre KO à 48h de l'arrivée sur les Champs-Élysées. Depuis deux jours, son équipe sait qu’il jongle secrètement avec la douleur après s'être tapé le guidon dans la cuisse en voulant éviter une chute sur l’étape de Gap. S’il ne veut rien laisser paraître, Pinot comprend vite ce 26 juillet qu’il ne tiendra pas, même s’il s’accroche un temps, doublé par les sprinteurs qui le voient zigzaguer devant sa voiture.

À 90 kilomètres de l’arrivée à Tignes, la coupe est pleine. Et c’est en larmes que le héros du Tourmalet se résout à mettre pied à terre, sur les coups de 15h, consolé par son grand pote William Bonnet. Victime d’une lésion au vaste interne, un muscle de la face antérieure de la cuisse, une blessure extrêmement rare chez les cyclistes, il quitte ce Tour de France 2019. Largué, meurtri.

Et c’est encore les larmes aux yeux qu’il fait face à la presse le soir-même, conscient que l'occasion d'une vie vient de passer: "J'y croyais, j'en ai marre. J’avais toujours espéré avoir cette petite part de chance... Je sentais depuis dimanche, après les Pyrénées, que j’étais capable de le gagner, et sans ça, je suis sûr que je l’aurais fait. J’en étais convaincu, rien ne pouvait m’arriver. On ne le saura jamais."

· Le Giro 2018, un vrai crève-cœur

Avant ce Tour 2019, il y avait eu le Giro 2018, qui se place lui aussi très haut en termes d’abandon dramatique. Quatrième en 2017 sur les routes italiennes qui le passionnent, à mille lieues de la lessiveuse propre au Tour de France, Pinot sait qu’il peut y trouver un terrain à sa convenance. Avec des scénarios de course débridés et une atmosphère propice à une certaine tranquillité.

Il a en prime une revanche à prendre. Un an plus tôt, il a dû se contenter de la quatrième place après avoir été éjecté du podium lors du contre-la-montre final à Milan. Cette fois, la victoire n’est pas un mot tabou.

Et, presque étonnamment, son plan semble se dérouler sans accroc. Il évite les pièges, ne quitte pas le top 10 et remonte même au troisième rang à l’issue d’une 19e étape restée célèbre pour le coup de folie réussi par Chris Froome. Mais la lumière s’éteint le lendemain. Souffrant de déshydratation et de fièvre, il perd plus de quarante minutes sur ses concurrents directs.

Et le pire est à venir. À l’hôpital, la veille de l’arrivée à Rome, un début de pneumopathie lui est diagnostiqué. "Pour moi, tout s’est écroulé et, moralement, c’est compliqué de l’admettre, dira-t-il quelques mois plus tard. Ne pas terminer sur le podium que nous avions obtenu après trois semaines intenses est l’une des plus grandes déceptions de ma carrière. Je le vis toujours aussi mal."

Un homme heureux : Tour de France, le chapitre Thibaut Pinot va se refermer - 23/07
Un homme heureux : Tour de France, le chapitre Thibaut Pinot va se refermer - 23/07
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· Les Mondiaux d'Innsbruck, le rêve arc-en-ciel envolé

Contraint de s’arrêter plusieurs semaines dans la foulée de ce Giro, pas remis à temps pour s’aligner sur le Tour, le grimpeur de la Groupama-FDJ opte pour la Vuelta comme session de rattrapage. Un choix payant puisqu’il repart d’Espagne avec deux victoires d’étapes dans ses valises, une sixième place au général et une confiance regonflée à bloc à l’approche des Mondiaux.

Quand il débarque sur le sol autrichien, Pinot ne se cache pas. Oui, le profil pour une fois montagneux du parcours lui convient à la perfection. Et oui, enfiler le maillot arc-en-ciel serait "encore plus fort qu'un maillot jaune". Attendus comme des protagonistes majeurs de cette course en ligne, les hommes de Cyrille Guimard ne déçoivent pas à Innsbruck. Dans le Höll, la redoutable dernière montée, Thibaut Pinot, Romain Bardet et Julian Alaphilippe sont tous les trois devant, presque en file indienne, et le groupe des favoris est réduit à sa plus simple expression.

Un quart d’heure plus tard, c'est pourtant une immense frustration qui les attend, même si la médaille d'argent obtenue par Bardet derrière Alejandro Valverde constitue alors le meilleur résultat de l'équipe de France au XXIe siècle. Alaphilippe est huitième, juste devant Pinot, qui a accepté de mettre de côté ses ambitions personnelles pour forcer l’allure et jouer la carte du collectif. "C'est vrai qu'on l’a un peu oublié, mais Pinot avait vraiment des jambes de feu, rejoue aujourd’hui l'ancien coureur Jérôme Coppel, consultant pour RMC. On ne peut pas dire que la tactique des Bleus n'a pas fonctionné parce qu'ils ont pris la médaille d'argent. Mais d’un point de vue de spectateur, Thibaut me semblait plus fort que Romain. Il va plus vite au sprint, on ne sait pas ce qui aurait pu se passer face à Valverde… Il aurait peut-être été champion du monde." Le titre tant attendu par la France viendra finalement en 2020, 23 ans après Laurent Brochard. Mais l'arc-en-ciel échouera sur les épaules de Julian Alaphilippe.

https://twitter.com/rodolpheryo Rodolphe Ryo Journaliste RMC Sport