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Barrage L1/L2: "Il faut se dire que c’est possible", les confidences de l'ex-président de Saint-Etienne André Laurent

Saint-Etienne joue ce dimanche (19h) sa survie en Ligue 1 en affrontant Auxerre en barrage retour (1-1 à l'aller) dans le Chaudron. Avant ce rendez-vous, l'ancien président des Verts André Laurent s'est longuement confié à RMC Sport.

Il fut le président de l’après caisse noire des Verts. André Laurent a tout vécu durant sa décennie à la tête de l’ASSE entre 1983 et 1993 : une descente, l’échec des barrages, la remontée et même une 4e place, presque européenne. Concernant les barrages, les souvenirs restent amers : un barrage synonyme de relégation en 2e division à l’époque, en mai 1984 (après un match nul à l’aller au Matra Racing, 0-0, Saint-Etienne s’incline à la maison 0-2) ; en mai 1985, c’est sur un "pré-barrage" pour accéder à la 1ère division que les chances de monter s’envolent après un échec sur un match face à Rennes, 2-0. Il sera aussi l’homme fort de la reconquête entamée en mai 1986 avec une montée (sans barrage) dans l’élite.

A 84 ans, André Laurent profite de sa retraite après avoir transmis l’entreprise éponyme de boulonnerie qu’il a créée à la sortie de ses études en 1968, "leader européen dans sa spécialité" affiche-t-il avec fierté, puis transmise à son fils "quand j’avais 68 ans", précise-t-il. Et depuis les hauteurs de l’Etrat, dans la maison qu’habitait à l’époque Pierre Garonnaire, un nom associé à jamais à l’épopée des années 1970 du club puisqu’il recruta tous les joueurs qui firent les beaux jours du club et ancien voisin de Robert Herbin, l’entraîneur décédé en avril 2020, il porte un regard à la fois douloureux mais plein d’espoir au cœur de la période troublée que traverse le club. Pour RMC Sport, il évoque justement ces heures d’angoisse de toute une ville.

Vous avez été un acteur majeur du club il y a une trentaine d’années. Quel regard général portez-vous sur ces heures de "barrages" ?

"Toute la région, la population, les Stéphanois, les supporters, je sens beaucoup d’angoisses. Vous voyez chez moi aujourd’hui, les jeunes qui sont à l’œuvre pour m’aider à refaire mon jardin me questionnent : "M. Laurent, vous pensez qu’on va s’en sortir ?". Ils ne sont pas spécialement fans de foot, tous autant qu’ils sont mais ils témoignent justement de ces questionnements qui habitent tout un chacun."

Vous avez connu les barrages...

Oui, des souvenirs douloureux : nous faisons match nul à l’aller à Paris et nous échouons au retour devant 45 000 personnes et un stade en feu et nous redescendons en 2ème division à l’époque ; et puis l’année d’après, dans l’autre sens, il s’agit là d’un pré-barrage face à Rennes et nous perdons 2-0. Et à chaque fois, c’est tout qui nous tombe sur la tête car, le lendemain, on se dit : "il faut refaire une nouvelle saison, il faut repartir, c’est dur". En 1985, ce barrage de montée était tellement frustrant car nous ne sommes pas montés directement pour… deux buts de différences au goal average avec Nice ! Rageant. C’est pour cela que de tout mon cœur, je souhaite que cela se passe bien car je connais l’humeur maussade des lendemains tristes… J’aspire, je prie, j’espère que cela va bien se passer.

C’est dur un barrage...

Oui, mais en même temps, c’est exaltant de tout reconstruire, c’est passionnant. Quand je reprends le club en 1983, il n’y a rien : plus d’entraîneur, plus d’argent et pas mal de choses à régler au niveau procès (NDLR, suite à l’affaire dite de la caisse noire qui précipita le club dans sa chute). Il a fallu rebâtir l’enthousiasme, l’énergie, le club, les finances … Ce fut fabuleux à faire et nous l’avons fait dès 1986 avec nos neuf points d’avance et l’accession en D1 !

Quel est l’attachement de la ville à "son" club ?

Pendant les dix ans de ma présidence, je l’ai senti et le souvenir est vivace : St Etienne est une ville industrielle et de créateurs d’entreprise. Alors, oui, il y a eu les déboires des années 1980 avec la fin de Manufrance et des mines, 80 000 emplois ont disparu en très peu de temps. Mais il y a de la résilience dans cette ville. Et tout est reparti sur d’autres bases, initiant une forme de résilience qui habite toute le monde. Reste une donnée : St Etienne a un déficit d’image, c’est indéniable.

Nous n’avons pas la mer, la montagne et nous entendons rarement les gens dire "nous allons en vacances à St Etienne". Donc, en terme d’étendard, de flambeau et d’image, St Etienne n’a qu’un guide, son club de foot ! A l’extérieur, la ville est épinglée par son épopée footballistique des années 1970, son point haut qui existe dans toutes les entités, entreprises, institutions, clubs… Le contre-coup d’une descente n’impactera pas donc l’économie, mais le cœur, l’âme, le corps des Stéphanois qui sont tous supporters des Verts. J’en connais beaucoup pour qui ce sera une déchirure, une fracture réelle qui sera difficile à supporter et digérer.

Vous avez connu les jours d’après une descente…

Oui, et là cela peut se produire cette année... Il faut se dire que c’est possible. Et je sais déjà qu’il faudra des dirigeants fermes, engagés, qui croient en leur club, en leurs valeurs et en l’image de la région. Quand nous sommes descendus, dans le mois qui a suivi, peu à peu, j’ai rassemblé des passionnés qui se sont engagés tels des missionnaires. Nous nous sommes dits : "nous allons remonter, même s’il faudra du temps, de l’énergie et de la volonté". Nous aurons tout cela en plus de notre courage, de notre intelligence et de notre implication.

Notre chance ? Le public a adhéré, aussi bizarre que cela puisse être : oui, le public était là en 2e division, face au Puy, 40 000 personnes ! Le stade était plein sans arrêt et après le match de la montée face à Toulon et on m’adresse un micro pour que je dise un mot au public : j’ai dit "merci" et surtout cette phrase que j’ai en tête. Elle est toute simple : "l’an prochain, nous jouerons en 1ère division !" Ce fut magique.

Dans tous les cas, il va y avoir peut-être un nouvel actionnaire.

Il faudra un projet, un vrai projet je veux dire, une vraie vision avec des hommes qui ont la foi, l’esprit. Il ne suffit pas d’avoir quelqu’un qui est supporter, gentil et qui aime le club. Cela ne suffit pas. Il faut l’aimer l’ASSE, mais il faut aussi des idées, de l’argent… Et capter l’énergie de tous ceux qui nous entourent pour avancer ensemble. Et je sais que combien c’est triste de descendre, mais quel bonheur de remonter. J’ai connu les deux… Et même avec une descente, il ne faudra pas perdre espoir car une nouvelle histoire peut s’écrire.

Tous les histoires sont faites de haut et de bas. Je suis passé après Roger Rocher et nous sommes redescendus quelques petites années après avoir joué contre Liverpool, le Bayern et tous les autres. D’un sommet du monde à la 2e division, c’est le cycle du foot ; mais je sais une chose et je l’ai toujours eu en tête dans la reconstruction : l’ASSE ne peut pas mourir ; elle ne doit pas mourir… Même avec la caisse noire à l’époque, le club ne s’est pas crashé, il s’est bien posé.

Quelle est la recette d’un barrage avec les données actuelles du groupe que vous suivez ?

Il faut tout donner devant son public au retour, et ne pas se poser de questions. Même si le football produit n’est pas bon, même si tout le monde est inquiet et tout cela, le foot pas bon et l’inquiétude, ce n’est pas d’aujourd’hui. Je sais que toute une ville est triste. Raison de plus pour tout donner.

Quand on vous croise à l’Etrat, on vous interroge sur la situation actuelle...

Oui, mais je suis décalé par rapport au football moderne. J’étais un président élu, validé par un conseil d’administration et aussi, il faut le dire, par le maire de St Etienne. C’est tout un ensemble. Je ne travaillais donc pas avec mon argent. J’avais celui du public, des sponsors et beaucoup des sponsors car il n’y avait pas de droits télévisés à l’époque… Les recettes guichets, c’était 35 % et tout le reste, c’était les entreprises locales que je visitais régulièrement pour demander une aide de 5 000, 50 000 ou 100 000 francs, oui c’était des francs à l’époque. Nous avons créé le premier groupe de partenaires de France, c’était notre idée. Nous sommes arrivés à équilibrer notre budget…

Un dimanche de barrage retour, cela se vivra comment pour vous ?

Ce sera particulier avec beaucoup d’inquiétudes … Tout se jouera sur 90 minutes. La journée sera longue avant...

Vous avez de l’espoir pour le maintien ?

Oui, elle a prouvé à Nantes. Et je vais vous expliquer le "poids" de l’ASSE dans la vie des gens. Ce soir-là, samedi dernier, nous étions chez des amis avec mon épouse et nous dinions. Et j’ai demandé l’autorisation d’avoir le téléphone sur la table pour pouvoir suivre le match. Les discussions de la soirée m’intéressaient, forcément mais j’étais aussi tendu au scénario du match. Jusqu’à la 77e minute, je disais : "toujours 1-0 pour Nantes". Je sentais une tristesse… Et à la 78e, paf un but. La tablée a souri. Ce but, c’est un espoir. Et cet espoir, il faut le transformer en victoire dans ce barrage. Il ne faut surtout pas effacer cet espoir naissant… Surtout pas …"

Edward Jay