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Une représentation physique du Bitcoin, la plus valorisée des cryptomonnaies

Une représentation physique du Bitcoin, la plus valorisée des cryptomonnaies - AFP

NFT, cryptomonnaies, fan tokens: pourquoi et comment le sport se prend au jeu

Avec des valorisations globales XXL, le monde des cryptomonnaies, des fans tokens et des NFT s’installe de plus en plus dans nos vies même s'il reste mystérieux pour beaucoup. Le sport n’a pas manqué le virage, bien au contraire. RMC Sport vous propose une plongée dans ces nouvelles technologies et dans ce qu’elles apportent au milieu sportif.

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Connaissez-vous Oleksandra Oliynykova? Si vous n’êtes pas un mordu absolu de tennis, on en doute. Cette joueuse croate de vingt ans affiche le 619e rang au classement WTA. Mais son nom est connu pour autre chose: elle a vendu en avril… une partie de son bras – zone de 15x8 centimètres au-dessus du coude où l’acheteur peut inscrire tout ce qu’il veut, par exemple un tatouage représentant une marque – aux enchères contre trois Ethereums, une cryptomonnaie. Insolite, l’information a fait le tour de la planète. Mais Oleksandra Oliynykova va bien plus loin. Sa "bio" Twitter se lit en quelques mots: "La première joueuse de tennis 'tokenisée' au monde".

L’idée? Elle a mis en place un "jeu" nommé OliCrypto où vous achetez des "OLI Tokens", fan tokens (jetons pour fans, littéralement) obtenus via la cryptodevise Satoshi, plus petite unité de division d’un Bitcoin baptisé en hommage au créateur de ce dernier Satoshi Nakamoto, qui vous donnent des parts de sa carrière: "Les joueurs de OliCrypto vont partager les bénéfices accumulés, à travers l’argent gagné dans les tournois, les publicités, les contrats de sponsoring et d’autres opportunités". Mais aussi cogérer "les décisions importantes de sa carrière, de son planning de tournois à l’embauche ou au renvoi de coaches en passant par l’acceptation ou le rejet de contrats publicitaires". Bref, vous participez à la gestion de sa carrière "à travers des discussions, des commentaires et des votes" et touchez une partie de ses gains en tournois!

Bienvenue dans la nouvelle réalité d’un monde sportif qui a plongé tête la première dans l’océan des cryptomonnaies, fan tokens et NFT, nouvelles technologies devenues des phénomènes mais qui restent des mystères pour beaucoup dans le grand public. Trois actifs numériques développés sur la blockchain, un réseau de transactions maintenu par une "chaîne de blocs" entre des milliers d’ordinateurs à travers la planète – au lieu d’un seul serveur – et réputé infalsifiable et transparent car bâti sur un registre public accessible à tous et sécurisé qui contient l’historique des opérations. Les cryptomonnaies, symbolisées par le célèbre Bitcoin, sont "des monnaies virtuelles, immatérielles, développées à la suite de la crise financière de 2008", explique Julien Henrot-Dias, PDG et fondateur de Deskoin, une plateforme d’achat de cryptodevises.

"Ça a été développé par des cyberpunks, poursuit-il, avec un côté révolutionnaire: on n’a plus vraiment confiance dans les institutions bancaires, comment créer un système financier qui s’organise de pair à pair? Les monnaies virtuelles existent depuis longtemps, dans les jeux vidéo ou les casinos par exemple, mais la blockchain permet de les rendre disponibles au-delà d’un circuit fermé." Et d’éviter les arnaques. Les fan tokens, eux, sont des "jetons" supportés par la blockchain qui créent une relation plus forte et personnelle entre une entité et ses fans en offrant à ses acheteurs des récompenses et/ou une forme de pouvoir. Certains clubs ont ainsi permis à ceux qui avaient investi dans leur fan tokens de décider de la musique d’entrée des joueurs ou autres choses de cet ordre.

"Il a comme vocation de donner aux fans une parole active, un droit d’expression, précise Karl Toussaint du Wast, cofondateur du site Netinvestissement. C’est très attirant pour les fans absolus. Et ça permet d’écouter leurs attentes de consommateurs." Les NFT (non-fungible token ou jetons non fongibles), enfin, sont des objets numériques – image, vidéo, son, etc – dont l’authenticité unique peut être prouvée par leur enregistrement sur la blockchain, ce qui leur confère de la rareté et une notion d’œuvre de collection. Trois mondes qui explosent à des niveaux dingues ces derniers mois, à l’image du phénomène Sorare, start-up française qui cartonne en révolutionnant le monde des jeux de fantasy football.

Selon les données du site spécialisé CoinGecko, basées sur le suivi de 11.832 cryptodevises, la capitalisation boursière du marché mondial des cryptomonnaies atteint aujourd’hui 2000 milliards d’euros – avec près de 40% pour le Bitcoin et un peu plus de 20% pour l’Ethereum, les deux plus valorisées – après avoir connu le 9 novembre un pic à 2726 milliards qui représentait le triple de sa valeur en début d’année et une valorisation plus importante que celle cumulée des sociétés du CAC 40! Selon la BBC, les fans de foot auraient déjà dépensé plus de 310 millions d’euros dans les fan tokens. Et le marché des NFT, où un artiste américain (Beeple Crap, Mike Winkelmann) a vendu une œuvre aux enchères pour près de 60 millions d’euros en mars, a vu ses prévisions de ventes sur l’ensemble de 2021 monter en flèche pour atteindre 22 milliards d’euros selon un chiffre donné par Nicola Julia, PDG et co-fondateur de Sorare, dans un article pour Medium sur ses prédictions pour 2022.

"La puissance des NFT a été embrassée plus vite que les gens dans cette industrie ne s’y attendaient", précise le patron de la startup française. De quoi aiguiser l’appétit. "Les acteurs du sport, essentiellement les clubs, se sont créés une addiction aux revenus pour pouvoir dépenser plus, analyse Vincent Chaudel, spécialiste de l’économie du sport et cofondateur de l'Observatoire du Sport Business. Il y a une nouvelle forme de produits à vendre donc ils sautent sur l’occasion." Un mouvement renforcé par le Covid-19. "Si la pandémie a un côté positif, poursuit l’expert, c’est qu’elle a accéléré la transformation digitale du sport. Beaucoup y allaient à pas comptés. Là, ils n’ont pas eu le choix." De plus, enchaîne Vincent Chaudel, "ces produits digitaux permettent de faire abstraction de toute notion territoriale ou de distance. Un fan du PSG à Singapour peut être impliqué. Ça participe au mouvement de globalisation des grandes marques de sport. Sur les NFT, en plus, vous n’avez pas de problème de stock. C’est le produit merchandising idéal."

Les exemples, trop nombreux pour être tous cités, pullulent aux quatre voins de la planète sport ces derniers mois. Rayon cryptomonnaies, le site crypto.com a frappé fort en signant un contrat record estimé à 620 millions d’euros (payés en argent réel) pour reprendre le naming du célèbre Staples Center des Los Angeles Lakers, rebaptisé Crypto.com Arena ce 25 décembre. Plateforme de cryptodevises à la croissance la plus rapide au monde, qui possède sa propre cryptomonnaie (le CRO) pour aider à financer son développement, crypto.com est également engagé comme sponsor de l’UFC en MMA et lié au PSG via un contrat de sponsoring boosté par l'arrivée de Lionel Messi estimé entre 25 et 30 millions d’euros, montant le plus lucratif en dehors des marques présentes sur ses maillots.

Julianna Pena avec le sponsor crypto.com sur son t-shirt après sa victoire sur Amanda Nunes à l'UFC 269 en décembre 2021
Julianna Pena avec le sponsor crypto.com sur son t-shirt après sa victoire sur Amanda Nunes à l'UFC 269 en décembre 2021 © AFP

"Avec tout ça, crypto.com veut vulgariser et populariser la notion de cryptomonnaie, complète Karl Toussaint du Wast. Ils ont aussi pris l’acteur Matt Damon pour faire leur campagne de publicité et ils finiront par faire une pub au Super Bowl dans un an ou deux. On est en train de passer d’un univers de geeks à un univers populaire." Les cryptomonnaies sont aussi utilisées par les acteurs du sport. En janvier dernier, le club de troisième division espagnole DUX Internacional Madrid a signé l’attaquant David Barral (libre) en le payant en cryptodevise, une première qui permettait de mettre la lumière sur son nouveau sponsor, Criptan, société spécialisée dans l’achat et la revente de cryptomonnaies.

Combattant UFC depuis 2013, l’Américain Kevin Lee vient de signer avec Eagle FC, promotion fondée par Khabib Nurmagomedov, et son nouveau contrat sera également payé dans son intégralité en Bitcoins. "Kevin est déjà très investi dans les cryptomonnaies, précise son manager Marquel Martin, et ça permettra d’amplifier sa position sur ce marché." Mais aussi d’éviter les taxes sur le transfert bancaire, sa nouvelle organisation étant basée en Russie. Quelques joueurs de NFL (football américain) ont également négocié une partie de leur rémunération en cryptodevises. "Il y a un pari du joueur et de son agent de croire en une cryptomonnaie qui va potentiellement prendre de la valeur, analyse Karl Toussaint du Wast. La mode est lancée. Ils ont de l’avance aux Etats-Unis, comme d’habitude, mais l’Europe va suivre dans le foot. Le test avec Lionel Messi, ce n’est rien par rapport à ce qui arrive. Les jeunes joueurs et les stars de demain vont vouloir être en partie payés comme ça."

La chose avait beaucoup fait parler lors de la signature de l’Argentin au PSG l’été dernier: "La Pulga" toucherait un million d’euros sur ses 30 annuels nets en cryptomonnaie. Sauf que la chose ne se fait pas exactement en cryptomonnaie mais avec les fan tokens lancés par le PSG via Socios, plateforme qui organise leur vente initiale puis leur(s) revente(s) pour de nombreux clubs – vingt-quatre se sont déjà lancés sur ce marché ou pensent à le faire dans les cinq grands championnats européens – au point de représenter près de 260 des 310 millions d’euros jusque-là dépensés par les fans pour ces produits. Un jackpot pour Socios, qui ne dévoile pas combien les clubs touchent sur ces ventes: le fan token n’étant pas des cryptodevises, "dont le but reste d’être une monnaie d’échange contre des biens ou des services" (Karl Toussaint du Wast), ils nécessitent pour les acheter ou les vendre de passer par la cryptomonnaie de Socios nommée Chiliz.

De quoi inévitablement entraîner une spéculation sur ces actifs. Selon la société Protos, qui analyse ce marché, beaucoup d’investisseurs dans ces fan tokens sont là plus pour un éventuel profit que pour s’investir dans un club de cœur. "Le fan token n’a pas cette vocation mais il est spéculatif car tout est spéculation, les montres, les voitures, les paires de baskets. C’est la nature humaine", rappelle Karl Toussaint du Wast. "Ce sont des actifs très volatiles et les spéculateurs le savent et investissent ce champ pour ça, pointe David Canellis, directeur de l’information chez Protos. Je ne suis pas certain que les fans aient conscience de ce que ça implique en termes de volatilité." Socios précise que "l’immense majorité" de ces acheteurs reste composée de supporters heureux de s’impliquer dans la vie de leur club.

"Des gens vont être prêts à tout"

"Si je prends la Juventus ou Manchester United, des personnes vont spéculer dessus car ce sont des entités cotées en Bourse, rappelle Vincent Chaudel. Mais il y en a aussi qui vont acheter des actions pour détenir une part de leur club. C’est la même chose." "C’est inévitable, et il faut toujours qu’il y ait des spéculateurs car ce sont aussi eux qui apportent des liquidités, appuie Philippe Herlin, docteur en économie du CNAM et auteur de l’ouvrage Bitcoin: comprendre et investir. Maintenant, s’il y a 10% de fans et 90% de spéculateurs, les clubs passent un peu à côté de leur objectif." La fluctuation des prix des fan tokens s’explique aussi par un autre phénomène: les clubs détiennent la plupart de ces "jetons" plutôt que de les vendre aux fans, 80% en moyenne, ce qui peut perturber le système s’ils ouvrent trop les vannes. "S’ils vendent trop d’un coup, le prix peut s’écrouler, on l’a vu avec la Lazio, Porto, Santos et Manchester City", appuie David Canellis.

Au point de les voir calculer leur coup pour que ça rapporte? "Le PSG n’a vendu que 16 % de la totalité des vingt millions de tokens qu’ils ont prévu d’émettre. On n’est qu’au tout début et je ne sais pas ce qu’ils vont en faire. Mais je ne pense pas que la réflexion des clubs sera de faire du profit derrière, estime Karl Toussaint du Wast. Leur business model ne repose pas sur la spéculation crypto." La valeur des fan tokens de la Juventus ou de Trabzonspor a augmenté de 292% et 237% depuis leur introduction. A l'opposé, ceux de Manchester City ou de la Lazio, qui sont comme on l'a vu parmi les clubs à avoir généré le plus de ventes du genre avec Porto et Santos, ont respectivement baissé de 62 et 78%.

Pour celui du PSG, en hausse globale de 140% depuis son lancement en juin 2020, la signature de sa nouvelle star n’a pas eu l’effet auquel on aurait pu s’attendre. Sa valeur a d'abord profité de l'effet Messi pour augmenter et atteindre son pic. Avant de prendre le chemin inverse. "Depuis que Messi est arrivé, la valeur du PSG Token a baissé, constate Karl Toussaint du Wast. Cela n’a pas de rapport mais c’est drôle sur le timing." A terme, s’il augmente, l’Argentin sera toutefois gagnant. "Cela l’invite à embarquer ses nombreux fans dans cette relation au club car une inflation lui profite", pointe Vincent Chaudel. Avec un autre effet bénéfique: la flat tax (impôt à taux unique) de 30% sur les plus-values sur les actifs numériques. "Le club, qui paye son impôt sur le revenu, a moins de charges sur cette partie, analyse Philippe Herlin. C’est comme si le PSG lui donnait des actions du club donc cette taxe limitée à 30% s’applique. Si Messi veut revendre directement les tokens pour avoir des euros, il n’aura que ça à payer." Une imposition qui n’interviendra pas avant la revente, permettant de spéculer à long terme.

En pleine expansion, ce marché n’a sans doute pas fini de surprendre dans ce qu’il va pouvoir proposer aux supporters. "Si on se projette dans deux-trois ans, on pourrait par exemple voir des accords pour des choses avec le jeu vidéo FIFA, prophétise Karl Toussaint du Wast. Celui qui détiendra le plus de fan tokens du PSG pourra en convertir tout ou partie en échange de quoi il aura son propre avatar dans l’effectif du club. Ce ne sera pas juste créer son personnage chez soi. FIFA lui permettra d’être dans l’effectif parisien pour les joueurs le monde entier. Ce sera un enjeu économique fort car des gens vont être prêts à tout pour pouvoir être dans ces trucs."

Un dunk à 180.000 euros

Du côté des NFT, où les projets foisonnent également dans le sport ces derniers mois, l’imagination est elle aussi de mise. "Cette technologie rend la réflexion déclinable à l’infini, explique Vincent Chaudel. La limite, c’est la créativité des gens." En France, le LOSC a profité de son récent titre en Ligue 1 pour reprendre le rituel des bagues offertes aux champions dans les sports US et créer quatre bagues virtuelles, hommage à ses sacres nationaux de 1946, 1954, 2011 et 2021, mises en vente aux enchères et qui ont vite trouvé preneur pour un gain de 25.000 euros pour le club lillois. De nombreux clubs ont surfé sur cette vague, de la Juventus aux Rangers en passant par Manchester City ou le PSG. Ce dernier a ainsi mis en vente en avril des dizaines de petites figurines imaginées par l’artiste parisien Ludo et présentées comme des "trophées numériques". Lionel Messi a lui aussi suivi avec des NFT en collaboration avec la plateforme Ethernity et l’artiste Bosslogic, qui a signé une œuvre nommée "l’homme du futur" le représentant version bionique.

De son côté, Sorare base tout son jeu de fantasy sur l’achat de NFT. Une de ses cartes représentant Cristiano Ronaldo s’est ainsi vendue contre 255.000 euros. Et son chiffre d’affaires devrait approcher les 100 millions d’euros en 2021 contre… 35.000 en 2019, le tout avec quelques investisseurs nommés Antoine Griezmann ou Gerard Piqué. Dans la boxe, le champion WBC des lourds Tyson Fury a lancé sa série de NFT (des images créées par un artiste) dont la plus rare permettait de recevoir en plus une peinture de 1,50m x 1,50m, des gants signés et une vidéo personnelle enregistrée par le "Gypsy King". En MMA, le combattant français d’origine tchétchène Ramzan Jembiev a vendu un NFT qui permet à son acheteur d’être "invité avec une personne de son choix à vie pour assister à (s)es combats, toute (s)a carrière jusqu’à la fin".

Dans le tennis, où Gaël Monfils a demandé des conseils sur les réseaux sociaux avant d’investir dans un jeu basé sur des NFT à collectionner appelé Mooning Monkey, le joueur français Nicolas Mahut vient de mettre en vente aux enchères une réplique digitale d’un tableau de l’artiste Kamal Hill à son effigie au profit d’une association qui finance les rêves d’enfants malades. Dans le basket, où Stephen Curry vient de lancer une collection de NFT suite à son record du nombre de tirs à trois points réussis en carrière en NBA, cette dernière s’est associée à la société canadienne Dapper Labs pour une série de NFT "Top Shot Moment" qui a vu une séquence vidéo d’un dunk de LeBron James se vendre contre 180.000 euros. Et ce n’est que le début… "Nike, par exemple, a acheté des terres dans le Metaverse, le monde virtuel notamment mis en place par Facebook, pour pouvoir faire une boutique pour que vous puissiez customiser votre avatar avec des chaussures qui seront des NFT", ajoute Karl Toussaint du Wast.

Mais il y a de la nuance. Les recherches de la société Protos montrent ainsi que la valeur des NFT "Top Shot Moment" de la grande ligue de basket US ont chuté en tout de… 90% depuis début 2021! Si certains toucheront le jackpot, les spécialistes préviennent: il ne faut pas acheter des NFT dans le seul but de gagner de l’argent car le retour de bâton peut faire mal. Mais cela peut permettre de vivre des expériences. A l’image d’un Sorare qui a fait gagner des NFT offrant une place au Bernabeu pour le clasico Real-Barça, l’idée est de lier l’achat de NFT ou de fan tokens à des expériences dans le monde réel. "Je veux croire que la relation aux fans va être ‘phygital’, note Vincent Chaudel, c’est-à-dire à la fois du digital et à la fois une partie physique, des choses que la monnaie traditionnelle ne m’aurait pas offert comme par exemple un joueur qui m’envoie une carte pour mon anniversaire."

"S'il faut les contenir, c'est maintenant"

Certains clubs offrent aussi une réduction sur des achats dans la boutique en ligne aux détenteurs de fan tokens pour renforcer la fidélisation des fans autour du concept. S’il faudra sans doute aller plus loin dans ce que les clubs proposeront dans le futur, aucun doute, le mouvement est là pour s’installer. Et des questions se posent. Celle de la législation, d’abord. Ou plutôt de son absence antinomique à la taille de ce marché. "Aujourd’hui, c’est le far west, confirme Vincent Chaudel. Les Etats ne s’en sont pas trop préoccupés. Mais le gouvernement américain, par exemple, commence à réagir car le frapper monnaie était jusqu’ici l’apanage des Etats. Ils ont déjà un problème avec la surpuissance des GAFA. Mais là, si on commence à utiliser ces monnaies, c’est un peu tout le commerce mondial qui est remis en cause. La réflexion cryptomonnaie s’est développée entre geeks mais elle pose aujourd’hui question au niveau politique. Selon la façon dont les Etats vont régler le sujet, ça pourrait mettre une certaine limite à ce développement. S’il faut les contenir, c’est maintenant. Après, ce sera trop tard, la bête sera devenue trop grosse."

"Aucun Etat ne peut arrêter ça car c’est décentralisé, veut croire Julien Henrot-Dias. Ce n’est pas un marché régulé même si les acteurs le sont de plus en plus, comme c’est le cas depuis 2019 si tu opères en France, où on doit par exemple toujours demander la pièce d’identité pour un acheteur." Qui tacle certaines critiques: "Le système bancaire tente de mettre un œil noir sur les cryptomonnaies avec le blanchiment alors qu’il n’y en a moins que dans le système classique". Alors, verra-t-on à terme des transferts à haut montant en cryptomonnaie dans le football? "Il n’y a aucun frein techniquement, analyse Karl Toussaint du Wast. On en revient à la maturité du président du club par rapport à ça. Si le patron n’a pas cette culture ou qu’il n’y croit pas, il n’y sera pas sensible. Mais je suis sûr que ça va venir." "Quelque part, aujourd’hui, quand on dit: 'Je vous vends ce joueur-là pour 30 millions et on fait 50-50 sur la revente', c’est bien une partie spéculative, pointe Vincent Chaudel. On peut mettre le même principe de spéculation via la cryptomonnaie."

Une affiche qui fait la promotion du Bitcoin en novembre 2021 à Los Angeles
Une affiche qui fait la promotion du Bitcoin en novembre 2021 à Los Angeles © AFP

Le retour d’une forte inflation à travers la planète et la "fonction de réserve de valeur (Julien Henrot-Dias) du Bitcoin, limité à 21 millions d’unités et pas touché par l’effet planche à billets, pourraient également aider à lancer le mouvement. Autre interrogation qui découle de tout ça: plus de sportifs vont-ils se "tokeniser" comme Oleksandra Oliynykova? "S’ils sont prêts à le faire et que leur communauté de fans suit… C’est l’avenir, estime Karl Toussaint du Wast, dans le sens où le concept initial du Bitcoin était de redonner le pouvoir à l’utilisateur. Cette joueuse de tennis, c’est elle qui définit les règles, personne d’autre." "Ce principe de ‘tokenisation’ marche déjà dans l’immobilier, précise Philippe Herlin. Il peut s’appliquer à des sportifs qui génèrent des revenus. Si un sportif très connu le fait, ça entraînera un effet boule de neige chez tous les autres. On élimine les intermédiaires, souvent opaques et qui prennent des commissions importantes. On pourrait aller dans ce sens."

Une élimination d’intermédiaires à différents niveaux. "Avec le smart contract, qui encadre les conditions commerciales et d’exploitation d’un NFT, je n’ai plus besoin d’avocat pour défendre mes droits d’auteur car on ne m’a pas payé, explique Karl Toussaint du Wast. Ce smart contract peut préciser que chaque fois que mon NFT est vendu, je vais toucher 20% de royalties automatiquement et 80% du prix reviendra au vendeur. Je peux même écrire sur le contrat que ces 20% iront à mes enfants après cinquante ans puis à la Fondation L’Abbé-Pierre vingt ans plus tard. Ça se fera automatiquement, même si vous êtes mort." Mais tous les acteurs du sport ne seront pas égaux devant cette manne. "On comprend que le PSG utilise les NFT car c’est une marque mondiale, répond Vincent Chaudel. Mais à mon avis, des Rodez ou Niort n’y seront pas tout de suite. Ce mouvement suppose qu’il y ait une taille de marché suffisante pour mettre en place ces projets."

"Il va y avoir des échecs, des morts"

Les cryptodevises, les fan tokens et les NFT, qui permettent de toucher une population plus jeune, plus internationale et plus connectée, investissent le sport. Qui aide de son côté à les démocratiser. Avec un risque de bulle qui finit par exploser, logique vu le nombre de projets qui se développent en ce moment. "Je m’attends à ce que la plupart des projets NFT s’écroulent comme cela s’est passé lors de l’explosion d’internet, écrit Nicolas Julia, patron de Sorare. Mais cela n’enlève rien à la tendance de fond et si vous choisissez des projets construits pour le long terme, vous trouverez l’équivalent du Amazon de la bulle internet. Les NFT font désormais partie de notre culture et s’ils ne survivront pas tous, nous verrons à coup sûr des projets qui garderont de la valeur pour les siècles à venir." Vu ses points forts, sa société a tout pour en faire partie.

"Il ne restera que 5 ou 10 % des projets, on le sait, annonce Karl Toussaint du Wast. Sorare ou crypto.com seront toujours là. Les sociétés comme crypto.com vont remplacer les banques, qui sont en train de passer à côté. Un autre site similaire, Coinbase, qui est le plus gros succès d’introduction en Bourse depuis Facebook, a une valorisation boursière supérieure à celle de la BNP. C’est le carton de l’année." "Il va y avoir des échecs, des morts, des projets intéressants sur le papier mais qui ne vont pas trouver leur marché, confirme Vincent Chaudel. Il ne faut pas faire croire aux gens que dès que j’utilise les lettres NFT, j’ai gagné au Loto. A un moment, on saura mieux évaluer les projets. La bulle va se dégonfler et seuls ceux avec une véritable création de valeur vont ressortir." "Il va y avoir beaucoup d’imagination pour transformer la passion sportive en argent, conclut Philippe Herlin. Il faudra juste être malin dans ses investissements."

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport