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Cristian Brocchi, ex entraîneur de Monza, passé par le banc de l'AC Milan

Cristian Brocchi, ex entraîneur de Monza, passé par le banc de l'AC Milan - Icon Sport

Cristian Brocchi : "Donner trop d’importance au résultat, ça va contre le développement des jeunes"

Il a passé trois années à entraîner Manuel Locatelli et Gianluigi Donnarumma dans les équipes de jeunes de l’AC Milan. Devenu coach grâce à un coup de fil d’Adriano Galliani, Cristian Brocchi est un témoin privilégié pour parler des deux nouveaux champions d’Europe. De sa carrière de technicien à l’importance d’accorder sa confiance aux jeunes joueurs, en passant par une possible arrivée dans un club français, l’entraîneur de 45 ans se livre pour RMC Sport.

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Cristian Brocchi, quand vous avez arrêté votre carrière de joueur, vous avez immédiatement commencé un parcours d’entraîneur. Cette reconversion était-elle si évidente que cela?

Sincèrement, je ne l’avais pas imaginé à quelques années de la fin de ma carrière de joueur. Les entraîneurs que j’ai croisés m’avaient toujours dit que je deviendrai entraîneur, parce que sur le terrain, j’étais un milieu qui comprenait le jeu. Mais je n’avais pas ça en tête. C’est Adriano Galliani qui m’a appelé le lendemain de l’annonce de ma retraite en raison d’une blessure. Il m’a demandé si je souhaitais débuter un parcours d’entraîneur dans les équipes de jeunes du Milan. C’était une main tendue en raison de l’affection qu’il me portait et aussi parce que j’avais passé 20 ans dans le club, entre le centre de formation et l’équipe première.

Les entraîneurs voyaient en vous un futur de technicien. A l’inverse, de quelles idées vous êtes vous nourri au départ? Vous avez eu Ancelotti, Lippi, Prandelli, Petkovic…

Cesare Prandelli a été un entraîneur important pour moi. Sur le plan tactique, je dis souvent que je me sens plus proche de Prandelli, que j’ai connu à la Fiorentina. Quant au management, c’est de Carlo Ancelotti que je m’inspire. J’ai eu de bons maestri.

Tout va très vite à Milan pour vous. En moins de trois ans, vous passez des équipes de jeunes à l’équipe première. Vous remplacez Sinisa Mihajlovic en avril 2016. Avec un peu de recul, comment jugez-vous cette expérience? C’était une époque où Milan "consommait" beaucoup d’entraîneurs : vous, Pippo Inzaghi, Clarence Seedorf…

Cela aurait été plus confortable de débuter avec ce groupe lors d’une intersaison, en juin-juillet, juste avant que la saison commence. D’ailleurs, il était prévu que je débute la saison 2016-2017 avec l’effectif professionnel. Mais le président (Silvio Berlusconi, ndlr) a décidé de changer à quelques journées de la fin de la saison 2015/2016 et je suis arrivé à la tête de l’équipe première. On a eu beaucoup de difficultés, l’équipe n’était pas dans un bon moment sur le plan des résultats. Arriver à deux mois de la fin de la saison n’est jamais facile. Mais toutes les expériences t’enseignent des choses. Pour moi, c’était une expérience difficile mais très formatrice. Plus un entraîneur entraîne, plus il accumule les expériences, plus il réussit à connaître les dynamiques fondamentales qui te servent dans une carrière et que tu n’as pas au début.

Mario Balotelli et Cristian Brocchi avec l'AC Milan en avril 2016
Mario Balotelli et Cristian Brocchi avec l'AC Milan en avril 2016 © ICON Sport

Après Milan et Brescia, vous devenez l’adjoint de Fabio Capello en Chine… on parlait de maestri tout à l’heure, on est en plein dedans avec Capello…

Ça a été une expérience fondamentale! J’ai vécu plusieurs mois aux côtés de l’un des meilleurs entraîneurs de l’histoire du football. Il m’a enseigné tant de choses. J’ai vu comment il se comportait avec les dirigeants, comment il gérait ses joueurs. Aller à l’étranger est une très belle expérience, car on découvre une nouvelle culture, il y a une obligation d’adaptation à des joueurs qui ont une culture, une méthodologie de travail et un mode de vie totalement différents de ce que tu connais. Et cette expérience, je l’ai en plus vécue avec un entraîneur qui m’a beaucoup appris sur ce métier.

L’école italienne est encore très réputée dans le monde. Qu’est-ce qui fait que les entraîneurs italiens sont souvent cités en exemple?

En Italie, on s’occupe beaucoup des aspects tactiques. Du coup, les entraîneurs italiens sont extrêmement bien préparés sur ce plan là. Selon moi, quand ils vont à l’étranger, ils réussissent très bien à combiner cette expérience et ces connaissances tactiques développées en Italie avec les qualités physiques et techniques qu’ils trouvent dans d’autres réalités à l’étranger. Cela me semble être un mix parfait au haut niveau.

Vous venez de quitter Monza, que vous avez ramené en Serie B et failli porter en Serie A en juin… mais avec ces playoffs, tout peut être redistribué. Les instances justifient souvent la mise en place de ce système par la volonté de spectacle. Mais en tant qu’entraîneur, quand on arrive troisième à la fin de la saison régulière, on s’attend à fêter la montée… est-ce injuste?

Oui, c’est vrai et en plus, le facteur "maison" (l’organisation des playoffs fait que le mieux classé à l’avantage de jouer le retour à la maison) n’existe pratiquement plus aujourd’hui. Ce n’est plus comme à une certaine époque. Sans compter que la règle du but à l’extérieur peut disparaître de toutes les compétitions. Quand une équipe fait un bon championnat, comme nous l’avons fait la saison passée (3e avec 64 points ; + 8 points sur le 8e et dernier qualifié pour les playoffs), c’est vraiment dommage de rater l’accession en Serie A sur des matches de playoff. On a été éliminés en demi-finale de playoff pour un but (défaite 3-0 à Cittadella, victoire 2-0 à domicile, ndlr). On a fait une saison incroyable en tant que promus en Serie B, même si le mercato avait été ambitieux. Mais ce n’est pas arrivé souvent de gagner la Serie C puis la Serie B la saison suivante. Cela a été une très belle saison, mais il a manqué ce petit quelque chose pour la transformer en saison de rêve.

Dans son organisation, son ambition et son environnement, Monza est quasiment un club de Serie A désormais mais évolue en Serie B. C’est donc une expérience importante pour vous, une saison où il a fallu être sur tous les fronts.

Mes trois ans à Monza valent peut-être six ans dans une autre réalité de deuxième division, en raison de la pression qu’il y avait sur cette équipe, des ambitions des dirigeants, mais aussi de la pression médiatique. Être à la tête de l’équipe de Silvio Berlusconi et Adriano Galliani te donne une exposition médiatique très forte. Ces trois ans ont été très importants pour moi.

Cela se ferait sans vous, évidemment, mais Monza en Serie A la saison prochaine, on peut y croire?

Le club a tout pour monter en Serie A à l’issue de cette saison. Contrairement à la saison passée où l’équipe avait complètement changé, là, le socle est identique avec des joueurs qui se connaissent bien. C’est plus simple car tu ne recommences pas à zéro. Ils ont aussi recruté des joueurs talentueux à des postes qui le nécessitaient. Je pense que c’est la bonne année pour monter en Serie A et continuer sur la base de l’année dernière.

Faisons un flashback de vos années milanaises. Le travail avec les jeunes n’est pas toujours valorisé en Italie. La victoire de l’Euro avec certains jeunes, le travail de Roberto Mancini qui a pu s’appuyer sur ce qu’ont fait des clubs comme Sassuolo et l’Atalanta, cela rend-il l’entraîneur que vous êtes optimiste quant à l’utilisation des jeunes joueurs dans le foot italien de haut niveau?

En Italie, c’est très difficile pour eux. Il y a de grandes marges de progression dans la gestion des jeunes. Chez nous, on entend souvent ce discours d’une confiance qu’il faut accorder aux jeunes, du temps de jeu à leur donner, mais au final, la seule réalité qu’on regarde est le résultat. Et quand tu donnes trop d’importance au résultat, cela va contre le développement et la formation des jeunes joueurs. Quand j’étais à Milan, je travaillais avec les Calabria, Locatelli, Donnarumma, Cutrone. À ce moment là, on ne regardait pas trop les résultats, même si l’enseignement de la victoire est toujours important. On cherchait à les former pour qu’ils deviennent des joueurs de l’équipe première, pas pour avoir des résultats en terme de classement final. C’est très important.

Accorder sa confiance, donner du temps de jeu, cela peut amener de bons résultats. On l’a vu cette saison avec Davide Calabria qui a été installé titulaire sur le flanc droit de la défense du Milan. Ce n’est plus le même joueur. C’est bien la preuve que même dans une réalité aussi compliquée et ambitieuse que Milan, des jeunes talentueux ont leur place…

Je pense qu’il faut donner la possibilité aux jeunes de faire des erreurs pour les faire progresser et faire en sorte qu’ils deviennent de bons joueurs professionnels plus tard. Il faut leur offrir un contexte d’épanouissement et de progression. On ne doit pas se contenter des qualités qu’ils ont déjà à un instant t. Tous les jeunes font des erreurs et c’est bien normal. Il ne faut pas les accabler ou les juger sur ces erreurs. Il faut leur enseigner que cela fait partie du processus et qu’il faut savoir oublier ces erreurs pour avancer.

Donnarumma a lui aussi fait des erreurs à ses débuts au Milan…

Je me souviens d’un match important quand il avait 14 ou 15 ans, avant qu’il ne devienne professionnel. Il avait fait une grosse erreur qui avait coûté un but. À la fin du match, il était tellement énervé par son erreur qu’il en pleurait de rage. Je lui avais expliqué que la plus grande qualité qu’il devait avoir était de faire une erreur, de l’oublier dès le lendemain et repartir à l’entraînement pour progresser. Je lui ai dit : "tu en feras d’autres, ne t’inquiète pas, plus tu réussiras à accepter que tu peux faire des erreurs, plus tu deviendras un gardien de très haut niveau." C’est ça, la vérité. Tous les gardiens font des erreurs, même les plus forts du monde. Mais les plus grands font des erreurs, les oublient et repartent le lendemain comme s’il ne s’était rien passé.

Gianluigi Donnarumma saluant Gianluigi Buffon en novembre 2015
Gianluigi Donnarumma saluant Gianluigi Buffon en novembre 2015 © ICON Sport

Quand on travaille avec un jeune, on commence par s’appuyer sur ses qualités ou on cherche à élargir sa palette avec ce qui lui manque?

Quand j’ai commencé à travailler avec Manuel Locatelli, tout le monde disait que c’était un super jeune et on voyait qu’il avait un truc en plus que les autres n’avaient pas. Je répétais qu’il n’avait pas encore ce qu’il fallait pour devenir un futur champion. Donc on a mis en place un travail pour l’aider à devenir ce joueur-là.

En quoi cela consistait-il?
Beaucoup de discussions pour lui expliquer que ce qu’il faisait de bien à notre niveau ne suffisait pas pour jouer en équipe première. On a été exigeants. C’est vrai qu’avec la Primavera, ou même les deux années précédentes avec les Allievi (U16/U17), il était le meilleur à chaque match, mais il ne fallait pas se contenter de ça pour espérer jouer à l’étage supérieur. Parce qu’il aurait fait la même chose en équipe première, avec les mêmes qualités, mais cela n’aurait pas suffi pour émerger. On l’a beaucoup fatigué à l’entraînement. J’ai souvent utilisé un terme avec lui : "il faut te salir le short". Parce qu’il y avait beaucoup de matches où il n’avait pas besoin de se faire mal car il était déjà meilleur que les autres. Il a commencé à le comprendre, il s’est mis à travailler plus durement, cela a renforcé sa personnalité et quand il est arrivé en équipe première, il était prêt.

Comment jugez-vous son évolution?

Il a énormément progressé. Il a eu la chance de tomber sur un entraîneur de qualité comme Roberto De Zerbi, qui a une vision du jeu très similaire à la mienne, c’est à dire avoir des joueurs de qualité qui aiment avoir le ballon dans les pieds, avoir une possession de balle importante tout en cherchant à être les patrons sur le terrain, à être proactifs et à déstabiliser le bloc adverse à travers notre idée de jeu. Locatelli est un joueur qui doit être au centre du jeu. Il doit toucher le ballon. Donc s’il évolue sous les ordres d’entraîneurs qui lui donnent la possibilité d’être au centre de tout, ses qualités apparaissent très vite.

C’est dommage pour le football italien de voir De Zerbi hors de ses frontières désormais...

Pas pour lui. Je pense que cela peut ouvrir aussi la voie à d’autres entraîneurs italiens. Pour moi, il a fait le bon choix. Je te fais une confidence. Cet été, j’ai eu la possibilité de venir entraîner en France, cela ne s’est pas fait pour des détails et c’est bien dommage. Ça me plairait également d’avoir une expérience à l’étranger comme entraîneur principal. Pour De Zerbi, cette expérience sera importante.

Puisqu’on parlait de donner la possibilité aux jeunes joueurs de faire des erreurs, c’est aussi un discours que tient De Zerbi: "Je ne m’énerve pas après un joueur s’il rate, je m’énerve s’il n’ose plus retenter ce geste le lendemain par peur de rater"…

Je dis toujours à mes joueurs: "ça ne m’intéresse pas si tu rates quelque chose. Avec moi, tu continueras à jouer si tu tentes des choses que je te demande de faire." Si le jeune arrive à un point où il n’ose plus rien faire par peur de rater, alors il ne progressera pas. Il y a déjà assez de barrières dans le foot pour ne pas s’en rajouter.

Vous vous êtes régulièrement appuyé sur des jeunes joueurs. La saison passée à Monza, il y avait Frattesi, Dany Mota, Pirola, Carlos Augusto... tous avaient moins de 23 ans.

Sur le papier, on avait l’effectif le plus âgé de la Serie B. À la fin de la saison, avec le temps de jeu de chacun, on était la 4e plus jeune équipe de ce championnat. Ça me plait de faire jouer des jeunes joueurs qui ont de belles qualités.

Davide Frattesi est un joueur très intéressant. Il avait été excellent à Empoli lors de la saison 2019-2020 et a été très important dans votre équipe de Monza la saison passée. Il n’a que 21 ans…

On peut faire un peu le même discours qu’avec Locatelli. Il avait déjà d’énormes qualités, mais il lui manquait cette compréhension du jeu, l’orientation du corps, le fait d’être concerné à chaque moment par les mouvements des autres avec ballon. C’était plus un joueur d’instinct. Et cette saison, il a beaucoup progressé sur tous ces aspects. Il était toujours au centre du jeu, il cherchait le ballon. Il a franchi le cap qui doit lui permettre de jouer en Serie A, qui est le championnat qui correspond désormais à son niveau.

Vous étiez là quand Donnarumma et Locatelli débutaient leur carrière. Ils ont gagné l’Euro. Il y a un peu de fierté de les avoir accompagnés et de les avoir fait progresser?

Manuel Locatelli tout juste sacré champion d'Europe avec l'Italie devant l'Angleterre à Wembley, le 11 juillet 2021
Manuel Locatelli tout juste sacré champion d'Europe avec l'Italie devant l'Angleterre à Wembley, le 11 juillet 2021 © Carl Recine © 2019 AFP

Je suis sincère, je suis extrêmement heureux pour eux. Voir ces garçons avec qui tu as travaillé plus tôt devenir champions d’Europe est une satisfaction incroyable. C’est normal d’être ému en tant qu’Italien de voir Donnarumma et Locatelli gagner l’Euro, en me souvenant qu’ils ont passé trois ans avec moi. Mais je suis lié à tous ceux que j’ai entraînés. Une de nos missions comme entraîneur est de faire progresser nos joueurs. Il y a beaucoup de jeunes qui ont progressé avec moi, ils n’ont peut-être pas tous eu le même talent que Locatelli et Donnarumma, mais ils me donnent quand même des émotions en jouant en Serie B ou Serie C.

Quel sera l’avenir de Cristian Brocchi ?

J’espère qu’une occasion se présentera rapidement pour faire ce que j’aime le plus, entraîner. J’aimerais trouver un club qui me fera confiance et me donnera la possibilité de travailler avec des jeunes joueurs pour les faire progresser, les faire jouer en équipe première comme je l’ai fait à Monza la saison passée avec Frattesi, Mota, Pirola, Augusto… J’aime ces clubs qui misent sur les jeunes joueurs, où je peux amener ma vision du football qui est d’avoir une équipe qui domine le jeu et prend des risques.

C’est un discours qui plairait à beaucoup de clubs français qui doivent miser sur la formation, autant pour des logiques sportives qu’économiques…

Sans te dire l’équipe avec qui j’étais en négociation cet été, par correction, c’est avec ce club français que j’ai eu la meilleure réunion depuis que je suis entraîneur. J’ai trouvé des dirigeants bien préparés, avec une idée précise de ce qu’ils voulaient, avec une vision du football très proche de la mienne. Je suis vraiment déçu que nous n’ayons pas réussi à trouver un accord.

Vous retrouverez peut-être dans quelques temps votre ancien entraîneur à la Lazio, Vladimir Petkovic, aujourd’hui à la tête des Girondins…

C’est un excellent technicien. Malheureusement, je ne l’ai eu qu’à la fin de ma carrière, à la Lazio, quand j’étais déjà blessé. Je n’ai pas eu le temps de beaucoup travailler avec lui. Mais c’est un très bon entraîneur, une personne merveilleuse. Je pense qu’il fera du bon boulot à Bordeaux. C’est un entraîneur que j’estime beaucoup.

Johann Crochet