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Coupe d’Europe: fatigue, logistique, écologie... Pourquoi l’arrivée des franchises sud-africaines pose question

L’intégration de cinq franchises sud-africaines en Champions Cup et Challenge Cup la saison prochaine soulève de nombreuses questions et polémiques. Aussi bien sur le format, la logistique, le coût de ces longs déplacements et les retombées sur l’environnement. RMC Sport fait le bilan.

Quelle formule pour la prochaine édition?

Le format ne va que très peu évoluer. Comme ces derniers mois, 24 équipes seront engagées en Champions Cup: avec toujours huit représentants du Top 14, huit clubs anglais et huit équipes du United Rugby Championship d’où seront issues les Stormers du Cap, les Bulls de Pretoria et les Sharks de Durban. Deux poules de douze clubs seront maintenues, avec l’ambition de disputer la finale le 20 mai 2023 à Dublin.

"C’est le même format, nous a confirmé Yann Roubert, président du LOU et membre du comité directeur de l’EPCR. Il a bien fonctionné cette année avec de beaux moments de rugby. Chaque club français jouera en aller-retour contre un anglais et un club issu de l’URC, qui sera soit gallois, irlandais, écossais, sud-africain ou italien. Il n’y aura pas de confrontation intra-ligue en phase de poule."

En revanche, la Coupe d’Europe ne sera plus étalée sur neuf dates, mais huit. Une de moins donc puisque les huitièmes de finale se joueront sur un match sec, et non plus en aller-retour, début avril. Avec les franchises sud-africaines, les Ligues et l’EPCR, organisateur de la compétition, estiment que le niveau sportif sera encore plus relevé.

"C’est une excellente chose pour rendre cette compétition encore plus excitante tant d’un point de vue de l’histoire que d’un point de vue sportif, souligne à RMC Sport Lucien Simon, vice-président de la LNR. L’Afrique du Sud se trouve dans le même créneau horaire, et c’est très important. C’est une des raisons déterminantes pour qu’elle intègre la compétition." Du côté de l’EPCR, on ne cache pas son impatience. "Il faut innover et repenser les formats, ré-elever et densifier le niveau, nous disait le DG Anthony Lepage jeudi. Que les champions du monde soient sans compétition internationale de club, c’est une anomalie." Il sera temps ensuite de basculer sur une Coupe du monde des clubs tous les quatre ans…

Un casse-tête logistique avec l’intégration des Sud-Africains?

Pour beaucoup, l’arrivée des cinq équipes sud-africaines (trois en Champions et deux en Challenge) s’annonce comme un vrai casse-tête. Comment les clubs vont s’organiser? "Les équipes partiront a priori une semaine, explique Roubert. L’idée est de faire un déplacement de cinq ou six jours plutôt que de 48 heures comme on le fait habituellement en Coupe d’Europe. C’est évidemment plus contraignant mais on pense que l’attrait sportif que vont amener les Sud-Africains dépasse les contraintes logistiques qui sont réelles mais calibrées à l’avance. Peut-être qu’on pourra mixer des avions d’équipes françaises et anglaises qui iront là. Cinq clubs se déplaceront en Afrique du Sud au total en Champions Cup et Challenge Cup."

Qui paiera les frais supplémentaires de déplacement?

Evidemment, partir en Afrique du Sud sera plus onéreux que d’aller dans une capitale européenne. Qui va payer la différence? René Bouscatel, le président de la Ligue Nationale de Rugby, a tenu à prévenir les dirigeants du Top 14 en début de semaine. "Sur ce point, soyez assurés que le sujet est traité avec le plus grand soin afin que les équipes concernées soient placées dans les meilleures conditions de transport et d’accueil, sans coût additionnel", écrit-il dans un courrier que RMC Sport s’est procuré.

"Les frais supplémentaires seront couverts par l’EPCR, confirme Yann Roubert, notamment par l’apport des droits télévisuels qui vont avec. Ça ne coûtera pas plus qu’un déplacement en Irlande par exemple. Avec ce changement, l’intérêt est sportif mais aussi médiatique avec quasiment tous les champions du monde qui entrent dans les deux compétions européennes." Pour savoir qui seront les clubs concernés, il faudra attendre le tirage au sort des poules, a priori effectué le 28 juin.

Des joueurs encore plus fatigués?

La saison très chargée, en particulier pour les joueurs français, éprouve déjà fortement les organismes. Autant dire que l’ajout de déplacements lointains inquiète. Depuis l’officialisation jeudi matin, les critiques sur ce point sont nombreuses. "On va dire que c'est exotique mais je suis quelqu’un de traditionnel, regrettait ainsi Olivier Azam, l’entraîneur des avants du MHR. Je comprends l’intérêt financier mais pour nous, les clubs de Top 14, je ne vois pas ce que cela nous amène à part un calendrier plus compliqué. A un an de la Coupe du monde ce n’est pas une bonne solution, je pense que cela va grincer des dents."

Un peu partout, les critiques se sont multipliées, alors même que, selon les informations de RMC Sport, René Bouscatel avait demandé aux présidents d’être "tous au soutien de l’EPCR pour créer un climat positif autour cette annonce". A l’image du Rochelais Vincent Merling, le président des nouveaux champions en titre, certains ont publiquement fait part de leur désaccord.

Les joueurs ne seront-ils pas plus fatigués? "C’est la question qu’il faut se poser et à laquelle on n’aura des réponses que dans quelques mois, reconnait Roubert. Mais c’est vrai qu’avoir 10 heures d’avion plutôt que trois, c’est évidemment différent. Tout va être fait pour ce que soit dans les meilleures conditions et sur la durée même s’il n’y a pas de décalage horaire afin d’avoir le temps de récupération qui va avec. Encore une fois, les joueurs vont se confronter à ce qui se fait de mieux, avec un intérêt sportif. Concernant les critiques, le changement est toujours inquiétant, ça fait toujours un peu peur. Avant de juger, attendons de voir." Et Lucien Simon d’ajouter: "je vous rappelle qu’il y a eu des clubs russes par le passé et c’était autrement plus fatigant qu’un voyage en Afrique du Sud. Aucune équipe ne fera le déplacement en bus, vous pouvez être rassuré (rire)." Pour Anthony Lepage, "ce sera un long déplacement mais surtout une expérience pour les clubs afin de les faire grandir".

Et le bilan carbone?

Ces longs déplacements aériens sont aussi critiqués depuis quelques heures pour leur impact sur l’environnement. L’écologie a-t-elle été oubliée dans ce dossier? L’ancien deuxième ligne international Julien Pierre, fondateur de l'association Fair Play For Planet, l’a regretté dans un entretien au Figaro jeudi. "Faire venir des équipes sud-africaines pour disputer la coupe d'Europe de rugby, quel est l'intérêt? La seule logique est financière. La logique environnementale est négligée. Je pense que les supporters vont peu se déplacer. Mais quel impact écologique vont avoir les déplacements des équipes depuis et vers l'Afrique du Sud? Il faut changer de réflexion. Se demander d'abord quelles sont les conséquences sur l'environnement." A l’EPCR, le sujet a été abordé.

"C’est le gros souci que je vois, avoue Roubert. Ce qui m’a été répondu, c’est que les Sud-Africains doivent déjà voyager pour venir jouer dans l’URC. Ce sera donc mixé. C’est un souci du rugby. Mais tant que l’on voudra des matchs comme France–Nouvelle-Zélande, il faudra qu’une des deux équipes, avec sa cohorte de supporters, traverse le monde. Mais c’est aussi l’occasion d’engager les communautés à être d’autant plus responsables avec des comportements plus vertueux. A Lyon, nous sommes le premier club à avoir fait notre bilan carbone en prenant en compte les émissions directes et indirectes, et celles de nos partenaires. Les déplacements d’équipes, c’est important mais c’est très, très marginal sur notre bilan carbone. Ce sujet de l’écologie et le rapport à l’environnement, on en a bien sûr parlé. C’est le sujet qui me préoccupe le plus."

Jean-François Paturaud