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Mondiaux de ski: les coulisses de la révolution des drones pour filmer le ski

Les Mondiaux de ski alpin organisé à Courchevel et Méribel jusqu’au 19 février ont mis en lumière une nouvelle manière de filmer les compétitions de ski. A chaque épreuve, des pilotes de drones suivent les skieurs pour offrir un angle de vue inédit pour le public. RMC Sport se penche sur ce phénomène amené à révolutionner la diffusion du ski mondial.

Avec les deux médailles d’Alexis Pinturault, l’or en combiné et le bronze en super-G, la France a bien débuté les Mondiaux de ski alpin organisés à Courchevel et Méribel jusqu’au 19 février. Si les spectateurs tricolores profitent sur place des exploits des skieurs et skieuses bleus, les téléspectateurs bénéficient d’un nouvel angle de vue avec l’utilisation de drones pour filmer les courses presque comme si on descendait la piste avec les participants.

Une avancée spectaculaire, adoubée par les organisateurs et rendue possible par les équipes de production chargées de la couverture de ces Mondiaux, disputés dans les Alpes françaises. Martin Bochatay, l’un des pilotes des drones, raconte les coulisses de cette nouvelle manière de faire vivre les compétitions au plus près des sportifs.

>> Les Mondiaux 2023 de ski alpin en direct

Un pilotage à la première personne pour un drone pas classique

Quand on parle drone aujourd’hui, on pense à ces images d’un engin manipulé en extérieur et qui permet d’aller photographier ou filmer des espaces inaccessibles autrement. Mais lors de ces Mondiaux de ski en France, ce n’est pas de ce genre de drones dont on parle. Martin Bochatay et les autres pilotes présents pendant la compétition sont les rois des drones FPV.

"Ce n’est pas un drone classique. Ce sont des drones que l’on pilote à la première personne avec des lunettes sur nos yeux, explique Martin Bochatay, l’un des pilotes de ce Mondiaux, auprès de RMC Sport. Cela nous permet de voir directement ce que l’on fait. Je me suis spécialisé là-dedans en 2017 et j’ai travaillé sur différentes productions. Sur une production Red Bull j’ai rencontré la personne qui m’embauche sur les Mondiaux. C’est un spécialiste de la transmission HF, Theis Media. Nous ici, on est embauchés par Infront Sports & Media, la grosse boîte de production qui gère toute la production des Championnats du monde."

Martin Bochatay
Martin Bochatay © Sebastian Armah

Originaire de Chamonix, celui qui se présente comme "un passionné de ski et de sport automobile ou de tout ce qui va vite" a d’abord fait ses armes dans la production de films ou de publicités, notamment comme régisseur. Mais à force d’être sur les tournages et par envie de "créer de l’image", Martin Bochatay a voulu passer derrière la caméra. Ensuite, il y a eu cette rencontre avec les drones FPV (FPV comme Vue à la Première Personne si on le traduit de l’anglais).

"Quand j’ai découvert les premières images de ces drones FPV, je me suis dit qu’il y avait quelque chose et que cela allait être le truc à la mode dans quelques années, se souvient encore le pilote haut-savoyard. C’était la caméra du futur. Je me suis lancé là-dedans en même temps que je continuais la production."

"C’est vraiment le pilote qui fait tout, chaque mouvement est contrôlé par lui"

Problème: les formations ne sont pas légion pour apprendre à piloter et filmer avec un drone FPV. Pour maîtrise sa machine, Martin Bochatay a donc travaillé comme un forcéné pour voler et saisir toutes les subtilités de son appareil.

"J’ai dû m’entraîner beaucoup. C’était plus d’un an d’entraînement intensif avant d’être capable de tirer un plan qui soit propre. Les images comme on peut les voir lors des Mondiaux, c’est vraiment beaucoup d’entrainement parce que ce sont des machines où il n’y a pas d’automatisation, détaille encore le pilote qui se retrouve notamment sur toutes les épreuves féminines des mondiaux à Méribel. Il n’y a pas de tracking du drone qui repère un skieur et se met derrière tout seul. C’est vraiment le pilote qui fait tout, chaque mouvement est contrôlé par le pilote."

Avant d’enchaîner: "C’est beaucoup d’entraînement puis j’ai commencé à filmer des amis. On peut citer des noms comme Sam Favret en ski. Cela a été le premier que j’ai filmé avec à l’époque des caméras qui n’avaient pas une bonne qualité. Plus récemment j’ai filmé le champion de snowboard Camille Armand. On a beaucoup filmé la montagne ensemble. J’ai aussi filmé des sports automobiles, j’ai commencé à me faire un nom et puis j’ai été appelé pour filmer les Mondiaux."

Quand Martin Bochatay précise que le pilote fait tout, c’est encore plus vrai dans sa situation. Et pour cause, il a conçu son drone de A à Z: des plans au design en passant par les matériaux, il a tout choisi.

"Ce ne sont pas des machines que l’on peut trouver dans le commerce. Ce sont des drones que j’ai développés, dessinés, faits manufacturer par des entreprises qui découpent de l’aluminium ou du carbone, continue le pilote français. On va dire qu’une machine nue me revient à 1.500 euros ou quelque chose comme cela. Là-dessus vous avez aussi du matériel professionnel de transmission qui est rajouté derrière comme un transmetteur vidéo qui coûte plus de 15 000 euros, une caméra qui coûte dans les 2.000 euros. Et derrière cela vous avez tout un système de réception, on en parle même pas. On utilise vraiment du matériel professionnel."

"Imaginer comme les skieurs qui vont s’élancer dans cette pente"

Avec un drone conçu sur-mesure pour filmer des épreuves de vitesse et l’habileté du pilote, cela permet d’obtenir des angles de vue totalement nouveaux pendant ces Mondiaux de ski. Toujours en contact avec le réalisateur, qui décide à quel moment les images filmées par le drone seront utilisées pendant le direct, les pilotes vivent la course à 100%... presque comme le skieur lui-même.

"C’est une bonne chose de parler de tout l’aspect mental. C’est vrai que la pression c’est quelque chose qui n’est pas facile à gérer. Je ne sais pas comment les gens se préparent mais moi je m’entraîne physiquement à côté mêmes si je ne sais pas si cela a un rapport. Les dix ou quinze premières minutes avant d’être à l’antenne, je peux imaginer comme les skieurs qui vont s’élancer dans cette pente, développe Martin Bochatay pour RMC Sport. J’ai aussi ma préparation mentale, je me mets dans ma bulle. Moi aussi je vais répéter ma ligne. Je vais beaucoup voler à vide et je répète ma ligne dans la tête. Je vais aussi essayer de faire le vide, je ne peux pas penser… il ne faut pas que mon esprit parte dans des trucs où j’imagine qu’il y a des millions de téléspectateurs qui sont en train de regarder ce que je vais faire avec mon drone. Je n’ai pas le droit à l’erreur. C’est comme cela que moi je le vis."

Quatre personnes comme "pour un pit stop de F1"

"La manière dont vous pouvez l’imaginer, c’est à la manière d’un pit stop en Formule 1. Les machines, on est obligé de changer la batterie à chaque skieur car cela a très très peu d’autonomie. C’est pour cela que cela peut aller aussi vite et que c’est aussi léger, on a des petites batteries qui nous permettent juste de faire un vol."

"Sur un projet comme celui-là on va être quatre personnes. On va avoir le pilote, on va avoir son spotteur qui est à côté de lui à tout moment pour regarder ce qui se passe. Si jamais il y a un problème, il peut intervenir et reprendre le contrôle du drone. Si le pilote a un problème ou quoi que ce soit, il va pouvoir reprendre le contrôle de la machine. On a un technicien drone qui va être là pour vérifier, à chaque fois que la machine revient se poser, changer la batterie et regarder que tout va bien sur le drone à chaque fois avant de le relancer. A chaque fois il va l’éteindre, changer la batterie, le rallumer et nous dire que tout est bon et que l’on peut repartir. La quatrième personne c’est un technicien qui est là pour la liaison HF. Sur le drone on a un transmetteur vidéo qui envoie l’image."

Un vrai sens de la sécurité, une technologie 100% sûre

En 2015, l’image d’un drone s’écrasant tout près de Marcel Hirscher pendant une course en Italie a fait frissonner le monde du ski… et celui des drones. Si une machine avait blessé LA star de la discipline, impossible d’imaginer la Fédération internationale de ski (FIS) autorisé cette avancée technologique sur les pistes de la Coupe du monde ou lors des Mondiaux. Mais la volonté des pilotes de drones de mettre la sécurité au centre de leur travail a fait pencher la balance en leur faveur.

Pour ne prendre aucun risque, les drones ne volent pas directement au-dessus des athlètes ou du public présent au bord de la piste. Grâce aux caméras modernes, Martin Bochatay explique qu’il peut suivre le pilote sans nuire à sa performance ou à la qualité de l’image. Une sécurité sans faille, voilà ce qui va permettre aux drones de continuer à filmer les compétitions de ski dans le futur.

"L’aspect sécurité c’est vraiment pour nous l’aspect le plus important. Avant même d’offrir une belle image à une production ou à des téléspectateurs, c’est vraiment l’aspect sécurité. Nous la manière dont on gère cela, c’est que l’on n’est jamais au-dessus des athlètes comme pouvait l’être cet énorme drone au-dessus de Marcel Hirscher, lance ce spécialiste des drones FPV sur les Mondiaux de ski 2023. Nos machines sont des machines ultralégères de 800 grammes à peu près. Rien à voir avec cette énorme machine. On a une commission de sécurité de la FIS avec qui on communique. Et selon les courses, selon la vitesse et selon énormément de paramètres, on respecte toujours une distance de sécurité et une altitude minimale par rapport au skieur qui est en-dessous."

Et de préciser que les skieurs et skieuses ne risquent rien, même en cas de crash du drone: "Peu importe ce qui arrive dans le pire des cas, même si le drone venait à aller au sol. On est en total contrôle de l’aspect sécurité. Le drone ne pourrait pas accélérer comme par magie, il est derrière l’athlète. Il tomberait au sol que l’athlète ne s’en rendrait même pas compte car il serait vingt mètres devant."

Un angle rafraîchissant, "énormément de retours positifs" des sportifs

Beaucoup plus immersive, la descente filmée par un drone permet au téléspectateur de vivre la course presque comme s’il se trouvait à la place de l’athlète. Surtout, l’impression de vitesse est mieux rendue qu’avec les caméras de télévision plus classiques, tout comme la rudesse de la pente.

"Je pense que les avantages d’utiliser le drone FPV par rapport à du drone classique, cela amène énormément de dynamisme à la production. Je ne veux pas utiliser de mauvais termes mais peut-être que cela rafraîchit un petit ce que l’on a l’habitude de voir, abonde même Martin Bochatay. Ce sont des images nouvelles. Et je pense que les téléspectateurs apprécient de voir quelque chose de nouveau sur une discipline que l’on a filmé de la même manière depuis beaucoup d’années."

Conscients de la nouvelle visibilité auprès du grand public que leur apporte ces images filmées par les drones, les skieurs et skieuses semblent emballés par cette révolution. On est donc loin des réticences qui auraient pu accompagner l’arrivée généralisée des drones pendant les épreuves.

"On a énormément de retours positifs. Je pense que c’est pour cela qu’on est là et que cela continue. On a énormément de retours positifs. On sait que les athlètes, en général, ce sont des images qu’ils apprécient beaucoup, poursuit le pilote. Pour ma part j’avais déjà travaillé il y a deux ans avec Marta Bassino (championne du monde du Super-G en 2023, ndlr) sur un projet publicitaire. C’est vrai que quand on est dans une ambiance un peu moins stressante pour les athlètes que les Mondiaux, et que l’on peut les voir pour discuter avec eux, quand on leur montre les images après la descente ils trouvent ça génial. C’est nouveau, ils ne sont jamais vus sous un angle pareil. Je pense que, oui, tout le monde apprécie ces images."

Les drones utilisés dans d’autres sports après le ski?

La réussite des images filmées par les drones FPV pendant les Mondiaux de ski pourrait bien donner des idées à d’autres sports dans les années à venir. Difficile d’imaginer le football ou le rugby s’y mettre... mais qui sait? En attendant une telle possibilité, Martin Bochatay espère voir se développer d’autres projets dans les sports extrêmes, discipline pour lesquelles les passionnés espèrent ressentir un frisson d’adrénaline en les regardant à la télé ou en vidéo.

"Il y a quelque chose qui marche très bien, ce sont les sports automobiles. J’ai pu filmer, j’ai filmé pas mal de sport automobile et c’est vrai que cela marche super bien. J’ai aussi eu l’occasion de filmer du VTT, du VTT de descente, du VTT freestyle, s’enthousiasme enfin le spécialiste du drone FPV. Toutes les activités qui sont en mouvement fonctionnent très bien avec ces machines. On arrive à adapter ces machines à la vitesse."

Et le pilote français de conclure: "C’est ça qui est génial, on adapte nos outils en fonction de ce que l’on doit filmer. Il n’y a pas vraiment de limite en fait."

Jean-Guy Lebreton