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UTMB: "Je pense que j’ai entendu le prénom Mathieu un million de fois", Mathieu Blanchard surpris de sa popularité

Nouveau podium pour Mathieu Blanchard. L’Ultra Traileur a fini deuxième de l’UTMB 2022 en 19 heures et 54 minutes. A seulement cinq minutes de la légende espagnole, Kilian Jornet. Difficile pour le Français de réaliser ce qu’il venait d’accomplir.

Que ressentez-vous après ce résultat ?

Je n’avais jamais espéré ça en fait. Ça fait longtemps que l’UTMB existe et personne n’était passé sous la barre des 20 heures. Pau Capell (coureur espagnol) a essayé dans un projet personnel mais il me semble qu’il a échoué. Et donc beaucoup de personne pensait que c’était impossible de le faire. Je crois que Capell disait que pour casser les 20 heures ça serait beaucoup plus facile de le faire pendant une course que tout seul. Et moi j’ajouterai qu’il faut être deux pour se pousser. Et c’est la chance qu’on a eue avec Kilian. Il était bien meilleur que moi en montée, j’étais bien meilleur que lui en descente. Ça nous a permis d’aller chercher ce temps. Mais j’avoue que j’ai tout donné dans la dernière descente. J’ai vu que j’avais à peine quarante minutes pour arriver en bas, j’ai dû abandonner mes quadriceps dans la descente pour faire ce temps.

Qu’est-ce qui a été le plus dur dans l’ensemble de la course ?

De courir avec Kilian. Ce n’était pas prévu. Moi j’avais des temps de passage bien cadrés qui me permettaient de contrôler ma course dans un inconfort relatif. Mais à partir du moment où je suis arrivée à côté de Kilian et qu’il allait tellement doucement, que je lui ai dit "désolé pour toi Kilian, j’espère que ca va aller mieux". Et en fait il s’est réveillé d’un coup. Là, a commencé une course qui n’était pas prévue entre l’un et l’autre pour aller chasser Jim (Walmsley, 4ème). Parce qu’en arrivant à Champex (Suisse), on nous dit que l’on a repris plus de trois minutes sur lui. Ce qui voulait dire que l’on pouvait aller le rattraper. On est parti en chasse. Et après avoir dépassé Jim, l’effort que l’on a mis a continué et je pense que c’était assez involontaire mais c’est ce qui a permis de faire ce temps au final.

Cette performance est quand même exceptionnelle…

Je dirai même que c’est incroyable, je ne pensais pas que c’était possible.

Est-ce que c’était la course la plus intense ?

Oui, c’était la première fois que j’ai pleuré pendant la course tellement j’avais mal dans tout mon corps. Kilian allait plus vite en montée et moi en descente donc j’essayais de le rattraper en descente. Et là je me mettais vraiment dans le dur. Et a un moment donné, mon corps était tellement douloureux que ça m’a mis les larmes aux yeux. Ça m’a fait pleurer à grosses larmes. Et quand je suis arrivé à un ravitaillement, à Trient, ça a recommencé. Parce que là je ne sais pas ce qu’il m’a traversé l’esprit. Il devait rester entre 30 et 40 kilomètres et là je me suis projeté que comme j’avais tellement mal dans mon corps, je ne rejoindrai jamais cette ligne d’arrivée. Ça m’a fait tomber en sanglots mais ma compagne a su me remotiver. Puis on est reparti avec Kilian et la course a continué. C’est ça l’ultra, ce n’est pas une courbe qui fait que descendre, c’est une sinusoïde. Et je le sais très bien avec l’expérience quelques minutes plus tard on a repris l’ascendant de la courbe.

Comment arrivez-vous à gérer ces moments où physiquement vous êtes moins bien ?

Tout est dans la tête, c’est de l’expérience. La première fois que tu vis la souffrance physique, tu as tendance à en faire quelque chose de très gros voire même abandonner. Mais en fait, quand tu refais une deuxième fois, troisième fois, tu te rends compte que finalement la barrière de souffrance qui est en fait une sorte de protection pour ton corps elle est très loin de la réalité de la barrière où tu vas vraiment te faire mal. Et ça quand tu le sais, tu pousses dessus, et ça passe.

L’an dernier vous aviez déjà vécu des émotions (3ème de l’UTMB), cette année c’était comment ?

C’est la même chose. Mais j’ose espérer qu’en la vivant une deuxième fois, cette ligne d’arrivée, ce public, j’arriverai à l’intégrer un peu plus pour que quand j’y repenserai, je me rendrai compte que c’était réel. Et revivre mes émotions à la maison. Ce que je n’arrivais pas à faire avec ma première expérience, ça me faisait comme un traumatisme, un choc. Ce qui a fait que mon cerveau a un peu oublié.

Et le soutien de ce public, vous avez senti cette ambiance hors-norme ?

C’était malade. Je pense que j’ai entendu le prénom Mathieu, un million de fois. Et je remercie tout ce public parce que je peux vraiment leur dire que j’ai tout donné. Je n’aurais pas pu donner un brin d’énergie en plus. C’est grâce à eux. Et c’est peut-être grâce à ce public aussi qu’on a pu faire un tel temps à l’UTMB. Quand t’es porté, poussé, les gens qui te crient dessus, ça donne une certaine énergie qui fait que t’es tout le temps super actif pour ne pas se reposer sur ses lauriers on va dire.

Vous disiez que lors de la première victoire de Kilian sur l’UTMB (en 2008), vous ne saviez pas ce qu’était le trail…

Moi à l’époque, je ne savais même pas que ça existait. C’est ce gars-là qui m’a fait faire du trail. J’ai commencé le trail un peu tout seul à Montréal en centre-ville sur une petite colline. Et là j’ai tapé trail sur google et on voit que des vidéos de lui. C’est quelqu’un qui m’a énormément inspiré dans la vie, sur sa façon de penser, de voir les choses, de vivre ses rêves et tenter de les réaliser. J’ai lu aussi son premier bouquin qui m’a beaucoup apporté dans la vie. Je suis moi-même en train d’écrire un bouquin pour raconter un bout d’histoire de ma vie avec le trail justement. Et je lui ai demandé de faire la préface de mon livre. Il a accepté, là, sous l’arche de l’arrivée. C’était un bon moment.

Propos recueillis par Léna Marjak à Chamonix