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Euro de Volley: comment les Bleus sont revenus au top

Déchaînés depuis le début de l’Euro, dont ils vont disputer les demi-finales ce vendredi (21h) contre la Serbie, les Bleus du volley n’ont peut-être jamais été aussi forts. Le travail réalisé par le staff de Laurent Tillie a favorisé l’épanouissement des individualités au service d’un collectif structuré. La partie n’était pas gagnée d’avance.

"Tous pour un et un pour tous". Cette devise des Trois Mousquetaires popularisée par Alexandre Dumas sied parfaitement à l’équipe de France de volley-ball. Qualifiée pour les demi-finales de l’Euro de volley-ball qu’elle dispute à domicile (la compétition est co-organisée avec la Belgique, les Pays-Bas et la Slovénie), la France a franchi les étapes en utilisant les ingrédients qui ont toujours fait la recette de ses succès: intensité, engagement, solidarité. Les Bleus disputeront la demi-finale de l’Euro contre la Serbie vendredi (et potentiellement la finale, dimanche à 17h30), à l’AccorHotels Arena de Paris, la salle symbole des sports co en France, qui a sacré les Bleus du handball, hommes (Mondiaux 2001 et 2017) et femmes (Euro 2018).

Les Bleus ont quitté Nantes mercredi, la deuxième étape de leur voyage, avec soulagement, et le sentiment du devoir accompli. Dans un drôle d’état, aussi, complètement rincés - les joueurs se sont endormis entre 3 et 4h du matin - après la qualification contre l’Italie. "L’enjeu était tel qu’il est difficile de dormir paisiblement. Pour nous, c’est aussi l’avenir du volley-ball qui se joue, un virage qu’on se doit de réussir", nous confiait le Tourangeau Pascal Foussard, qui a accepté cet été de redevenir manager de l’équipe de France, à la demande expresse de Laurent Tillie. Une décision mûrement réfléchie de sa part.

Soigner les maux avec des mots

"C’est parfois très difficile, vous savez. On ne s’en rend pas compte parce qu’on n’en parle pas beaucoup, mais le seul salarié à temps complet, c’est Laurent Tillie (le sélectionneur). Nous autres, dans le staff, sommes des vacataires. Arnaud Josserand a des obligations professionnelles à Cannes le restant de l’année, Cédric Enard est à Berlin, le préparateur physique à Montpellier, le médecin à Rennes, etc…" Pascal Foussard, lui, occupe des fonctions au TVB, champion de France la saison passée, dont il est le directeur général. Entre le club et l’équipe de France, les saisons sont longues.

"C’était difficile pour moi professionnellement mais aussi et surtout sur le plan familial. Ma femme est tombée gravement malade (en 2015, juste après la Ligue mondiale). Elle a donné son accord. C’était important pour moi qu’elle le fasse." Pascal Foussard a donc accepté en retour la mission commando, "parce qu’on est toujours un peu nostalgiques", avoue-t-il, un brin moqueur. Humble et discret, le manager des Bleus dit de lui qu’il est un maillon du système, dont la mission est de recréer du lien. "Je suis le tampon entre les joueurs, Laurent Tillie et le staff. C’est ça mon rôle, de soigner les maux avec des mots." Pascal Foussard n’a pas été rappelé par hasard. 

Depuis son premier et dernier titre européen décroché en 2015, l’équipe de France a, certes, brillé en Ligue mondiale - devenue par la suite Ligue des nations (victoire en 2017, finaliste en 2018) - mais elle a surtout, dans les compétitions internationales, achevé son parcours souvent très loin du podium (9e aux JO 2016, 9e à l’Euro 2017, 7e au Mondial 2018). "La Team Yavbou a connu un temps d’arrêt, les joueurs n’avaient plus cette étincelle. Je dirais qu’ils ont retrouvé de l’abnégation. On a organisé des rencontres individuelles avec Laurent Tillie cet été, pour échanger avec les joueurs, pour aller au plus profond de ce qu’ils voulaient changer, dans le système de vie, le coeur du jeu. Ils ont dû réapprendre à se dire les choses, à se parler."

Lyneel "le mutant"

Le résultat du travail entrepris par le staff et des sacrifices consentis par les joueurs est spectaculaire. La force collective qui émane de nouveau de cette équipe de France promet de tout emporter sur son passage. Elle a, jusqu’ici en tout cas, permis à la France de réaliser un parcours sans fausse note (un seul set égaré en route), usant l’Italie jusqu’à la corde. Et les individualités en ont été bonifiées. 

Revanchards après une défaite (3 sets à 1) pour du beurre en phase de poules, les coéquipiers du pointu Ivan Zaytsev - maladroit sur balle de set - ont été humiliés (25-16, 27-25, 25-14) en quarts de finale. "Elle a une âme cette équipe, susurre Pascal Foussard. Les joueurs s’entendent très, très bien entre eux. Ils adorent jouer ensemble, la plupart le font depuis les cadets. Ce sont des gens de grandes valeurs, sportive et humaine."

Julien Lyneel est l’un des plus sûrs garants de cet état d’esprit. "C’est un personnage détonnant", admire le manager de l’équipe de France. Facétieux, aussi. Il suffit d’observer ses entrées sur le terrain ou d’aller faire un tour sur son compte Instagram pour comprendre la personnalité de Lyneel, et l’importance que revêt sa présence dans le groupe. 

"C’est à la fois un leader de terrain et de vestiaire, le facteur de bonne ambiance, de vie." Les blessures de Trévor Clévenot et Earvin Ngapeth l’ont propulsé sur le devant de la scène. "C’était peut-être un mal pour un bien, finalement. Les gars se sont dit: ‘bon, maintenant, il va falloir faire avec, alors on y va’", observe Hubert Henno, ancien libéro des Bleus (253 sélections), tout juste retraité des terrains. En l’absence des habituels titulaires, le gaucher a pleinement assumé son rôle sur le terrain, qui plus est chez lui, à Montpellier, avec la hargne et la ténacité qu’on lui connaît, pour mettre la France sur de bons rails.

"Il est revenu plus fort à chaque fois"

"Les autres l’appellent ‘le mutant’, poursuit Pascal Foussard. C’est un Phénix qui ne cesse de renaître de ses cendres. Il s’est cassé deux fois le genou (ndlr, ligament croisé du genou gauche en 2015). Il a manqué les Jeux olympiques de Rio à cause d’une blessure. J’étais là le jour où il l’a appris, c’était un vrai déchirement. Mais il est revenu plus fort à chaque fois. Il est présent, c’est lui qui a insufflé ce souffle dans notre jeu."

Et quand il est rappelé sur le banc, Julien Lyneel continue d’animer le carré des remplaçants. Impossible à arrêter. "Lyneel, c’est l’atout maître que Laurent a dans sa manche. Laurent Tillie ne le fait pas commencer car il sait qu’il va répondre présent neuf fois sur dix en sortie de banc. Il dépense 120% d’énergie à chaque fois, ça l’a aussi préservé de ne pas jouer contre la Finlande. Il a ensuite parfaitement tenu son rôle, il nous a maintenus dans le match contre l’Italie." Qui sait ce qu’il se serait passé si l’Italie avait embarqué les Bleus dans le troisième set. 

"Clutch" comme Ngapeth

Heureusement pour elle, la France possède dans ses rangs un joueur unique. Un extraterrestre capable de bonifier un ballon en situation moyenne pour le rendre décisif. Earvin Ngapeth a de l’or entre les mains. On pense le connaître, mais le réceptionneur-attaquant de Kazan continue de surprendre ses adversaire et d’émerveiller les supporters. Il s’est bonifié avec les années et pèse encore davantage dans cette capacité qui est la sienne, de hisser son équipe à des hauteurs vertigineuses quand le niveau de jeu s’élève, que l’air est irrespirable. 

"Earvin, il était déjà comme ça à 17 ans, il n’a pas changé à 28, sourit Pascal Foussard. Il sort des coups venus d’ailleurs que lui seul peut faire." Comme cette feinte d’attaque aux trois mètres qu’il prend plaisir à transformer en passe aveugle pour son partenaire au poste 2. "Plus c’est chaud, plus il est là, constate le manager. Il fait partie des meilleurs joueurs du monde. C’est difficile de se passer de lui dans le money time. On l’a encore vu mardi soir par séquences, il a attaqué quelques ballons très importants. Il ne fait que monter en puissance." Et il n’est pas le seul. La réussite du phénomène est contagieuse.

"Boyer ? C’est un animal"

Stephen Boyer tape de plus en plus haut, frappe de plus en plus fort. Le pointu qui sévit à Vérone, en Italie, soufflait un peu le chaud et le froid ces derniers temps, sous le maillot de l’équipe de France. Mardi, ce fût surtout le show. Le Réunionnais a été immense. Impressionnant en attaque (15 points) et peut-être plus encore au service, un domaine où il est forcément perfectible à seulement 23 ans, le jeune joueur révélé à Chaumont a claqué neuf aces, dont trois d’affilée, pour creuser l’écart en fin de première manche. Non content d’avoir servi la sauce en supplément du plat principal, Boyer s’est chargé d’apporter le dessert, un service délicatement déposé, sur balle de match. 

"Stephen a travaillé sur la concentration, son lancer, sa frappe de balle, comment gérer sa mise en jeu par rapport au score. Ils en parlent beaucoup avec Laurent Tillie", explique Pascal Foussard. Boyer a exercé une pression constante, jusqu’à épuiser la réception italienne et les options de jeu adverses, réduites à la portion congrue. Le pauvre Zaytsev (2 points, 7% en attaque) a souffert de la comparaison. "J’ai l’impression qu’il s’est transformé physiquement, c’est un animal", note Hubert Henno, le nouvel entraîneur de Tours.

On dit merci qui ? Merci Olivier Maurelli

Recordman de longévité au poste de libéro, l’ex-Bleu salue le retour au premier plan de son successeur, le génial Grebennikov. "Comme les autres, il avait tendance à baisser la tête, il se posait des questions, ça ne lui ressemblait pas. Là, il a le sourire sur le terrain, il défie du regard. On a retrouvé le Grebe du début." La bonne santé de l’équipe de France ne saurait toutefois se résumer à cinq ou six éléments. 

Les quatorze joueurs présents - les "guys" de Laurent Tillie - ont chacun apporté leur pierre à l’édifice. On pense à Thibault Rossard, dont le bras gauche, surpuissant, a encore fait des ravages. Mais aussi à Antoine Brizard, qui prend le relais du stratège Toniutti à la passe, pour apporter sa taille au contre ou faire souffler son partenaire.

"Ils ne se posent plus de question. Ils ont retrouvé ce qui faisait d’eux une équipe quasiment imbattable: un état d’esprit sain. Tous ensemble. Le Goff est en très grande forme. Les garçons ont rapidement tiré les bénéfices de la préparation physique orchestrée par Olivier Maurelli (ndlr, préparateur physique), on sent les joueurs très affûtés." Les Bleus ont monté les deux premiers étages de la fusée. Le prochain, c’est la médaille. 

"Les joueurs sont méfiants, ils ont déjà terminé quatrième d’un Mondial. J’étais là et je peux vous dire que c’était d’une tristesse infinie." Atteindre le dernier carré d’une compétition international requiert une très grande sagesse et une constante remise en question. Cela a fonctionné pour l’instant et tout le monde souhaite que cela perdure. Mais comme l’a si bien rappelé Toniutti, "pour l’instant, on n’a rien gagné". 

Quentin Migliarini