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Thibaut Pinot lors de sa victoire dans la 20e étape du Tour de France 2015

Thibaut Pinot lors de sa victoire dans la 20e étape du Tour de France 2015 - Lionel Bonaventure

"Il est inclassable": quelle place pour Thibaut Pinot au panthéon du cyclisme français?

À 33 ans, Thibaut Pinot disputera ce samedi sur le Tour de Lombardie la dernière course de sa carrière. Il laissera derrière lui l'image d'un coureur romantique et populaire. Mais à quelle place peut-on le classer dans l'histoire du cyclisme tricolore?

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Il aurait sans doute du mal à apporter lui-même une réponse. Parce que le jeu de la comparaison n’est pas vraiment ce qu’il préfère et parce que son humilité le pousserait à botter en touche. Alors qu’il s’apprête à ranger son vélo ce samedi pour retrouver ses animaux et sa quiétude dans son village haut-saônois de Mélisey, à l’issue du Tour de Lombardie, la question peut pourtant se poser: quelle place faut-il donner à Thibaut Pinot dans l’histoire du cyclisme français?

Bien sûr, ce genre de débat semble toujours difficile voire impossible à trancher. Sur quelles données s’appuyer? Là où certains mettront en avant le palmarès comme critère suprême, d’autres prôneront davantage de subjectivité. Le résultat brut doit-il surpasser tout le reste? Ou faut-il amener une pointe de philosophie et laisser parler la fibre émotionnelle?

Thibaut Pinot à la veille de son dernier Tour de Lombardie le 6 octobre 2023
Thibaut Pinot à la veille de son dernier Tour de Lombardie le 6 octobre 2023 © Gabriel Bouys

Un passeur d'émotions

Jérôme Coppel, ancien coureur professionnel, 13e du Tour 2011 et aujourd'hui consultant pour RMC, tranche d'emblée.

"Pour moi, Pinot est inclassable"

"Ce qu’il a réussi est extrêmement rare dans le vélo: il s’est construit un palmarès immense tout en procurant des émotions aux gens. Thomas Voeckler a aussi fait une super carrière en régalant le public, mais je n’en vois pas beaucoup comme eux."

Romantique "égaré au XXIe siècle", selon les mots de son manager de toujours Marc Madiot, Pinot aura connu autant d’états de grâce que de journées de souffrance depuis ses débuts dans le grand bain en 2010 sous le maillot de la Française des Jeux. Des moments de bonheur absolu et des échecs dignes de tragédies grecques, comme en 2018 sur le Giro lorsqu’un début de pneumopathie l'envoie à l'hôpital à la veille de l'arrivée alors qu’il occupe la troisième place du classement général. L’année suivante, c’est une improbable et mystérieuse blessure à la cuisse qui l’oblige à quitter le Tour à deux jours de l'arrivée sur les Champs-Élysées alors que le public voyait en lui l’héritier de Bernard Hinault.

Thibaut Pinot lors de la 19e étape du Tour de France 2019, au moment d'abandonner en raison d'une lésion musculaire à la cuisse
Thibaut Pinot lors de la 19e étape du Tour de France 2019, au moment d'abandonner en raison d'une lésion musculaire à la cuisse © Marco Bertorello

Mais Thibaut Pinot, c’est aussi 33 victoires au compteur, dont trois étapes du Tour de France, deux sur la Vuelta et une sur le Giro, ainsi qu'un Monument, le Tour de Lombardie. Thibaut Pinot, c’est ce succès de prestige à l’Alpe d’Huez en 2015 et un formidable numéro sur les pentes du Tourmalet en 2019. Pour l'ex-coureur et manager d'équipe Jérôme Pineau, ce CV le place près des sommets tricolores.

"Il a selon moi l’un des plus beaux palmarès du cyclisme français"

"Je n’aime pas comparer les champions, encore moins dans mon sport… Mais il mérite une grande place dans l’histoire du cyclisme français. Je le place très, très haut, voir tout en haut. Il fait partie des plus grands coureurs français de l’ère moderne, et même au niveau mondial. Quand il était en forme, tous ses adversaires cochaient son nom sur leur potence au départ... Certains diront qu’il n’a pas le palmarès d’un Laurent Jalabert (vainqueur du général de la Vuelta 1995 et de 25 étapes sur les Grands Tours, ndlr). C’est vrai, mais ce n’est pas la même génération et pas le même vélo. Thibaut a fait des choses que plus personne ne pensait possibles. Il faut le remercier pour ça. Il a donné envie à des gamins, qui veulent aujourd’hui être Thibaut Pinot plutôt qu’un autre."

"Pinot aurait pu être champion du monde"

En 2022, le journal L’Équipe avait sondé d’anciens coureurs, journalistes et managers pour établir un top 10 des coureurs français. Sans surprise, Bernard Hinault était arrivé en tête. Parce qu’il a gagné cinq fois la Grande Boucle, parce que ses batailles avec le Néerlandais Joop Zoetemelk sont devenues légendaires, et parce qu’il a levé les bras au total... plus de 200 fois. Derrière l’intouchable "Blaireau", Jacques Anquetil, lui aussi quintuple vainqueur du Tour, et Louison Bobet, champion du monde en 1954 et quatre Monuments à son actif, avaient eu droit à leur place sur le podium. Devant Raymond Poulidor, Laurent Fignon, Bernard Thévenet, André Darrigade… Aucune mention de Thibaut Pinot, contrairement à Julian Alaphilippe, retenu à la huitième place.

"Alaf a un palmarès exceptionnel. Il est double champion du monde, il a porté le maillot jaune sur le Tour, appuie Jérôme Coppel. Mais c’est compliqué de les comparer. Ils n’ont pas le même caractère ni le même profil. Pinot n’a pas été champion du monde, mais il l’aurait peut-être été s’il avait eu droit à un parcours très relevé. Quand tu es puncheur, tu as plus d’opportunités d’être champion du monde. Ça se présente moins souvent quand tu es un pur grimpeur. En 2018, en Autriche, il fait neuvième mais il était dans une sacrée forme".

"Cette année-là, on a surtout parlé de la médaille d’argent de Romain Bardet, mais Thibaut me semblait plus fort"
Thibaut Pinot levant les bras après sa victoire sur la 5e étape du Tour de Romandie 2015
Thibaut Pinot levant les bras après sa victoire sur la 5e étape du Tour de Romandie 2015 © Fabrice Coffrini

Un palmarès qui divise

Plutôt que les regrets, ses supporters préféreront toujours se souvenir des renaissances flamboyantes d’un coureur dont la popularité donne parfois l’impression de frôler l'irrationnel. De là à la comparer à celle des plus grandes légendes du sport français? Pas exactement, dit Jérôme Pineau.

"Ce n’est pas Platini ou Zidane"

"Il n’a pas eu la même réussite. Il aurait mérité de gagner au moins un Giro, mais il n’y a pas de regrets à avoir et ça ne doit pas effacer le plus important. Il reste l’un des meilleurs, en plus d’être un mec à part. Il suffit de regarder ce qui s’est passé sur le dernier Tour de France avec le fameux ‘virage Pinot’ pour comprendre qu’il va laisser une immense trace auprès du public. Il a toujours tout donné, il n’a jamais menti, il n’a jamais triché sur ses émotions. On n’est pas près de retrouver quelqu’un qui suscitera autant d’émotions. Dans l’ère moderne, on a eu des coureurs français qui ont marqué leur époque comme Thomas Voeckler et Sylvain Chavanel. Mais Thibaut est encore au-dessus pour moi alors qu’il n’a pas eu le maillot jaune. Chez les coureurs en activité, j’en vois peu au-dessus de lui, à part peut-être Julian Alaphilippe. Romain Bardet est un super coureur, je l’adore, mais ce n’est pas la même chose, pas les mêmes émotions... Thibaut est différent, il est vraiment inclassable."

Le "virage Pinot" sur le Tour de France 2023
Le "virage Pinot" sur le Tour de France 2023 © Thomas Samson

Dans cet océan de louanges, certaines voix moins dithyrambiques tentent parfois de se faire entendre. Cet été, l’ancien basketteur international français Stephen Brun, membre des Grandes Gueules du Sport sur RMC, s’était attiré les foudres des réseaux sociaux pour avoir apporté un regard bien différent sur le sujet.

"Pinot va laisser la trace de la désillusion"

"Moi j’aime bien les palmarès et le palmarès de Pinot, c’est quoi? Pas de maillot jaune, pas de Grand Tour. Oui il est monté sur le podium du Tour (en 2014). Mais il ne suffit pas d’avoir du panache pour laisser une trace. Selon moi, il ne fait pas partie des dix plus grands coureurs français. Moi je regarde surtout les performances." Tout l’inverse de Jérôme Coppel.

"Ce serait une erreur de sous-estimer ce qu’il a accompli"
Thibaut Pinot, sourire au lèvres
Thibaut Pinot, sourire au lèvres © Anne-Christine POUJOULAT

"Pinot a eu de magnifiques résultats, à sa manière et avec une classe folle, c’est un 'fuoriclasse' (un coureur hors pair, ndlr). Il n’y a pas à être déçu, même si c’est l’un des rares coureurs français que j’ai cru capable d’aller chercher un grand Tour. Et ça bien avant 2019. Il avait le moteur pour le faire, il ne l’a pas fait mais il a mené sa carrière comme il le voulait. Et c’est peut-être ça qui compte le plus. Pas d’avoir battu tel ou tel record."

https://twitter.com/rodolpheryo Rodolphe Ryo Journaliste RMC Sport