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Coupe d'Europe: les acteurs du Top 14 divisés sur l'arrivée des équipes sud-africaines

L’EPCR a annoncé ce jeudi l’intégration de plusieurs équipes sud-africaines en Champions Cup et en Challenge. Entre perte d’identité, calendrier à repenser, défi logistique, bénéfice financier et intérêt sportif, les acteurs du Top 14 demeurent partagés sur cette question et plusieurs cadors y sont même opposés.

Une tâche immense attend l’EPCR avant le début de la saison 2022-2023. L’instance dirigeante du rugby européen va devoir réaliser un gros travail de communication et d’explication après l’annonce de l’intégration de plusieurs franchises sud-africaines dans ses compétitions.

Les Stormers du Cap, les Bulls de Pretoria et les Sharks de Durban vont intégrer la Champions Cup alors que les Lions de Johannesburg et les Cheetahs de Bloemfontein évolueront dans le Challenge européen. Au micro de RMC Sport, le DG de l’EPCR a justifié cette décision dès jeudi. Mais cela ne semble pas encore faire l’unanimité chez les clubs de Top 14.

Un choix à l’opposé des valeurs pour certains

Habitué de la Coupe d’Europe depuis son accession en Top 14, le club de La Rochelle reste sur deux finales consécutives. Champion d’Europe en titre grâce à sa victoire contre le Leinster ces derniers jours, le club maritime ne semble pourtant très chaud à l’idée de voir débarquer les équipes sud-africaines. Présent cette semaine face à la presse le président Vincent Merling s’est montré assez clair sur le sujet.

"Que les choses soient claires, je ne suis pas du tout favorable à l’arrivée de l’Afrique du Sud dans le championnat d’Europe. Maintenant, que l’Afrique du Sud participe à la Champions Cup qui n’est plus la Coupe d’Europe je dirais que c’est une réponse favorable que nous offrons au rugby celte qui le souhaitait ardemment. C’est vrai que pour le président du Stade Rochelais, et je crois que l’on est tous d’accord, je ne comprends pas. On est totalement dans la perte d’identité. Vous connaissez les valeurs du club. Ce n’est pas du tout dans notre façon de penser."

Un avis que partage Henry Chavancy. Double finaliste malheureux de la compétition, le centre emblématique du Racing n'est pas franchement favorable à l’intégration des équipes sud-africaines.

"J’ai l’habitude de dire ce que je pense donc je vais le dire. Je ne vois pas forcément d’un très bon œil. Rien que l’idée de me dire que les Stormers peuvent être champions d’Europe je trouve cela un peu… comment choisir mes mots… étonnant, un peu spécial. Je pense que l’on a une belle compétition et je comprends que d’autres pays ou clubs veuillent la rejoindre mais je pense que cela risque aussi de dénaturer un petit peu l’intérêt ou en tout cas l’histoire de cette compétition. Après il faut aussi vivre avec son temps et je suis sûr que l’avenir me donnera tort. Mais à titre personnel je trouve cela un peu bizarre."

Un problème logistique avec de longs déplacements

Outre l’argument de la perte d’identité ou d’intérêt par plusieurs acteurs du Top 14, la Champions Cup nouvelle formule va devoir réaliser un gros travail logistique pour faire passer la pilule des déplacements à près de 12.000 km de la France. Tout sauf une mince affaire alors que la France va aussi devoir gérer la montée en puissance et le temps de jeu des internationaux avant la Coupe du monde 2023.

"Pour nous, les clubs de Top 14, je ne vois pas ce que cela va nous amener à part un calendrier encore plus difficile à gérer. Ce n’est pas forcément ce vers quoi il faut tendre un an avant la Coupe du monde en France où on veut reposer et préparer au mieux nos internationaux, a regretté Olivier Azam, l’entraîneur des avants de Montpellier. Donc on va voir. Je pense que cela risque de coincer et de grincer des dents pour les clubs français qui auront une équipe sud-africaine dans leur poule."

Pierre Mignoni, manager de Lyon et futur technicien de Toulon la saison prochaine, n’est pas non plus séduit à l’idée de parcourir le monde pour aller défier une équipe sud-africaine.

"Moi je n’ai pas envie d’aller en Afrique du Sud, j’ai peur de l’avion. Si je suis honnête, je vais répondre ça (rires), a lancé avec humour le technicien originaire du Var. Quant à la compétition, les Sud-Af' sont de superbes équipes, on est dans le monde du business là, on n’est pas dans le monde la Coupe d’Europe."

Un vrai intérêt sportif

Alors oui, l’EPCR va encore devoir convaincre que son choix d’intégrer cinq équipes issues de l’hémisphère sud à ses compétitions constitue une bonne chose. Parmi les arguments à mettre en avant, outre l’aspect financier et la visibilité pour les clubs, l’enjeu sportif risque de séduire les joueurs français. L’idée d’affronter les franchises sud-africaines et notamment ses joueurs champions du monde peut leur permettre de se mesurer à ce qui se fait de mieux au niveau international.

"D’un côté il y a ce côté excitant d’affronter des Sud-Af' qui sont des équipes très performantes et très percutantes que l’on ne rencontre pas autrement, a pour sa part réagi Jean Bouilhou, l’entraîneur des avants du Stade Toulousain. On va dire que c’est une nouvelle étape de ce championnat inter-nations qui se profile. Le côté sportif je le trouve hyper attrayant. Mais c’est sûr que l’on ne peut plus appeler cela une Coupe d’Europe. Pour moi ce n’est plus une Coupe d’Europe mais une coupe intercontinentale. Je trouve qu’il y a un vrai intérêt sportif à jouer contre ces équipes sud-africaines."

Cette évolution sportive de la compétition semble également séduire Pierre Mignoni qui se félicite d’avoir à jouer contre de "superbes équipes" ou encore Laurent Travers. Face à la presse avant la dernière journée de la saison régulière du Top 14, le manager du Racing a voulu se concentrer sur le plan sportif uniquement. Et de ce côté-là, l’intégration des Sud-Africains lui semble une bonne chose.

"Le côté politique, ce n’est pas mon domaine. Sur le sportif, le fait de pouvoir être confronté à des grosses équipes est toujours intéressant pour le staff et les joueurs. Mais il faudra peut-être changer l’intitulé, a indiqué le technicien de l’équipe francilienne. Parce qu’on ne pourrait plus appeler ça Coupe d’Europe. Sur le côté politique, je laisse le soin aux gens de faire les choix. Nous sur le plan sportif, rencontrer de grosse équipes c’est toujours attrayant. Cela veut aussi dire que le système des provinces bat de l’aile. Cela veut aussi dire que le championnat français avec les clubs reste encore solide et fort."

Un retour aux sources pour les Sud-Africains du Top 14

La volonté de l’EPCR d’ouvrir le champ des possibilités avec l’intégration de plusieurs équipes sud-africaines fait aussi quelques heureux. L’importante colonie de joueurs springboks venus garnir les rangs du Top 14 risque bien de se réjouir de cette évolution de la Champions Cup. Parmi eux, Jan Serfontein se fait une joie de pouvoir retourner dans son pays natal.

"Oui cela peut être sympa de jouer contre des équipes d’Afrique du Sud et pour eux de jouer contre des clubs français. En ce moment elles jouent contre le Leinster, le Munster et les pays anglo-saxons mais jouer contre les clubs français cela va être intéressant. J’ai hâte de jouer contre les clubs sud-africains, a lancé le centre de Montpellier avant le match de Top 14 contre Clermont. […] Cela va être pas mal si on peut aller jouer au Cap ou à Durban. C’est faisable si on part pour la semaine parce qu’il n’y a pas de décalage horaire. Nous, les Sud-Africains, on a fait le trajet vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande et c’est plus compliqué car c’est plus loin et avec huit ou dix heures de décalage. Entre l’Europe et l’Afrique du Sud cela va aller."

Jean-Guy Lebreton avec RA, CD, JL, AV et WT