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Athlétisme: Wilfried Happio, dans l’escadrille des avions de chasse du 400m haies

Wilfried Happio s’est permis de déposer le recordman du monde du 400m haies Karsten Warholm dans la dernière ligne droite du Hayward Field de Eugene, en finale des championnats du monde 2022. Avec un chrono en 47"41, à quatre centièmes du mythique record de France de Stéphane Diagana, Happio a dû se contenter d’une 4e place mondiale avant de remporter une médaille d’argent quelques semaines plus tard lors des championnats d’Europe. Pour son coach Olivier Vallaeys, "il a stabilisé le niveau mondial et fait partie de l’escadrille des avions de chasse de la discipline la plus regardée". Face au Norvégien Karsten Warholm, au Brésilien Alison Dos Santos ou à l’Américain Rai Benjamin, le Français paraît encore en retrait, mais il entend bien leur mordre les mollets jusqu’aux Jeux olympiques, où il fera partie des espoirs tricolores de médailles. Entretien à dix jours de la finale du 400m haies des championnats du monde 2023, à Budapest. 

Wilfried, dernière grosse séance ce dimanche et nous sommes à dix jours de la finale du 400m haies. Le stress commence à monter? 

La forme monte surtout, le programme suit son cours. Pas de bobo à déclarer donc on est sur les rails et pressé d’y être surtout.

Surtout après votre course de l’année dernière aux Mondiaux de Eugene, vous devriez jouer encore les premiers rôles? 

Cette année a été axée sur la régularité pour pouvoir assumer ce changement de dimension. J’ai maintenant un chrono à respecter on va dire. J’ai une place à affirmer et je n’arrive pas avec le même statut que l’année dernière. Mais l’enjeu est de taille cette année, c’est toujours plus dur de confirmer que de faire ses preuves. 

Ce nouveau statut ne vous est pas monté à la tête? 

Je suis quelqu’un d’assez modeste malgré tout et ce serait une grosse erreur de ma part d’être confiant. Même si demain, je suis le numéro un mondial, je voudrais toujours me dépasser et c’est le plus important je pense.

"Ce serait une grosse déception de ne pas rentrer en finale"

Vous avez couru en 47"41 en juillet 2022, tout près du record de France de Stéphane Diagana. A-t-on le droit d’être déçu, puisque vous ne l’avez toujours pas battu (meilleure performance en 2023: 48"13)? 

Bien sûr… on est un sport de chrono donc un attend un résultat chronométrique. Mais on attendait plutôt de la régularité avec le coach pour se rassurer. J’ai eu la chance d’avoir fait les minima depuis le début de saison donc j’avais moins cette pression de prouver et je pouvais me concentrer sur le 20 août pour mon entrée en lice. 

Mais vous pourrez appuyer sur un bouton pour atteindre les 47"36 (ce qui serait le record de France) par exemple le jour-J? 

C’est le coach qui a la clé mais pour moi ce sont des sensations et des émotions que je retrouverai le jour-J avec mes collègues de championnats et de Ligue de Diamant. Quand la forme est là, on repousse les barrières. Depuis le début d’année, j’ai souvent couru avec de la fatigue, des contraintes de blessure ou extra-sportives puisque je suis des études de kiné. C’était une année difficile, pour valider mon année de kiné tout en étant bon sur les pistes. Je l’ai fait avec ce que j’avais dans le ventre et maintenant ça fait plaisir de pouvoir ne penser qu’aux championnats et de sentir la forme qui monte. 

À Budapest, vous visez quoi? 

Ce serait une grosse déception de ne pas rentrer en finale… mais si je ne rentre pas, que je me suis donné mais qu’il y a un fait de course car ça reste des haies… l’important, c’est de se donner à fond. J’ai toujours fait ce sport pour être à haut niveau et la première place fait rêver. C’est pour cela qu’on se bat. 

"Je suis regardé du coin de l’œil et les stars savent que je suis un prétendant cette année et pour les Jeux de Paris"

Justement, vous repensez parfois à votre dépassement sur Karsten Warholm, la légende de la discipline, à Eugene l’été dernier? 

C’est clair que c’est un grand souvenir. C’est le ponte de la discipline, il a le record du monde. Il est passé pour la première fois sous la barre des 46 secondes, c’est stratosphérique, il faut le rappeler. Donc le dépasser, ça a son effet. Mais il était un peu diminué à cette époque et il s’est remis et cette année, il jouera à son niveau. On verra qui a le mieux travaillé. 

Ça a changé le regard des stars de la discipline à votre égard? Les Dos Santos, Benjamin et Warholm? 

Maintenant, on se dit bonjour (rires)… non mais c’est sûr que quand tu rentres dans ce cercle élitiste, on te regarde à l’échauffement, on te suit sur les réseaux et ils savent que je partie du game. Je suis regardé du coin de l’œil et ils savent que je suis un prétendant cette année et pour les Jeux de Paris

Sur la scène française, la progression chronométrique de Ludvy Vaillant vous aide aussi? 

Plus on est de fous, plus on rit. En France, on aime bien les haies quand même, que ce soit le 110m ou le 400. On est un pays très technique et on le prouve. Ça m’aide et beaucoup de personne me demande si ça me perturbe mais ça permet d’illuminer la discipline et on est dans la meilleure génération de l’histoire du 400m haies. 

"Ces derniers temps, l’équipe de France n’a pas été à la hauteur"

Les projections et les espoirs de médailles pour l’équipe de France, aux Mondiaux et aux Jeux olympiques, sont globalement très pessimistes. Quel est votre avis là-dessus? 

Ces derniers temps, l’équipe de France n’a pas été à la hauteur. Il y a eu des difficultés, notamment le COVID, alors c’était international mais en France, il y a eu beaucoup de confinement, il n’y avait rien d’ouvert pour s’entraîner. Je pense qu’on prépare tous des beaux cadeaux pour la suite, pour Paris 2024 et pour les Mondiaux. Il faut rester optimiste.  

Question piège: les "vieux" ne sont plus là. Renaud Lavillenie a déclaré forfait, Jimmy Vicaut, Pascal Martinot-Lagarde ne sont pas sélectionnés…. C’est bon signe? 

Bah… Ça ne fait pas plaisir parce que ce sont des gens que je connais. Ça fait quelques années que je suis en équipe de France et on a sympathisé, c’est toujours relou de voir des athlètes avec des saisons en dents de scie. Après, cela fait partie du sport et on a des étoiles qui montent, Jules Pommery, Erwann Konaté, Sasha Zhoya… c’est à eux de montrer qu’ils peuvent briller et prendre la place des anciens. 

Vous avez évoqué votre projet professionnel en parallèle du sport de haut niveau. Vous serez déjà kiné aux Jeux olympiques? 

Le défi, c’était de valider mon année en un an en 2023. L’année prochaine, je ferai une sorte de césure, je validerai quelques examens pour la deuxième année et je ferai le reste en 2025. Il faut être réaliste et savoir que le métier de kiné, ce n’est pas que des connaissances, c’est aussi physique quand tu auscultes ou pendant un massage. J’aimerais me laisser toutes les chances d’avoir une médaille à Paris et je ne peux pas me permettre de perdre du temps. Ce ne sera pas 100% J.O car ça m’aide aussi à décrocher mentalement, à comprendre mon corps et ma discipline aussi. 

Propos recueillis par Aurélien Tiercin